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mardi 3 novembre 2015

LA RECUPERATION EN FRANCE DEPUIS 1968 par Jaime SEMPRUN

PRÉFACE

« Mais ce qui est excellent non seulement ne peut échapper au destin d'être ainsi dévitalisé et déspiritualisé, d'être dépouillé et de voir sa peau portée par un savoir sans vie et plein de vanité ; il doit encore reconnaître dans ce destin même la puissance que ce qui est excellent exerce sur les âmes, sinon sur les esprits ; il faut y reconnaître le perfectionnement vers l'universalité, et la déterminabilité de la forme, en quoi consiste son excellence, et qui rend seulement possible l'utilisation de cette universalité d'une façon superficielle.»                                                 
                                                                                 Hegel. — Phénoménologie de l'Esprit.
                                                           
S'il est une lecture plus propre à persuader de l'inéluctable effondrement de cette société que celle des très nombreux ouvrages en exposant les diverses tares, c'est bien celle de ceux, plus nombreux encore, qui s'avisent d'y proposer quelque remède. Ma supériorité évidente, dont le lecteur appréciera bien vite tous les avantages, est de ne présenter aucune solution : j'attaque le problème, en la personne de ceux qui s'efforcent désespérément d'en maquiller l'énoncé. Comme au couteau : de bas en haut, des tâcherons de l'extrémisme confusionnel à la relève de la pensée d’État. Et qu'on ne me parle pas d'amalgame, on me fera plaisir : l'aspect le plus ingrat de ma tâche fut certainement bien au contraire d'établir les distinctions nécessaires dans ce magma informe, où les nuances de pensée sont si difficiles à cerner que personne jusqu'à ce jour, parmi les mieux intentionnés des exégètes, n'a jamais pu établir ce qui différenciait, rapprochait ou opposait « l'économie libidinale » de l'un et les « machines désirantes » des autres, par exemple ; ou encore les multiples idéologies autogestionnistes en circulation. Il est vrai qu'il suffisait, encore une fois, de ne pas croire sur parole ce que les idéologues disent de leurs marchandises. Une bonne appréciation de leurs productions (creusez le mot appréciation) est préférable à ces productions elles-mêmes. Naturellement !

Ceci est donc un ouvrage de circonstances, et même de circonstances aggravantes. Il est appelé à être oublié très vite, avec la notable quantité de littérature d'importance très transitoire dont il traite. C'est dire qu'il vient à son heure, alors que tous ces gens qui n'ont que subversion et « projet révolutionnaire » à la bouche n'ont strictement rien trouvé à dire, ils ont pourtant la plume facile, sur la réalité subversive que le prolétariat portugais a installée en Europe ; c'est-à-dire sur la première révolution sociale depuis leur entrée en fonction. Ils attendent sans doute pour la ramener que cela soit un peu refroidi, et il y faut, c'est un fait, des forces plus considérables que les leurs. Car on a beau connaître leur petitesse, on ne peut croire que leur mutisme soit seulement dû au dépit de voir qu'aucune assemblée révolutionnaire de travailleurs portugais n'a jamais éprouvé le besoin de discuter leurs thèses, ni rien qui y ressemble.

Il s'agit donc d'exécuter dans le détail la sentence que la révolution portugaise prononce massivement contre toutes les falsifications débiles de la réalité révolutionnaire autour desquelles s'organise le battage spectaculaire. Quand je dis dans le détail, que le lecteur ne s'effraie pas : je ne vais certes pas m'attacher à disséquer le moindre borborygme provincial, prendre en considération ce qui se crachote et ronéote d'Angers à Grenoble, en passant par Toulouse. (Certains ont accédé à l'imprimerie, mais leur prose n'en a pas été rendue plus lisible : ce n'était donc pas une question de typographie.) N'est pas récupérateur qui veut : encore faut-il trouver de l'emploi, et présenter pour cela un minimum de talent utilisable. Et d'ailleurs toute la piétaille des théoriciens ou anti-théoriciens méconnus qui font antichambre dans le purisme mécontent n'opérerait certainement pas différemment ni mieux que ceux qui tiennent actuellement le marché de la récupération, puisqu'elle ne serait engagée que pour falsifier les mêmes problèmes, qui sont de plus en plus malaisément falsifiables, comme on verra.

De même je laisse de côté la récupération diffuse : il y a peu à dire sur la modernisation superficielle de tous les agents du spectacle, des hommes d’État aux soutiers de la culture et de l'information, et ce qu'il y a à en dire d'intéressant apparaît mieux dans l'expression plus concentrée de la récupération de pointe.

