dimanche 18 décembre 2016

Éthique, tactique et esthétique Lukacsienne (A propos de Pourquoi Lukács ? de Nicolas Tertulian)

Éthique, tactique et esthétique Lukácsienne.

A propos de Pourquoi Lukács ? 
de Nicolas Tertulian
Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris. 2016. 384p.


Le livre de Nicolas Tertulian est une forme de justification mais aussi le témoignage d'un esthéticien *. La manière même dont il présente et défend son "objet" (György Lukács) par le biais d'une pudique autobiographie, en est la preuve, ce qui est tout à son honneur.

Il nous est permis de comprendre (non sans difficultés) toutes les subtiles et souterraines “luttes” de la scolastique marxiste qui ne furent pas, par certains aspects sans importances idéologiques c’est à dire comme formes de résistances face au rouleau compresseur stalinien tant dans les pays du bloc de l'est que les pays dits "libres”.

Le cas de la Roumanie dont est originaire N.Tertulian est à ce niveau emblématique, même s’il garde ses spécificités.

Lukács fait donc parti de la trame de la compréhension de sa vie d'engagements, et des combats contre une doxa dominante et pour le pluralisme dans les idées. Cet ouvrage lui donne aussi une nouvelle possibilité de mise au point sur les mensonges et approximations, dont fut la cible G.Lukács "le maître" que N.Tertulian a toujours défendu.

Il nous fournit donc une explication de ce qu'impliquait les attaques contre un G.Lukács comme conception du monde dans cette “guerre froide” des idées.

A cette fin il nous livre quelques témoignages de ses rencontres, mais fait également état des débats avec certains intellectuels du temps (Adorno, Sartre, Heidegger, Gadamer, Cioran etc.. ) qu’il passe au travers de la moulinette Lukacsienne.

Un Lukács que N.Tertulian n'épargne pas dans ces égarements ou points de vue, débats, sur la question Esthétique. Ce qui est moins le cas il nous semble dans le domaine du politique, et c'est peut-être d'une certaine manière le grand reproche que l'on pourrait faire à l'auteur.

Mais cette “indulgence” peut certainement être mise sur le compte de situations relativement comparables, d’une certaine empathie, c'est à dire sur celle de deux intellectuels dissidents en "pays socialistes" ? C'est ce que finalement suggère le parallélisme du livre.

Mais quand page 293, N.Tertulian indique que dans une lettre à Benseler:

"Lukács parle des "compromis" qu'il a été contraint de faire, en acceptant au moins à deux reprises (en 1930 et en 1950) de publier des autocritiques insincères, il justifie les deux gestes par la nécessité de se sauver dans des circonstances menaçantes. La première fois il voulait éviter de partager le sort de Karl Korsch et de se voir exclu du mouvement, à un moment où le danger fasciste montait en puissance et où il tenait à poursuivre son combat à l'intérieur du mouvement communiste; la deuxième il espérait ainsi conserver la possibilité de défendre sa ligne de pensée sans se voir rejeté et condamné au silence total, ou même tout simplement ne pas partager le sort de László Rajk et être menacé dans son existence. Il s'agissait dans les deux cas d "autocritiques tactiques", qui doivent être placées dans "la série des compromis, qui étaient indispensables pour un penseur tel qu['il] étai[t] pour prévenir une catastrophe dans la période stalinienne" p.293 (1)

Il n'est reste pas moins que cette "stratégie" trouve sa justification dans un antifascisme d'un pur “frontisme" aussi démocrate que paradoxale, et qu'elle n'en fut pas moins un échec (voir les thèses Blum). Quant à sa peur d'être "exclu "on doit s’interroger de quoi au juste ? de son statut et position d’intellectuel ? En ce qui nous concerne, le propos vient surtout souligner que certains "intellectuels" de la même époque ont payé le prix de cette exclusion du "mouvement" et il fut fort. Il est ainsi tout à l'honneur d'un Karl Korsch et de bien d’autres de n'avoir pas cédé ni au "fascisme brun" ni au "fascisme rouge" (Voir Otto Ruhle) pas plus à l'antifascisme stalinien. Si cette  position de Lukács à ce sujet n'en fait pas pour autant un stalinien ontologique, elle fait de lui un vrai “partitiste” c'est à dire un vrai léniniste (2) au sens de Que faire ?, avec ses exigences de discipline et de ligne à suivre. Quid alors de la "vérité " mise au rencart de l’efficacité et de l'esprit de Parti ?

On attendra des Lukácsiens une analyse sérieuse de la genèse du stalinisme rendu possible par le léninisme. Au delà des auto-critiques fussent -elles de "bonne foi" ou "stratégiques".

Rien n'interdit pas même à l'intellectuel de garder le silence, de prendre du recul. Quand d'autres choisissent aussi l'exil.

Mais peut être n’y a t-il rien de pire pour un “intellectuel” que l'absence de reconnaissance.

Voilà pourquoi au fil des pages le portrait du "dialecticien marxiste”, et critique de la "nécessité historique " du communisme, comme messianisme a du mal à percer.

La "dialectique" se trouve ainsi mise au niveau d'un détestable "outils" intellectuel, mais surtout de ses propres justifications. (Au delà de sa survie personnelle bien sûr ce que l’on peut tout à fait comprendre)

Il en va de même des fameuses "médiations" Lukacsiennes ! Qui d'une certaine manière peuvent s’interpréter comme une apologie du pire, comme "nécessaire" .

Il nous semble impossible de sortir de la lecture de ce livre en restant sur des positions manichéennes et en quelque sorte voilà le propos du livre plutôt réussi. Car éviter la caricature nous semble la seule méthode d’investigation du réel qu'il nous faille indiscutablement développer sans trêves.

La piste qu'a toujours défendu N.Tertulian aura été la défense de la dialectique "marxiste" (3) et de la totalité.

On ne peut ignorer son combat, comme par exemple quand il publiera dans une Roumanie stalinienne des extraits de l'oeuvre de H.Marcuse. Peut-être qu'ici le terme de "pratique théorique" trouve un sens plus adéquat que dans les écrits des Althusseriens en chambre.

La "dialectique du réel" est tout aussi surprenante que "prévisible" en quelque sorte, surtout pour ceux qui abandonnent la dimension " éthique" de l'engagement.

Sans contestation possible N.Tertulian est resté fidèle à son idéal de jeunesse c'est à dire à dire à ce que l'auteur de Rhinocéros (4) exigeait; "la suppression à la racine", du patrimoine idéologique de l'extrême droite (" la maladie nazie ", la spécificité ethnique", la haine de l'universel ") .

On avouera volontiers moins s’intéresser à l'ontologie Lukassicenne qu'au débat esthétique qui donneront à Lukács, la possibilité de défendre une optique politique critique du stalinisme paraît-il. Mais dont les subtilités nous échappent, tant le vocable semble jouer à notre époque de trop de ce métalangage lié à des catégories de son ontologie qui ne nous concerne pas et finalement peuvent même nous fatiguer. D'autant plus qu'il répondait à une époque ou la persécution imposait probablement un certain art d'écrire.

L'époque du totalitarisme diffus impose pensons nous une autre approche de l'expression, c'est à dire notre capacité à dire simplement et collectivement des choses moins complexes qu'il n'y paraît. Ceci nous permettra peut-être d'en finir avec une certaine verticalité. Celle des "maîtres" à penser qui trouvent toujours aussi facilement toutes sortes d'adeptes prêts se donner aveuglément pour toutes les "causes", fussent-elles “généreuses”.

En ce cela une certaine critique de l’irrationalisme, de la réification, de l’aliénation nous semble plus que jamais être à l’ordre du jour. Ceux qui s'intéressent ou s'intéresseront à ces questions trouveront inévitablement Lukács sur le chemin de l’unité la théorie et de la praxis.

NOTES

* Voir par exemple Georges Lukacs, étapes de la pensée esthétique de Nicolas Tertulian, traduit du roumain par Fernand Bloch, Paris, Le Sycomore, Arguments Critiques, 1980.

(1 ) La lettre de Lukäcs à Frank Benseler figure dans le recueil publié par Rüdiger Dannemann et Werner Jung intitulé Objektive Möglichkeit: Beiträge zu Georg Lukács’,Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins“. Frank Benseler zum 65. Geburtstag, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1995, p. 92-95.

(2) Si Histoire et conscience de classe reste un ouvrage majeur il n'en demeure pas moins l'ouvrage d'un "défenseur" du Parti "la conscience de classe prolétarienne, c'est le parti." p.63 in Histoire et conscience de classe. On y reviendra dans nos matériaux pour une émission.

(3) On n’utilisera pas ici le mot “marxien”.

(4) Eugène Ionesco.

samedi 17 décembre 2016

Vous reprendrez bien un peu de souffrance ?

Vous reprendrez bien un peu de souffrance ?


