Dans la rubrique ce que n'est pas le communisme (3)
Karl Marx soulignait dès 1843 dans sa lettre à Arnold Ruge qu’il n'était pas question de “dresser des plans définitifs pour l'éternité” [1] et que sa tâche relevait de “la critique radicale de tout l'ordre existant” [2]. Il faut souligner que ses affirmations (anti-utopiques) de ce qu'était son communisme contre les robinsonnades lui étaient rendus possibles par ce que l’on pourrait appeler de notre point de vue une téléologie empirique c’est-à-dire, comme il le dira après dans les Manuscrits 1844: “le mouvement entier de l'histoire ”[3].
Si Marx s’est toujours refusé à faire “bouillir les marmites du futur” c’est qu’il s'agissait de prendre comme point de départ l'état des choses où elles sont et non de “leur opposer un système tout fait “ [4].
Ainsi il précisera en 1845 dans L’idéologie allemande “Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes “[5].
Mais est-ce à dire que le prolétariat n’a pas idéal [6] ? Comme l’affirmait G.Lukács dans Histoire et conscience de classe ? N’était-ce pas l’argument typique du politicien ?
Étrangement utopisme (même concret) et réalisme (même hégélianisé) se rejoignent pour administrer ici et maintenant ou plus tard et ailleurs les affaires convenues d’avance de la cité exemplaire ou en construction, qui par un plan précis une casuistique ou un parti. Avec ses avant-gardes bien sûr ou ses éléments les plus volontaires ou convaincus de leurs missions.
La constitution en classe et la négativité du réel, la contradiction portent-elles en elles-mêmes une potentialité, une perspective ? Ceci en dehors du fait de toujours s'écouler vers le long fleuve héraclitéen ?
Que peuvent bien poser les actes, les luttes sans perspectives, mêmes nécessaires, sans le souffle d’un idéal ?
Si l'approche critique héritée de Marx reste un antidote au prêchi, prêcha et au jésuitisme politique ceci au bénéfice d’une théorie des besoins, de l’ici-bas contre les sociétés idylliques, les arrières-mondes mêmes socialistes, il nous semble que sa conception immanente, développée plus tard "scientifiquement" dans la théorie de la plus-value se dissout sans une définition nécessaire et négative de ce que n’est pas le communisme. Surtout contre les lectures économistes, catastrophistes, marxistes, étatistes, autoritaires et nostalgiques du capitalisme d’État ou même redistributives de “marchandises” auxquelles ne sont d’ailleurs pas étrangers certains écrits des compères Marx-Engels [7].
Il reste bien évidemment à comprendre ce que signifient certaines pratiques qui apparaissent dans le cours des luttes et qui peuvent passer pour les prodromes des nouvelles relations sociales de production.
Mais le communisme a-t-il besoin d'augures ou de prophéties ? Sauf à faire de l’espoir un pilier du possible ou de baser son combat sur un pari marxien…
Ainsi depuis quelques années il est de bon goût de se repaître aux sources d’un communisme dit premier pour alimenter une dialectique du “mouvement réel” totalement consumée par le socialisme réellement existant et le désenchantement. D'appeler à la rescousse “les sciences” de l’Humain comme une tentative supplémentaire de naturalisation de ce que pourrait / pouvait être ce communisme. Cette approche (en dehors de l'érudition et de la connaissance toujours nécessaire) devra finalement être également critiquée comme construction topique consolante. C'est-a-dire qu'il ne s'agit pas non plus de décongeler les gamelles du passé, parce que la tâche est également à la critique radicale de l'ordre qui a existé.
Vosstanie le 19/11/2019
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NOTES
1. K. Marx et F. Engels, Correspondance, t. I, p. 299 : Lettre de K. Marx à A. Ruge, septembre 1843.
2. Idem.
3. K. Marx, Manuscrits de 1844, Troisième manuscrit.
4. K. Marx et F. Engels, op. cit., Correspondance, t. I, Lettre de K. Marx à A. Ruge.
5. K. Marx - F. Engels, L'idéologie allemande.
6. G. Lukács, Histoire et conscience de classe, Éditions de Minuit p. 220.
7. Que peut-on penser par exemple actuellement de: “Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c'est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des forces productives“ tiré du Manifeste du Parti communiste (1848) ?