Je ferais trop d'honneur à mon sujet si je le traitais avec ordre. On verra qu'il en est incapable : tout ce qu'il peut présenter de cohérent, c'est moi qui ai dû le lui apporter. Sous ma plume, la pensée des récupérateurs atteint une consistance que n'ont jamais eu leurs gribouillis hâtifs et désordonnés. Mais quand on est tellement au-dessus de son adversaire, il faut bien commencer par l'élever un peu pour pouvoir le frapper. Aucun récupérateur en particulier, parmi tous ceux traités ici selon leurs ignominies respectives, ne mérite que l'on se penche spécialement sur les idées qu'il affiche ; et même en bloc leurs grisailles se confondent sans s'augmenter. Car en fait de pensée ils n'ont plutôt que des arrière-pensées, des pensées d'arrière-boutique ; et ce qu'ils cachent éclaire seul ce qu'ils montrent. Je ne critiquerai pas leurs œuvres. Outre que cela impliquerait de lire sérieusement et avec méthode l'ensemble de cette immense littérature, ce dont je n'ai aucunement l'intention, ce serait à peu près comme d'expliquer la fonction de l'automobile dans cette société par la forme des poignées de portières, et la variation saisonnière de leur design. Allons donc directement au fonds commun de toute cette vase : ce qu'ils servent, et comment ils le servent. La couleur de la livrée renseigne sur le maître, et non sur le valet.

LA RECUPERATION EN FRANCE DEPUIS 1968 par Jaime SEMPRUN
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- EXTRAIT DE -
-
Jaime SEMPRUN
PRÉCIS DE RECUPERATION
illustré de nombreux exemples tirés de l'histoire récente.
p 9 à 36. Éditions Champ Libre 1976


dimanche 7 juin 2015

Le "prix" des idées. A propos de Kostas Papaïoannou (1925-1981)

Le "prix" des idées.
A propos de Kostas Papaïoannou (1925-1981)*


On hésite à la fermeture de ce très sensible et court livre sur Kostas Papaioannou entre une poétique de l'amitié ou de la tragédie.

Amitiés qui se sont affirmées dans des époques troubles et dures, riches en lourds combats.

Tragédie parce que le possible "paradis sur terre" s'est transformé en une fournaise digne des Enfers.

Tout ne brûle peut-être pas en pays d’amitié, mais les idées flambes. Elles flambent et les cendres recouvrent les cerveaux cramoisis et nous serions alors condamnés à faire des ennemis de nos ennemis, "nos amis" ?

Définit comme Aronien "de gauche" ? Kostas Papaioannou défile en faveur du Générale de Gaulle le 30 mai 68. Proche de Raymond Aron qui n'avait pas plus "raison" que Sartre, il participe à certaines publications "subventionnées" par le gouvernement Etatsunien et la CIA (p.130) ou clairement fondée par un militant d'extrême-droite (la revue Est & Ouest heritier du BEIPI fondé en 1949 par Georges Albertini ) (p. 136). Sans parler ici de la revue Contre Point.

Reduire le parcours de  Kostas Papaioannou à cela serait fort réducteur et lapidaire, mais à la fin des années 70 Kostas Papaioannou se retrouve avec tous les apostats du stalinisme universitaires au séminaire de la Ve section de l'EPHE (1) 

Le prix à payer certainement pour "publier" et défendre le camp de la "liberté" ? La naïveté n'a rien à faire dans cette histoire. L'anti-communisme a été un moment une des passerelles étranges, ceci jusqu'à l'ultra-gauche. 

Par exemple le Boris Souvarine qui dénonçait "la guerre civile en France" en 1968  (p.128), n'était plus, et depuis bien longtemps celui des années de la Critique Sociale. Il publiera néanmoins avec Kostas Papaioannou à la fin des années 70 quelques ouvrages et brochures aux éditons Champ Libre ou chez Spartacus. (2)

Rien d'important peut-être, puisqu'il s'agit ici de structures éditoriales marginales et essentiellement sous contrôle d'un individu et non de groupes liés au mouvement réel.

Jamais l'Internationalisme du troisième camp (3)  et clairement anti-stalinien n'est abordé dans le livre, alors qu'il a été porté par des structures comme L'Interntationnale Situtationniste ou Socialisme ou Barbarie (et bien d'autres). Positions que Kostas Papaioannou aurait peut-être pu aborder (en son temps) dans de possibles rapprochements avec Castoriadis ? Ou avec René Vienet ? (p.129).  

Mais peut-être ne s'agit finalement ici que d'une histoire qui relève du poids de la dette en amitiés et des voies de garages de la "marxologie", toute pertinente et riche de critiques qu'elle soit.


Notes.


(1) Ecole pratique des hautes études - Annie Kriegel, Alain Besançon, plus tard en compagnie de François Furet etc...
(2) Il sera peut-être un jour nécessaire de rompre avec les hagiographies, les histoires romancée pour ado attardés.




* Kostas Papaïoannou (1925-1981) : Les idées contre le néant de François Bordes. La Bibliothèques coll. Les Cosmopolites 2015. 172p.