La source de tout opportunisme*, c’est justement de partir des effets et non des causes, des parties et non du tout, des symptômes et non de la chose même.

György Lukács dans Histoire et Conscience de Classe. éd de Minuit. p.99







Le déploiement du langage "politique" [1] interpelle à deux niveaux, celui de ses intentions explicites et implicites. L’énonciation peut être littérale, stratégique mais aussi s'exprimer comme comme inconscient de classe. Les niveaux s'interpénètrent le plus souvent joyeusement.

Si les mots de la politique le plus souvent politiciennes, mais pas que, peuvent être dits parfois de “bois”, c‘est à dire relativement rigides, ils n’en conservent pas pour autant certaines de leurs caractéristiques premières, comme la polysémie par exemple ou une certaine souplesse qui leurs donnent la capacité de s'assembler avec d’autres “matériaux” en dépit de la typologie syntaxique.

Cela impose la nécessaire analyse des champs sémantiques, de la plasticité des mots, et de leurs agencements et usages par les managers du capital et leurs larbins, pour comprendre ce qu’impliquent leurs performativités, le plus souvent accompagnées de coups de matraques.

Comme l’utilisation des procédés rhétoriques par exemple, plus particulièrement de la figure de la redondance qui se trouve être, depuis quelques temps, le summum de l'analyse du “social”, et des soi-disant nouveaux symptômes de ce début de siècle.

Dont le but confine à une sorte de phénoménologie au mieux compassionnelle, et typique de ce qui caractérise la bonne “conscience” de gauche et dont les prétentions actuelles sont uniquement sociétales [2]. Mais à ce sujet peut-être serait-il nécessaire d’en dire plus sur le double langage ? Plus certainement sur cette capacité historique de la gauche du capital à dédoubler ou à travestir les “maux”.


Travail, souffrance et merde


"Travail de merde", "souffrance au travail" il faut croire que répéter des mots proches (Travail/merde) (Souffrance/travail) et interchangeables, presque identiques ! doit relever d’une forme d’auto-persuasion dont on ne sait quelle forme de vérité l’on tente de nous asséner.

Il ne s’agit pourtant que de truismes qui s'apparentent à une forme de méthode Coué de l'introspection, de l’analyse. Un type d’approche qui mène sur un étonnant chemin philosophico-cognitif par le biais de termes synonymes, et n'aboutit in fine qu’à une sorte de questionnement fermé, par le truchement d’une proposition de synthèse merdique, c’est à dire la rumination sur de fausses antinomies à résoudre. Il n’y a en effet rien d’antinomique dans souffrance et travail, boulot et de merde.

Pour s'auto-convaincre de quoi finalement ? D’évidences que nous vivons déjà au quotidien ? [3] Que le travail c’est forcément de “la merde” et de la “souffrance” ? non ! Mais que le travail “pourrait” ne pas être merdique et même doux aux pays des capitalistes, qui pourraient être bien plus sympas quand même.

On ne s'étendra pas ici sur le commerce journalistique et de ces vérités banales et circulaires, qui bondissent de journaux en fils twitter “Santé Travail”, en lien facebook “Burn-Out” pour terminer dans une chronique fait-divers du Parisien, et dont la conclusion sera une invitation à vous rapprocher d’un néo-coach le plus proche de chez vous, votre psychiatre, ou une boîte d’anti-dépresseurs.

Alors, "ça va mieux en le disant" et en le redisant paraît-il ? On y reviendra.

90% (Au minimum!) de l'activité "Travail" effectuée dans un monde capitaliste est ou inutile ou nocive, toxique (ici on pense aux collègues...) quand à la “souffrance” qu'elle génère quand on connaît l'étymologie même du mot Travail cela peut renvoyer le reste du débat dont il est question ici à une simple dissertation sur le plaisir masochiste.

Toujours est-il qu’au delà des figures de styles, des fausses antinomies, le plus choquant n'est pas l'utilisation abusive de l’ouvrage de Pierre Fontanier (sur les Tropes), mais que le cœur, même des questions ou des réponses soient toujours minimisés, évacués, ou simplement niés. Parce que c'est de cela qu’il s’agit en dernière instance.

 Minimiser et nier


Vous “souffrez”, vous êtes harassés et surchargés ? Vous travaillez dans la perspective d’objectifs “intenables” et individualisés ou tributaires d’une chaîne infernale de coresponsabilités (ou auto-flicage) C’est peut-être que votre “boulot” est mal “réparti “? Ou que vous n’êtes simplement pas assez bien “formés” ? Ou que vous ne savez simplement pas dire NON ! Et si tous prenaient leur “part” du “mauvais” labeur ? il pourrait ainsi l’être moins, de “merde” ce travail, dans un monde décidément un peu trop “néo-libéral” qui sécrète décidément trop de “micro boulots” de chiottes, répétitifs et sans buts.

En Résumé: Il pourrait y avoir moins de souffrance dans le monde du travail (de merde) si le monde était moins “libéral” et un peu plus “de gauche de gauche”.

Car voyons ! La responsabilité incombe au “nouveau” management pas assez “humain”, trop rigide, à la “dérégulation du marché du travail” [4] et de l’Europe. etc….et du tournant de la rigueur de 1983, et de l’idéologie "ultra-libérale", et des thinks-tanks acquis au “libéralisme” et de la “trahison ” de la “fausse gauche” etc...

S’il ne s’agit pas de nier qu’il existe des “techniques” d'administration de la force de travail et des offensives idéologiques, il faut quand même souligner que l’argumentaire débouche décidément trop systématiquement sur le sempiternel crypto-keynésianisme propre à la gauche du capital, et sur le mensonge du compromis utopique capital-travail ou du “gagnant gagnant” ou de “l’effort”. Ou de celui qui se sort les “doigts du cul” pour “la boîte” (version plus droitade) la défense de sa "conscience professionnelle", ou le service de la “communauté nationale” ou du consommateur/client/usager genre défense du “service public” retournée en ce moment comme arme au service de la rigueur budgétaire et des “sacrifices” au nom de la défense/sauvetage du “modèle sociale français”. (version plus subtile du droitarisme). Sous entendu le travail pour « L'intérêt général» payé au lance pierre c'est pas du "travail" c'est un sacerdoce, une vocation, un plaisir qu'on assume pour les autres sans moufeter.

On ne poursuivra pas ici le développement du roman photo de l’époque mythico-productiviste où les boulots n’étaient pas de merde ou l’on se faisait des bonnes bouffes avec le patron.

L’argumentaire du point de vue du capital, vient ici occulter, en inversant causes et conséquences, et même nier, le fait que le travail soit soumis aux catégories immanentes au capitalisme. Même si les individus font l’histoire, ils l'a font tout de même dans des formes qu’ils ne choisissent que très rarement.

Qu’il s’agisse de diminuer les effets catastrophiques de la pénibilité ou de la précarité, on aura évidemment rien contre, mais pourquoi ne pas ou plus parler de capital à valoriser et de capitalisme ? Et donc de ne pas mettre les mots les plus justes au cœur de cette “souffrance”, et des “boulots de merde” ? A savoir ce qui est en fait indissociable des rapports de production capitalistes, mais surtout la logique qui soutient celle-ci, à savoir l’extraction de la survaleur (anciennement plus-value !). Au delà de “l’avarice” et de “l’envie” que bien souvent l’on naturalise comme pseudo catégorie économique pour justifier l'éternité de la quête du profit.

Ce qu’évite ou nie également le fait de ne pas parler de capitalisme, c’est la manière dont la survaleur et le profit sont redistribués, ou pas ! et donc on occulte ainsi ce que représente par exemple les faux-frais du capital dans la logique de la reproduction, crise etc...et donc la création des boulots improductifs, de sous-fifres et larbins divers dans l'industrie du luxe par exemple (dépenses somptuaires, parasitisme, rente).

Ce qu’imprime également la logique du capitalisme c’est la productivité, et forcément l’exploitation du travail par son intensité liée à la guerre de tous contre tous, au chaos de la production marchande. Qui va se nicher dans ce qui est le plus “rentable “ mais pas forcément le plus utile. Bien qu’une relation unisse la valeur d’échange à celle de l’usage dans le monde de la marchandise.

Car le travail est une marchandise, de cela non plus il n’est jamais question puisqu’il ne s’agit que d’humaniser un aspect du travail son coté négatif en quelque sorte, mais qui ne pourra jamais être épanouissant sans liquider ses deux aspects unitaires, c’est à dire étroitement liés puisque le travail est une marchandise (bis repetita), à savoir que son utilité même factice (mais concrète) et merdique est aussi la possibilité qui donne à un individu de survivre et de reproduire sa force de travail (ou de crever lentement.).

En résumé: L'utilité “rêvée” ou ce “mauvais côté” dont on veut se débarrasser dans les boulots (de merde) et sans souffrances et que l’on voudrait voir disparaître n’existe simplement pas. Sous le travail aliéné du monde marchand, il n’y a pas de joyeuse activité libérée ou à libérer. L’essence du travail c’est la séparation d'avec son “ produit ” et l’exploitation.

Sauf d’un point de vue de la critique du “néo-libéralisme” ou de "l'ultra-liberalisme" ! et de ses catégories et de son “projet”.

D’un point de vue de la critique de l’économie politique (anti-capitaliste) elles sont inséparables.

Sous le travail aliéné et merdique, source de souffrances, il y a aussi une ambivalente socialisation produite par le travail même de merde, et qui s’oppose à l’expulsion, à sa propre dé-valorisation et est même la condition de sa survie. C’est ce qui rend difficile toute critique radicale pratique du travail sauf à être rentier, à prendre des poses ou être un prof de fac décroissant. (Quand à faire nécessité vertu nous l'avouons très nettement c'est une attitude religieuse que nous n'aimons que très peu. On ne ressortira pas donc pas non plus ici le speech bidon de la sur-consommation)

“A bas le travail” cela ne mange pas de pain, et même si l’on peut souscrire à ce slogan il reste réducteur. Sauf à déblayer ce que propose la morale du travail comme dressage ou comme nœud essentiel de reproduction de la société capitaliste, ce qui implique une critique radicale de la marchandise.

Vouloir liquider la souffrance ou la “merdicité” du travail sans liquider le travail (et son aliénation) et le capitalisme, sous couvert de valoriser les aspects les plus sociaux ou les plus “utiles”, c’est ne pas poursuivre le chemin de la critique jusqu’au bout de sa radicalité et tutoyer au mieux le plus plat des proudhonnismes.

Mais d'où parlent donc ceux qui font profession “d’humaniser” le travail ? Que les journalistes et autres spécialistes / militants [5] se saisissent d’une marchandise presque inépuisable voilà les premiers servies dans cette juteuse affaire. Ils produisent d’ailleurs une très bonne matière première à destination d’autres officines commerciales comme les coachs, et autres psychologues de la “souffrance au travail” qui alimentent eux mêmes la chaîne de la boucle du recyclage des éléments de langages balancés à la figure des prochains chômeurs par les DRH.

Petite digression : La question de l'opposition au travail (que certains veulent libérer dans le monde marchand) par rapport à l'activité, pose le débat de l'objectivation, c'est à dire sur le devenir-objet de l'activité, que Marx concevait comme positif et que Lukács interprétait sans avoir la totalité des éléments comme synonyme de réification. La seule condition du travail aliéné ne réside t-elle que dans le type de rapports qui s'institue avec le produit objectif ? C'est à dire la séparation des moyens de production, l'aliénation du produit ? Et cette problématique ne pose t-elle pas l'activité comme une nécessité anthropologique ? La propriété collective des moyens de production semble esquisser une piste de réflexion aussi fertile qu'énorme, comme : faut il « produire » et quoi ? Sous quelles modalités ? Mais celle-ci ne semble pas fournir de pistes sérieuses sur le fait que certaines « activités » ne seront pas pénibles ou alors cette pénibilité sera « égalitairement » redistribuées pour qu'elle cesse de peser sur les mêmes. C'est la totalité des critères « l'utile » par exemple qui seront repensés. Mais cessons ici de faire bouillir les batteries de casseroles de l'histoire...
  
Digérer et évacuer

Les capitalistes, managers de la force de travail et autres serviteurs idéologiques de la bourgeoisie et de ses intérêts, ont aussi cette très bonne capacité à ingurgiter “les plaintes” par le biais du mouvement de fond liée à la judiciarisation (gouvernance ?) comme forme de “privatisation du droit” qui ouvre donc concomitamment un marché de la reconnaissance. [6]

La reconnaissance, comme forme ultime de l’éclatement, absorption, évacuation de la conflictualité de classe déjà bien mis à mal par tout un tas de dispositifs de contrôles, chantages, ceci au delà de la pression exercée par le capital.

Que les espaces d’écoutes, d’entraides se mettent en place, ou que les individus soient aidés individuellement et pragmatiquement pour éviter des drames personnels, on n'aura rien à dire à ce sujet.

Mais cela nous force finalement à nous interroger sur le niveau du combat collectif de classe qui se trouve encore une fois dissous par d’individualisation des problèmes, et qui se trouve ramené à des logiques d'inadaptabilités personnelles ou de psychologisations des solutions, et n’interrogent pas le niveau systémique ce qui permet donc une fois de plus d’élever le degré de tolérance de ce qu’il devient de plus en plus est difficile de “refuser” [7]

Qui posera le curseur ?

Finalement l'agencement des dispositifs aussi bien pratiques qu’idéologiques peuvent aisément se résumer à : ok ok tu souffres, ton boulot est de chiotte, d’accord ….mais maintenant ferme ta gueule !





NOTES
* Nous soulignons que le mot “opportunisme” utilisé ici par György Lukács doit être compris comme comme “ réformisme”. Même si finalement il y a aussi de l’opportunisme ( comme calcul, pragmatisme) compris comme opportunité dans le réformisme.

[1] Et par certains aspects la langue sociologique dont la dimension “policière” est toujours sous-évaluée. La sociologie est-elle le pendant de l’enquête ouvrière ?

[2] On ne dit pas ici qu’il ne faut pas se préoccuper de certains sujets, mais ne pas les mettre en perspectives dans une dimension égalitaire économique et sociale et de remise en cause du monde marchand n’est pas la caractéristique de l’optique révolutionnaire.

[3] On ne parle pas ici des individus qui se sentent bien dans leur aliénation et qui le font savoir en se vautrant dans la fange, à longueurs de satisfecits sondagiers.

[4] Lu dans l’introduction du livre ! Boulots de merde !Du cireur au trader, enquête sur l’utilité et la nuisance sociales des métiers. Julien BRYGO, Olivier CYRAN éd. La Découverte. (On y trouvera rien sur la capitalisme pas même le mot ! ou peut-être l’expression de la bonne conscience radicale-opportuniste dont fait état Lukács)

[5] Le militant est souvent coupable de son confort. Il imagine bien des fois le travail comme le sien généralisé. Surtout quand il est plaisant et n’est pas confronté à des impératifs moindre de production et de productivité. Pourquoi pas...Mais les choses se corsent quand il s’agit d’aborder la question “productive” et la fin de la division des tâches.

[6] Que l’on pourrait d’ailleurs analyser plus longuement. Voir à ce sujet la littérature abondante et les conclusions problématiques auxquelles mènent la philosophie d'Axel Honneth.

[7] Dans le cadre économique actuelle, qui plus est à un moment où la bourgeoisie attaque frontalement le code du travail.

jeudi 15 décembre 2016

SORTIE DES CLASSES, L’IDENTITÉ MENACE - LA RACE À LA CASSE (GARAP)

NOUS RELAYONS ICI LE COMMUNIQUÉ N°53 de NOS CAMARADES DU GARAP 


SORTIE DES CLASSES, L’IDENTITÉ MENACE
LA RACE À LA CASSE



TEXTE DE 19p 
EN TÉLÉCHARGEMENT

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Je crois qu’il éclatera un conflit entre ceux qui veulent la liberté, la justice et l’égalité pour tous et ceux qui veulent maintenir le système d’exploitation. Je crois qu’il y aura un conflit de ce genre, mais je ne pense pas qu’il sera fondé sur la couleur de la peau.
Malcolm x


Nous ne devons pas rougir de trouver beau le vrai, d'acquérir le vrai d'où qu'il vienne, même s'il vient de races éloignées de nous et de nations différentes. Pour qui cherche le vrai, rien ne doit passer avant le vrai, le vrai n'est pas abaissé ni amoindri par celui qui le dit ni par celui qui l’apporte. Nul ne déchoit du fait du vrai mais chacun en est ennobli.  
Al Kindi
Le vendredi 28 octobre l’offensive néo-stalinienne menée contre les tenants de la lutte des classes par certains identitaires de « gauche », représentants auto-proclamés des « racisés », et par leurs soutiens, a franchi un nouveau cran... Après la bibliothèque anarchiste La Discordia à Paris, c’est donc l’association Mille Bâbords qui a été la cible d’une attaque, dirigée cette fois-ci non seulement contre les locaux mais aussi, grande première, directement contre les individus. Le message est clair : ou vous vous censurez vous-mêmes ou bien nous vous forcerons, par la violence s’il le faut, à vous taire.
Le postmodernisme dévoile donc aujourd’hui son véritable visage, celui du fascisme ou, plus exactement, du sous-fascisme, c’est-à-dire d’une version diffuse et plurielle de celui-ci, plus adaptée aux besoins de la société actuelle individualiste et libérale. Le « bouquet » postmoderne répond mieux, en effet, à la demande actuelle que le totalitarisme historique, un peu trop monolithique, et permet une diversification de l’offre, de nature à satisfaire les clients les plus exigeants. Sur le sol dévasté de la société de classe, des « communautés » se dressent, des chasses gardées se constituent, sur lesquelles veillent jalousement les gardiens du sommeil. Des idéologies apparaissent, des théories, des concepts nouveaux, qui prennent très rapidement une dimension religieuse.
Les nouveaux prêtres, issus de l’université, de la politique ou du monde associatif, fournissent en effet à ceux qu’ils appellent les « premiers concerné » une identité en toc (par exemple « racisés »), un vocabulaire, une idéologie et une cible. Pas question, pour eux, de perdre la main sur leur « communauté ». Se réservant le monopole de certains sujets, ils œuvrent à empêcher par tous les moyens que certaines questions soient traitées par d’autres qu’eux-mêmes, ou bien sous une forme et en des termes autres que ceux qu’ils auront fixés. Il s’agit pour eux de rendre obligatoire leur appareil conceptuel et leur interprétation, et de confondre ceux-ci avec la réalité. Ce sont les défenseurs du dogme et de la foi, et leur travail complète admirablement celui des anciens prêtres et des vieilles religions. Nouvelles ou anciennes, les religions seront toujours la principale force de séparation des hommes.



SUITE DU TEXTE DE 19p

mardi 6 décembre 2016

La conscience de classe révolutionnaire : une connaissance devenue chair et sang - Matériaux pour une émission (14)

La conscience de classe révolutionnaire
une connaissance devenue chair et sang.
(Structure et capacité d'agir)

 Matériaux pour une émission (14)




Lukács place le marxisme au point de rencontre de deux découvertes fondamentales de la théorie sociale moderne. La première, qu'il attribue à Vico, affirme que la société est un produit humain; de cette idée dérivent toutes les théories sociales qui insistent sur la capacité d'agir des humains. Pour Marx, les êtres humains sont à la fois « les auteurs et les acteurs de leur propre histoire (4) ». On attribue à Smith et à Ricardo une deuxième découverte selon laquelle dans une de ses dimensions — l'économie — ce produit a une forme rationnelle décrite par des lois universelles qui s'apparentent à celles de la nature. Ainsi, Marx prétend lui aussi que la vie sociale «est assimilable à la marche de la nature et à son histoire (5) » et que les êtres humains sont «soumis à des lois qui, non seulement sont indépendantes de la volonté, de la conscience et des desseins de l'homme, mais qui, au contraire, déterminent sa volonté, sa conscience et ses desseins (6) ». Tout déterminisme ultérieur naît de cette intuition.

Ces deux découvertes reflètent l'antinomie entre structure et capacité d'agir. Cette antinomie divise encore la théorie sociale qui insiste tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre des deux pôles : la logique de l'ordre social ou l'action des sujets dans l'histoire (7) .

Cette antinomie hante le marxisme depuis ses débuts. À l'époque de Marx, le capitalisme a soumis toutes les sphères de la vie sociale à ses exigences. Cet état de fait plaide en faveur de l'importance de la structure, du pouvoir de détermination des lois économiques par rapport à la volonté et aux intentions des êtres humains. Et, malgré cela, la preuve de Vico — voulant que l'histoire soit un produit humain — se confirme toujours plus dans les mouvements révolutionnaires et la révolte culturelle romantique contre le mécanisme éternel du marché. D'où la contradiction entre deux des plus importantes théories de Marx : le matérialisme historique censé montrer que la capacité d'agir sociale et économique dépend de la structure économique, et la projection d'une révolution socialiste désaliénante et permettant à l'humanité en tant que sujet de réaffirmer ses revendications.
La contradiction débouche finalement au début du XXe siècle sur une série de débats dans le mouvement social-démocrate. Dans ces débats, on établit un lien dialectique entre une théorie volontariste de l'action et une conception mécaniste de la société. Le fait d'insister sur la structure mène à la passivité, à attendre longtemps une révolution inévitable qui n'arrive jamais. La théorie de l'action, en principe, ne peut que se contenter de suggérer qu'il faudrait moraliser le monde social ou le manipuler techniquement en se conformant à ses lois. « Fatalisme économique et nouvelle fondation éthique du socialisme sont étroitement liés (8).» Ainsi, pour Lukács, les grands ennemis au sein de la social-démocratie allemande, les déterministes du «centre» orthodoxe et les néokantiens libéraux de la droite révisionniste, occupent les pôles opposés de l'antinomie entre faits et valeurs, entre lois réifiées et actions individuelles dans l'histoire. Lukács affirme : « Avec l'idéologie social-démocrate, le prolétariat devient la proie de toutes les antinomies de la réification que nous avons réalisées en détails. Si, dans cette idéologie précisément, le principe de l'"homme" comme valeur, comme idéal, comme impératif moral, etc., joue un rôle de plus en plus grand — avec, il est vrai, une "compréhension" croissante, en même temps, de la nécessité du devenir économique effectif et de sa conformité à des lois —, cela n'est qu'un symptôme de la rechute dans l'immédiateté bourgeoise réifiée (9) »
Ce problème naît des ambiguïtés de la théorie marxiste. Son idée d'expliquer le rôle du sujet dans l'histoire est fondée sur une ontologie générale qui affirme la primauté de la matière sur la pensée. Ceci mène par analogie à l'idée que le processus de vie «matérielle» de la société est la «base» servant à déterminer ses expressions «idéales» dans les superstructures. Il est clair qu'il s'agit d'une analogie : il n'existe pas de frontière évidente entre la «matière» sociale et l'« esprit» puisqu'il faut bien admettre que l'idéologie « se change, elle aussi, en force matérielle, dès qu'elle saisit les masses », et puisque la production intègre le savoir des producteurs. Cette analogie tire moins sa force du contenu concret de la recherche sociale que de son opposition polémique à la théorie sociale idéaliste qui, la première, établit une différence entre «matière» sociale et «esprit», et qui les classe comme cause et effet. Engels y fait allusion dans la célèbre lettre à Bloch, où il admet que la pratique historiographique du marxisme ne s'accorde pas avec son programme matérialiste. «C'est Marx et moi-même, partiellement, qui devons porter la responsabilité du fait que, parfois, les jeunes donnent plus de poids qu'il ne lui est dû au côté économique. Face à nos adversaires, il nous fallait souligner le principe essentiel nié par eux, et alors nous ne trouvions pas toujours le temps, le lieu, ni l'occasion de donner leur place aux autres facteurs qui participent à l'action réciproque. Mais dès qu'il s'agissait de présenter une tranche d'histoire, c'est-à-dire de passer à l'application pratique, la chose changeait et il n'y avait pasd'erreur possible. (10) »
Dans sa formulation courante, le programme matérialiste mène à des problèmes insolubles. Une fois qu'on conçoit la matière sociale et l'esprit comme des entités indépendantes, comment peut-on les mettre en rapport ? Le problème corps-esprit revient hanter le marxisme qui doit chercher dans la théorie de l'idéologie une glande pinéale sociale qui réunirait ce qui a été scindé conceptuellement. Comme toutes les autres, la solution du problème corps-esprit que propose le marxisme est un échec. Si on explique la pensée sociale comme un « reflet » de la base économique, comme l'image de son original, il est impossible de comprendre l'«action réciproque» du premier sur le second. Et pourtant, sans cette action réciproque, le marxisme s'écroule dans un déterminisme économique qu'Engels n'hésite pas à définir comme «une phrase vide, abstraite, absurde (11) ».

Ces contradictions montrent qu'on ne résout pas un problème en inversant les signes de la valeur de ses termes. En fait, les mêmes antinomies apparaissent sous une forme inversée dans la problématique inversée. Donc, là où l'idéalisme aboutit à l'indétermination brumeuse d'une théorie des « valeurs » et du « libre arbitre », le matérialisme débouche sur un déterminisme tellement rigide qu'il est absolument incompatible avec tout concept de capacité d'agir historique. Les séquelles de la problématique idéaliste font pencher la théorie marxiste vers ce genre de conclusions, bien que des tendances contraires puissent s'observer dans ses applications concrètes.

Faire un lien adéquat entre base et superstructure exige non seulement plus de médiations entre les termes que ce que le matérialisme peut offrir, mais cela exige aussi de donner une définition des termes qui va admettre une médiation possible en principe. C'est précisément ce qui manque au programme matérialiste parce qu'il est prisonnier de la distinction ontologique traditionnelle entre matière et esprit. C'est pourquoi il conçoit l'objectivité comme autosuffisante et non réfléchie, comme l'existence dans le mode de la choséité, assujettie à des lois formelles. Le facteur «subjectif» semble alors être l'opposé correspondant à l'existence, sans substance, réflexion pure qui ne pénètre le monde que par hasard dans une incarnation problématique. Le signe de cette opposition rigide entre pensée et chose apparaît clairement dans les problèmes méthodologiques bien connus du programme matérialiste.
On ne peut expliquer la révolution dans ce cadre qu'en lui faisant quitter l'air pur où flottent les lois pour descendre au niveau terre-à-terre des données historiques particulières. On a souvent l'impression que l'idéologie plus que le mode de production détermine ces données. La révolution en particulier implique la possibilité d'une domination de la superstructure qui va à l'encontre de la thèse déterministe du matérialisme historique. Althusser et sa révision structuraliste de cette thèse, en considérant que la révolution est le résultat structurellement possible du flux des événements contingents, n'amènent pas beaucoup d'eau au moulin. Ce changement va en quelque sorte triompher du déterminisme, mais il abandonne l'avènement de la révolution au hasard. En fait, il faut arriver à expliquer la séquence menant du capitalisme au socialisme comme un processus structurel de changement et non pas comme un processus purement contingent, sans pour autant tomber dans un déterminisme qui exclut la capacité d'agir des êtres humains. Lukács propose un autre type analyse : il interprète le processus révolutionnaire non pas comme une simple conséquence des lois économiques, mais comme la négation déterminée de ces lois.D'après lui, une nécessité dialectique est loin d'être équivalente à une nécessité causale mécanique (12) ».

La différence naît du fait que la dialectique implique un Aufhebung conscient. D'où l'insistance de Lukács sur le rôle central de la conscience dans la révolution. Mais, dans ce contexte, la conscience n'est plus une entité spirituelle sans substance comme elle l'est pour le programme marxiste officiel. Dans les antécédents de ce programme, Lukács repère que le jeune Marx s'est livré à une reconstruction métacritique des fonctions de la conscience dans le processus matériel de la vie. Sur cette base, Lukács rejette le paradigme causal des rapports sujet-objet avec ses interactions extérieures entre des sphères séparées de la réalité — être et penser — et il montre en revanche l'interdépendance dialectique des opposés antinomiques.
La relativisation de la pensée et de l'être social l'une par rapport à l'autre marque encore les premières formules de Marx sur la distinction entre base et structure. Dans L'idéologie allemande, par exemple, on trouve de nombreux passages de ce genre : « La conscience ne peut jamais être autre chose que l'être conscient, et l'être des hommes est leur procès de vie réel (13). » Ou encore : « Ce mode de production n'est pas à envisager sous le seul aspect de la reproduction de l'existence physique des individus. Disons plutôt qu'il s'agit déjà, chez ces individus, d'un genre d'activité déterminé, d'une manière déterminée de manifester leur vie, d'un certain mode de vie de ces mêmes individus. Ainsi les individus manifestent-ils leur vie, ainsi sont-ils.Ce qu'ils sont coïncide donc avec leur production, avec ce qu'ils produisent aussi bien qu'avec la façon dont ils la produisent (14) .»
Bien que ces passages se prêtent à une interprétation mécaniste, ils ne prennent tout leur sens que dans le contexte de la révision métacritique de la conscience et de la vie que Marx avait d'abord entreprise dans les Manuscrits. Ici la critique du concept idéaliste de conscience effectuée par Marx est beaucoup plus radicale que sa position programmatique ultérieure sur la superstructure. La reconstruction des concepts philosophiques se poursuit dans une critique immanente à la fois de l'idéal abstrait et de son corrélat antinomique, le « réel » tout aussi abstrait. En fait, Marx révise le concept de raison, bien sûr, mais il révise aussi un concept opposé, celui de besoin. Comme on l'a vu au chapitre 2, réviser l'un c'est réviser l'autre, c'est démontrer que la sphère du besoin à la forme et la fonction de la rationalité. Ce double mouvement de la métacritique est expurgé de la théorie ultérieure de l'idéologie et des superstructures qui considère les corrélats opposés comme des objets réels indépendants pour ensuite les lier comme cause et effet. Ce point de départ implicite de la théorie sociale de Lukács représente une reconnaissance de l'échec de cette conception ultérieure et une récupération de la vision métacritique originelle de Marx.
Les contradictions de la conception du marxisme classique ont des conséquences méthodologiques. Lukács soutient que la théorie réifiée — sans exclure ses formes marxistes — ne peut transcender l'antinomie entre structure et capacité d'agir. Pour cette raison, la dimension structurelle de la société semble être antérieure et indépendante du niveau des évènements purement historiques, c'est-à-dire du «contenu» de la vie sociale produit par l'action consciente. Il refuse de tenter de trouver des médiations entre structure et histoire conçues séparément. Les deux aspects doivent surgir simultanément, comme aspects mutuellement nécessaires d'un troisième élément, un substrat de base. Ce substrat, c'est la pratique sociale. L'histoire est un processus où cette pratique ne génère pas seulement des événements, mais aussi l'ordre structurel par lequel ils acquièrent signification et cohérence.Sur cette base, Lukács affirme continuellement que l'histoire n'est pas simple séquence causale, mais production du monde social sous une forme spécifique qui a l'universalité socialement relative de ce qu'on pourrait appeler un système culturel.

Pour un modèle de ce processus, Lukács s'inspire de la philosophie classique allemande, qui était confrontée à un problème assez semblable à un degré beaucoup plus élevé de généralité. Lukács interprète les concepts philosophiques de «synthèse» et de «médiation» comme la mythologie conceptuelle correspondant à la production pratique réelle de la structure en tant qu'histoire et dans l'histoire. Une fois démythologisés, ces concepts expliquent la dimension structurelle de la société par le processus de sa production réelle. Il ne conçoit donc pas la capacité d'agir simplement comme une séquence d'actions, mais comme un processus de systématisation, la construction et la déconstruction d'un ordre social culturellement sécurisé. La coordination exceptionnelle que ce processus implique résulte de la logique du système économique.

En suivant Marx, Lukács affirme que l'économie capitaliste a un caractère double. La bourgeoisie constitue le monde de son activité quotidienne par une pratique économique individualiste dont la forme réifiée est perçue comme l'essence de la société. Au fil de son activité, la réification est généralisée au-delà de son contenu proprement économique et elle devient ainsi la base de la pensée et de la perception en général. Les catégorieséconomiques deviennent donc les modèles d'un type spécifique d'objectivité et conditionnent la conscience et la réalité sociale dans tous les domaines (15).

La reproduction sociale de l'économie vient de la généralisation culturelle de ses structures catégorielles. Lukács souligne que la conscience est déterminée par son rapport aux apparences immédiates, mais qu'elle contribue aussi à orienter la pratique vers les activités nécessaires à la reproduction du système. Comme l'affirme Marx dans un autre contexte : « La production ne crée donc pas seulement un objet pour le sujet, mais aussi un sujet pour l'objet (16) » La forme de l'objectivité et le mode de la conscience fondés sur cela sont des médiations essentielles dans le processus de la reproduction sociale.
La société ne se divise plus dans les sphères séparées de l'objectivité matérielle et de la subjectivité spirituelle, du corps et de l'esprit reconstitués métaphoriquement comme dimensions du monde social. On ne voit plus la subjectivité et l'objectivité sociales comme des entités indépendantes liées de manière causale, mais plutôt comme des éléments fonctionnels dans un système de pratique. Ainsi le cercle est bouclé : la pratique produit un monde d'objets qui, par leur forme, déterminent une conscience qui oriente la pratique vers la reproduction des mêmes objets.

La circularité du système de pratique explique qu'il soit systématiquement perçu à tort comme une solide réalité constituante pour la pratique. Lukács écrit que « l'histoire est justement l'histoire du bouleversement ininterrompu des formes d'objectivité qui façonnent l'existence de l'homme ». Et pourtant, toute forme d'objectivité se présente immédiatement à la conscience comme un système atemporel, sans racine et sans histoire.
En fait, l'efficacité même des formes d'objectivité repose sur le fait qu'on les perçoit à tort comme non historiques, naturelles et nécessaires. C'est là précisément le caractère de la réification.
Est-ce qu'on peut rompre cette circularité ? C'est la question de la possibilité d'une conscience «vraie» ou conscience révolutionnaire. La théorie de la conscience de classe de Lukács a pour but d'identifier les conditions d'une transcendance de l'immédiateté, d'une démystification de la forme de l'objectivité de la société. Cette démystification se produit dans la conscience de classe prolétaire par une révision métacritique de la forme d'objectivité. L'apparence sociale — la réification — et la réalité sociale sont médiatisées au niveau de l'expérience vécue, et non pas simplement dans une théorie scientifique ou philosophique. C'est la découverte de cettemétacritique pratique qui promet non seulement la vérité de la réalité sociale, mais également sa transformation. L'expérience vécue du prolétariat rend possible une révélation singulière des limites culturelles du capitalisme, tout en promettant une véritable transcendance de ces limites.

Le capitalisme se différencie de toutes les autres formations sociales qui l'ont précédé par le fait que la forme réifiée de l'objectivité de son économie joue le rôle principal dans sa reproduction. Les sociétés précapitalistes assurent leur reproduction par des mécanismes culturels, comme la tradition et la religion, qui sont moins enracinées dans l'économie. Du coup, la lutte de classe n'est pas fonctionnellement située là où elle pourrait menacer la survie globale du mode de production, même si elle peut malgré tout menacer des institutions, des lois et des dirigeants particuliers. En régime capitaliste au contraire, la lutte de classe a des conséquences dévastatrices parce qu'elle a une incidence directe sur les bases les plus fondamentales de la société. La conscience de classe déréifiante du prolétariat qui émerge dans le contexte des luttes économiques a le même type d'impact culturel général que laréification elle-même. C'est pourquoi Lukács écrit que « le processus de la révolution est, à l'échelle historique, synonyme de processus d'évolution de la conscience de classe prolétarienne (18) ».

La théorie marxiste donne une interprétation de la conscience de classe qui allie le matérialisme historique et la révolution socialiste comme les deux faces de la même médaille. Il n'est plus nécessaire de faire des déclarations ad hoc pour défendre la théorie, en expliquant, par exemple, que la révolution peut dans certains cas exceptionnels renverser la domination normale de la base sur la superstructure. On ne conçoit plus la révolution comme une réaction de la part de la superstructure sur la base, pas plus qu'on ne conçoit la base en termes étroitement économiques. La base est un système de pratiques qui établit la réification comme forme d'objectivité de la société entière. Sa transformation ne dépend pas de l'efficacité exceptionnelle de la conscience, mais de la dynamique de tout le système culturel. Lukács écrit donc :
      Aussi brutalement matérielles que sont d'ordinaire dans les cas particuliers les mesures coercitives de la société, il n'empêche qu'essentiellement la puissance de toute société est une puissance spirituelle, dont seule la connaissance peut nous libérer — non pas une connaissance seulement abstraite et purement cérébrale (beaucoup de «socialistes» possèdent une telle connaissance), mais une connaissance devenue chair et sang c'est-à-dire, selon l'expression de Marx, une «activité pratique-critique » (20).



Extrait de Philosophie de la praxis Marx, Lukács et l’École de Francfort de Andrew Feenberg . Editions LUX 2016. p. (structure et capacité d'agir : 465-494p.)

Titre Vosstanie (le sous est l'original)


NOTES
(4) Karl Marx, Misère de la philosophie, dans Œuvres, t. 1, Économie I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade», 1963 [1847], p. 84.

(5 ) Karl Marx, Le Capital, dans Œuvres, t. 1, Économie I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1963 [1867], p. 550.

(6 ) Ibid., p. 556.

(7). Pour une analyse brillante de l'antinomie, voir Pierre Bourdieu, Esquisse d'une théorie de la pratique, Paris, Seuil, coll. « Points», 2000 [1972]. Anthony Giddens propose une autre analyse dans La constitution de la société. Éléments de la théorie de la structuration, Paris, PUF, 2012 [1984]. Pour une première approche à l'antinomie, voir Hans Freyer, Theory of Objective Mind, Athens, Ohio University Press, 1998 [1923].

(8) Lukács, Histoire et conscience de classe, op. cit., p. 59.

(9) Ibid., p. 243. Voir, pour un exemple, Karl Kautsky, La dictature du prolétariat, Paris, Union générale d'éditions, 1972 [ 1918]. Pour une analyse détaillée du problème du déterminisme à cette époque, voir Lucio Colletti, « Bernstein and the Marxism of the Second International », dans From Rousseau to Lenin, New York, Monthly Review, 1972. Sur Marx et le déterminisme, voir Donald MacKenzie, « Marx and the Machine », Technology and Culture, vol. 25, n° 3, juillet 1984.

(10) « Lettre à Joseph Bloch, 21 septembre 1890 », dans Frederick Engels et Karl Marx, Études philosophiques, Paris, Éditions Sociales, 1961 [1895].

(11) Ibid.

(12) Lukács, Histoire et conscience de classe, op. cit., p. 221.

(13) Karl Marx et Friedrich Engels, L'idéologie allemande, dans OEuvres, t. 3, Philosophie, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982 [ 1932], p. 1056.

(14) Ibid., p. 1055.

(15) Lukács, Histoire et conscience de classe, op. cit., p. 109.

(16) Karl Marx, Introduction générale à la critique de l'économie politique, «La méthode de l'économie politique », dans Œuvres, t. 1, Économie I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1963 [ 1857], p. 245.

(17) Lukács, Histoire et conscience de classe, op. cit., p. 230.

(18 ) Lukács, Histoire et conscience de classe, op. cit., p. 367.
(19) Ibid., p. 300.

mardi 29 novembre 2016

La foire à la peste est ouverte !

La foire à la peste est ouverte !



Galilée
“Tu vois, moi, Sagredo, j’ai confiance en l’homme, cela veut dire que j’ai confiance en sa raison. Sans cette confiance, mais je n’aurais pas la force de me lever le matin de mon lit.

Sagredo
Et bien moi, je vais te le dire, je n’ai pas confiance. 40 années passées parmi les hommes m'ont toujours fait constater qu’ils ne sont pas accessibles à la raison. Montre-leur la queue rouge d’une comète, donne-leur une sourde angoisse, ils sauteront par la fenêtre et se fracasseront les jambes. Mais dis-leur quelque chose de raisonnable, fournis-leur 36 preuves et ils te riront au nez.

Galilée 
C’est une erreur complète et une calomnie. Je ne comprends pas comment, croyant une chose pareille, tu peux aimer la science. Il n’y a que les morts que les arguments ne fassent pas bouger.”


La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht




La grande foire à la “peste” est ouverte ! Patriotisme, nation, identités réifiées. On ne sait plus trop exactement s’il s’agit d’une braderie générale ou d’une “politique de la demande”. Rien à redire des étals, elles sont parfaitement achalandées de toutes les guirlandes idéologiques du ressentiment et des vieux vins rances issues des fonds de cuves du rejet de l’Autre.

Tous sont venus prendre part au petit commerce de la peur, de l’incertitude et des émotions.

Entre la camelote raciste et les bibelots xénophobes quelques stands de la gauche-ridicule proposent une longue canne en plastique pour une pêche aux canards tricolores, d’autres un petit tour dans des antiques et sales trains aux fantômes sadiques. “Freddy Krueger” président !

En embuscades quelques rabatteurs déguisés de bruns et ou de rouges proposent des tickets de réduction pour les voitures tamponneuses identitaires tout en indiquant que ceux-ci sont valables pour toutes les attractions à “sensations”. Montagnes religieuses & chutes vertigineuses garanties...

Les kermesses du mensonge sont toujours à leurs apogées quand tombe la nuit. Néons et éclairages s’entremêlent alors d’odeurs grasses et de saccharose rouge sang de la pomme d’amour de la haine en commun.

On aura presque autant rigolé qu’eu une putain de flippe en ayant failli vomir en sortant de la grande caravelle qui se balance violemment de gauche à droite en feignant toujours le tour complet. L'illusion d’une traversée en restant bien au sec. Quant au vent rien à faire il reste toujours aussi mauvais et pour cause, il ne souffle pas. La “pureté” de la pestilence et des miasmes seront donc garanties 100% stagnants.

Mais c’est l’heure de partir et on y reviendra ou pas.

Le problème c’est qu’on a plus une thune.

Tout est parti dans la machine à pince aux promesses.

Combien de temps faudra t-il pour percer à jour l’arnaque de ce plan foireux ?

De ceux qui s’amusent et s’engraissent des frayeurs enfantines, des angoisses sourdes et sombres, et le font toujours avec un goût de revenez-y.

Car en bons marketeurs ils entremêlent toujours l’abjecte à la sidération, le rire à la fascination morbide. Pour mieux vendre ce désir de fausse unité aux foules désagrégées par l’exploitation, et aux innombrables formes de misères.

Dont les ciments sont la réclusion et l’expulsion, le rejet par la “norme” ou la défense d’un confort précaire.

Le poker pour se “refaire”, comme une attente mystique d’un salut par la providence de sa petite démerde personnelle ou celle de l’attente mythique de l'homme droit dans “ses bottes”.

Face à la déréalisation qui semble totale nous est-il encore possible d’être confiant à l’heure du post-factuel ? Il n’est pas simple de dépasser le dégoût, et de constater le caractère répétitif et névrotique des “signes” du temps.

Si le rationalisme reste notre meilleure arme face au déchaînement du commerce des émotions qui polarise une dynamique d'évacuation de la domination de classe et de l’exploitation c’est aussi parce que nous ne sommes plus en capacité de structurer une vision globale. Aurions-nous évacué toute dimension totale et même utopique de nos engagements ?

Il en va de même de la dimension éthique, non comprise comme morale mais comme comme possibilité. Non comme praxis de l’alternative (1) mais comme historicité de la lutte et de la résistance collective. Non comme la somme des frustrations et des rancœurs des sectes spécialisées, mais comme abolition et dépassement.

Il s’agit d’une piste qui nous donnera peut-être la force de nous lever le matin de notre lit pour éviter de finir un soir par nous jeter sous les roues du wagon scénique de la foire aux fantômes.



Note

(1) La fameuse “utopie concrète” récupérée à toutes les sauces nationales-démocrates et éclatées.

jeudi 24 novembre 2016

L'antisémitisme contre la conscience de classe - (Extrait) de Günther Anders - Matériaux pour une émission (13)

L'antisémitisme contre la conscience de classe *
Matériaux pour une émission (13)

 
"L'un des principes de la politique du Führer national-socialiste était de faire disparaître toute trace de conscience de classe. Ils y sont arrivés, avec un succès effrayant, parce qu'aux millions de malheureux, victimes du "sys­tème", prolétaires au chômage et petits-bour­geois prolétarisés, ils ont offert un groupe d'hommes par rapport auxquels ils — je veux dire les prolétaires — pouvaient, non, devaient se sentir supérieurs, un groupe que, pour se défouler de la haine accumulée, ils pouvaient, non: devaient détester, un groupe qu'à leur tour, ils pouvaient, non: devaient traiter comme des victimes. Dans la langue de la poli­tique, "pouvoir" signifie toujours "devoir" ou "être obligé de". Dans mon livre Die molussische Katakombe [La Catacombe de Molussie], le principe de la dictature s'énonce ainsi: "si tu veux un esclave fidèle, offre lui un sous-esclave !" Plus encore : du fait que l'on accor­dait aux malheureux l'étiquette "d'aryens" refusée aux Juifs, ils s'en trouvaient carrément anoblis. Comme leur prétendue appartenance à la "race des seigneurs" leur donnait l'air d'être des seigneurs, ils oubliaient qu'ils n'étaient toujours que des esclaves. Pour leur procurer le sentiment d'être nobles, on avait besoin d'un repoussoir, de sous-hommes, c'est-à-dire de nous. Si nous n'avions pas existé, Hitler nous aurait inventés. C'est pour­quoi son antisémitisme n'était pas un attribut du national-socialisme parmi d'autres, mais le moyen de gagner le combat contre la con­science de classe et la lutte des classes. "

Extrait de : Et si je suis désespéré que voulez-vous que j'y fasse ? Günther Anders, Editions ALLIA 2001.


* Titre Vosstanie. 

Bien sûr ceci est valable pour tous les racismes ! « rassembler » en excluant. Diviser pour régner. Séparer pour exterminer.

mercredi 23 novembre 2016

Mais, au fond, qu'est-ce que la conscience de classe? * (Paul Mattick) - Matériaux pour une émission (12)

Mais, au fond, qu'est-ce que la conscience de classe? *


« Les réformistes n'avaient aucun principe à «trahir». Ils restaient ce qu'ils avaient toujours été, mais ils étaient maintenant contraints de sauver le système où leur pratique chérie pouvait se poursuivre. Il leur fallait réduire la révolution à une pure réforme pour être accord avec leur conviction profonde et, incidemment, pour assurer leur existence politique. La seule chose dont on peut s'étonner, c’est qu'il y ait eu tant d'ouvriers socialistes pour penser que les réformes ne seraient qu'une étape sur la voie de la révolution sociale, ou pour adopter cette idéologie. Au moment où l'occasion leur donnée de réaliser leur « mission historique », ils ne la saisissaient pas, préférant le « chemin facile » de la réforme sociale et de liquidation de la Révolution. Répétons une fois de plus qu'il n’y a pas là confirmation de la proposition de Kautsky et Lénine su l'incapacité de la classe ouvrière d'élever sa conscience de classe au-delà du trade-unionisme car la classe ouvrière allemande avec sa forte éducation socialiste était parfaitement apte à concevoir une révolution sociale pour renverser le capitalisme. D'ailleurs, ce n'était pas la « conscience révolutionnaire » que les intellectuels de la classe moyenne injectaient dans la classe ouvrière, mais leurs propres idées réformistes et opportunistes. Ils minaient ainsi la conscience révolutionnaire qui aurait pu y germer. Le révisionnisme marxiste, n'est pas né dans la classe ouvrière, c'est un produit de sa direction, pour laquelle syndicalisme et parlementarisme étaient des moyens suffisants pour réaliser un développement social progressiste. Tout simplement, il transformait une pratique historiquement restreinte du mouvement ouvrier en théorie du socialisme et, en monopolisant l'idéologie, il se montra capable d'influencer les ouvriers.



Pourtant, les ouvriers ne se montrèrent que trop enclins à partager les convictions réformistes de leurs dirigeants. Lénine y voyait une preuve suffisante de leur incapacité congénitale de développer une conscience révolutionnaire, ce qui les condamnait à suivre la direction réformiste. La solution était donc simplement de remplacer les dirigeants réformistes par des dirigeants révolution­naires qui ne « trahiraient » pas le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière. C'était donc une question de « direction correcte », c'est-à-dire de lutte entre intellectuels pour conquérir les esprits des ouvriers, de compétition entre idéologies pour obtenir le ralliement du prolétariat. C'est donc le caractère du parti qui est l'élément décisif dans le processus révolutionnaire même si le parti doit gagner la confiance des masses, leur faire reconnaître intuitivement qu'il représente leurs intérêts, intérêts qu'elles sont, par elles-mêmes, incapables d'exprimer sous forme d'action politique effective.



Simultanément, la différence entre classe et parti était vue comme une expression de leur identité, car le parti compense l'absence de conscience politique du prolétariat moins éduqué. Contrairement à la théorie marxienne pour qui ce sont les conditions matérielles et les relations sociales qui sont responsables de la montée d'une conscience révolutionnaire dans le prolétariat, la conception social-démocrate — réformiste ou révolutionnaire — estimait que c'étaient justement ces conditions qui empêchaient les ouvriers de reconnaître leurs propres intérêts de classes, de trouver la voie et les moyens de les faire triompher. Selon cette conception, les ouvriers sont bien capables de se révolter, mais pas de transformer leur colère en action révolutionnaire victorieuse et en changements sociaux significatifs. Là, ils ont besoin de l'aide des intellectuels de la classe moyenne qui font leur la cause des ouvriers, même si, ou parce que, les intellectuels ne partagent les privations de la classe ouvrière, ces privations qui, du point de vue marxien, transformeront les ouvriers en révolutionnaires. Cette notion élitiste sous-entend, cela va de soi, que, quoique les idées aient leur source dans les conditions sociales matérielles, elles n'en sont pas moins l'élément irremplaçable et dominant dans le processus de transformation sociale. Mais, en tant qu'idées, elles sont le privilège de ce groupe social qui, étant donné la division du travail, répond à ces exigences.



Mais, au fond, qu'est-ce que la conscience de classe? Si c'est reconnaître la position de chacun dans la société, elle est immédiate: le bourgeois sait qu'il appartient à la classe dominante, l'ouvrier que sa place est parmi les dominés et les groupes sociaux qui sont entre les deux ne se comptent ni dans l'une, ni dans l'autre des deux classes fondamentales. Il n'y a aucun problème aussi longtemps que les différentes classes adhèrent à une idéologie unique, c'est-à-dire à l'idée que les relations de classe existantes sont naturelles et dureront toujours, car elles sont l'expression d'une caractéristique fondamentale de la condition humaine. Or, bien entendu, les intérêts matériels des diverses classes divergent, ce qui conduit à des frictions sociales et à un conflit avec l'idéologie commune. Progressivement, on vient à reconnaître que cette idéologie est celle de la classe dominante, qu'elle défend l'arrangement social existant, qu'elle doit être rejetée lorsqu'elle prétend être l'expression de l'inévitable destinée de la société humaine. L'idéologie dominante doit donc disparaître avec l'extension de la conscience de classe dans la sphère de l'idéologie. Les différences d'intérêt matériel se traduisent en différences idéologiques et, de là, en théories politiques qui reposent sur les contradictions sociales concrètes. Ces théories politiques peuvent être tout à fait rudimentaires par comparaison à la complexité des problèmes sociaux, mais, néanmoins, elles représentent un changement par rapport à la conscience de classe pure et simple: elles débouchent sur la compréhension que les arrangements sociaux peuvent être différents de ce qu'ils sont. On est alors sur la route qui mène de la conscience de classe pure à la conscience révolutionnaire, celle qui voit que l'idéologie dominante ne règne que par la confiance mise en elle, et qui s'attache à découvrir moyens et chemins pour changer les conditions existantes. Si tel n'était pas le cas, alors aucun mouvement ouvrier ne pourrait naître et le développement social ne serait pas caractérisé par la lutte de classes.

De même que l'idéologie dominante ne suffit pas pour main­tenir les relations sociales existantes, mais que celles-ci doivent être aussi étayées par les forces matérielles de l'appareil d'État, de même une contre-idéologie n'est qu'une contre-idéologie si elle ne peut produire des forces matérielles plus puissantes que celles correspondant à l'idéologie dominante. S'il n'en est pas ainsi, la qualité de la contre-idéologie — qu'elle soit essentiellement intuitive ou qu'elle repose sur des considérations scientifiques — n'a aucune espèce d'importance, et pas plus les intellectuels que les ouvriers ne peuvent changer les relations sociales existantes. Les révolutionnaires peuvent être, ou ne pas être, autorisés à exposer leurs vues, selon la mentalité qui règne dans la classe dominante, mais quelles que soient les conditions, ils ne peuvent déloger cette classe par de simples moyens idéologiques. De ce point de vue, la classe dominante a tous les avantages puisqu'elle détient les moyens de production et les forces de l'État, ce qui lui permet de contrôler les instruments de diffusion et de perpétuation de sa propre idéologie. Comme cet état de fait persiste jusqu'au renversement réel du système social considéré, les révolutions doivent toujours se déclencher avec une préparation idéologique insuffisante. Bref, la contre-idéologie ne peut triompher que par une révolution qui met les moyens de production et le pouvoir politique aux mains des révolutionnaires. Tant que ce n'est pas accompli, la conscience de classe révolutionnaire reste toujours moins efficace que l'idéologie dominante. »

Extrait de Marxisme, dernier refuge de la bourgeoisie ? Paul Mattick, Éditions Entremonde 416 p. 2011.

* Titre de l'extrait Vosstanie.



lundi 21 novembre 2016

Du point de vue prolétarien - Matériaux pour une émission (11)

Du point de vue prolétarien.


Quelles sont les conditions de possibilité d'une connaissance de la réification? Quelle perspective peut déchirer le voile mystificateur de la "choséité"? A partir de quel point de vue peut-on découvrir le noyau social et humain derrière les formes réifiées de l'univers mar­chand?

Autour de cette problématique, Lukács avance quelques éléments pour une sociologie marxiste de la connaissance, qui, malgré leur caractère fragmentaire et non systématisé, pré­sentent le plus grand intérêt méthodologique. Son hypothèse fondamentale est "l'intime interaction entre la méthode scientifique qui naît de l'être social d'une classe, de ses nécessités et de ses besoins de maîtriser conceptuellement cet être, et l'être même de la classe (18)".

Par rapport à la réification, cela signifie que les différentes classes sociales ont une démarche cognitive distincte, et une capacité de compréhension différente du phénomène, de sa genèse et de sa structure. La capacité ou incapacité d'un économiste à dépasser l'immédiateté, la forme réifiée des rapports socio-économiques, ne découle pas de ses qualités individuelles, mais du point de vue de classe ("l'être social") auquel se rattache son interprétation de la réalité.


Pour Lukács, une science qui se situe du point de vue de la bourgeoisie ne peut pas percer à jour les formes réifiées; les limites de la pensée bourgeoise se situent déjà au niveau de sa problé­matique, des questions qu'elle pose ou refuse de poser. Les questions sur la naissance et la dispa­rition des formes capitalistes et du rapport marchand tendent à s'éclipser de l'horizon intel­lectuel qui correspond à l'être social de la bour­geoisie, dans la mesure où pour celle-ci "le monde réifié apparaît [... ] comme le seul monde pos­sible (19)". La pensée bourgeoise se heurte ainsi à une barrière infranchissable, par son refus d'envi­sager l'historicité de l'ordre des choses existant, considéré comme immuable et régi par des "lois naturelles". La conscience de classe de la bour­geoisie, qui est liée à la situation objective de la classe, tend à l'occultation de la réalité "dès l'instant où surgissent des problèmes dont la solution renvoie au-delà du capitalisme (20 )".

Cela ne signifie nullement qu'il faudrait faire tabula rasa de la pensée bourgeoise, de l'ignorer comme une "erreur", dépourvue de valeur cogni­tive, ou de la rejeter comme une "idéologie préscientifique". Malgré son caractère unilatéral, la science produite par les grands penseurs origi­naux de la bourgeoisie (qu'il faut distinguer des épigones, éclectiques et apologistes) est, d'après Lukács, "un moment nécessaire dans l'édifice méthodologique de la connaissance sociale (21)", D'autre part, la pensée bourgeoise peut atteindre une vision claire de problèmes particuliers, de certaines connexions de faits économiques, sans pour autant pouvoir dépasser certaines limites précises dans la compréhension de la totalité du mouvement social et historique (22).

Paradoxalement, Lukács n'essaye pas de découvrir les racines sociales du courant néo-romantique, et ne pose pas la question du point de vue de classe des sociologues allemands dont il s'inspire: Tönnies, Simmel, Weber, etc. Il y a dans Histoire et conscience de classe une référence intéressante au romantisme anticapitaliste (le terme n'apparaît pas encore), à propos de Sismondi et de Carlyle: les deux sont décrits comme auteurs d'une analyse du capitalisme et de la bourgeoisie d'un point de vue "féodal et réactionnaire", mais en même temps éclairant et critique.

L'oeuvre de Sismondi constitue aux yeux de Lukács la première reconnaissance de la vraie problématique du capitalisme — malgré ses buts réactionnaires. Quant à Carlyle, il est pour lui un des auteurs qui ont décrit, de la façon la plus vigoureuse, "l'inhumanité, l'essence tyran­ nique et destructrice de toute humanité inhérente au capitalisme", même si son opposition de l'"organicité" du passé à la réification moderne a — comme chez les romantiques en général — un caractère "nettement réactionnaire"(23).

Lukács n'essaye pas de rattacher les sociolo­gues allemands du tournant du siècle à ce courant (il le fera plus tard, mais de façon très schémati­que et négative, dans la Destruction de la raison, (1953); au contraire, il se contente de classer Simmel sommairement sous l'enseigne "pensée bourgeoise"; il reconnaît, néanmoins, qu'il appartient à une catégorie à part: celle des penseurs qui ne veulent pas nier ou camoufler le phéno­mène de la réification, "qui ont même vu plus ou moins clairement ses conséquences humaines désastreuses", mais qui ne vont pas au-delà de la simple description, qui restent au niveau des formes extérieures d'apparition (par exemple l'ar­gent), et surtout, qui envisagent la réification comme un fait intemporel, comme le fait par exemple Simmel dans la Philosophie de l'argent (1900), livre que Lukács juge "très pénétrant et intéressant dans les détails (24)". Après sa dé­monstration vigoureuse de l'impossibilité de saisir, du point de vue de la bourgeoisie, le phénomène de la réification (et encore moins de le critiquer comme inhumain) comment Lukács explique-t-il l'apparition d'une pensée "bourgeoise" comme celle de Simmel ? En réalité, la problématique de Simmel est étroitement liée au courant anticapi­taliste romantique, qui exprime les aspirations, critiques et conceptions de couches précapitalistes, (non bourgeoises) comme par exemple le mandarinat universitaire allemand traditionnel, menacées par le développement vertigineux du capitalisme industriel en Allemagne. L'incapacité ou le refus d'analyser les bases socio-historiques de la science sociale allemande du tournant du siècle — c'est-à-dire d'une des principales source de sa propre pensée — est une des limitations) plus évidentes de la sociologie de la connaissance esquissée par Lukács dans Histoire et conscience de classe. A ce propos, le silence sur Max Weber est caractéristique: la justesse, la pertinence et l'intérêt de certaines de ses analyses du capitalisme, de la réification ou de l'État moderne sont, soulignés à plusieurs reprises par Lukács, sans qu'il essaye de poser la question du point de vue de classe du maître de Heidelberg. Ce silence résulte, à notre avis, du modèle dychotomique utilisé par Lukács, qui tend à considérer la bourgeoisie et le prolétariat comme les seules classes capables de développer un point de vue globalisant (totalisateur) sur la réalité sociale, modèle à l'intérieur duquel la science de Max Weber, avec ses étranges convergences avec le marxisme, est rigoureusement "inclassable" (25).

On sait que dans la Destruction de la raison (1953) — un ouvrage marqué par l'empreinte du stalinisme —, Lukács va condamner Max Weber, Simmel, Tönnies, Dilthey, etc., au purgatoire des penseurs "irrationalistes", involontairement pré­curseurs du fascisme. Par contre, en 1966, dans une conversation avec Abendroth, Kofler et Holz, le vieux Lukács "poststalinien" affirmera: "au­jourd'hui il ne me déplait pas d'avoir appris les premiers éléments de la science sociale chez Simmel et Max Weber, plutôt que chez Kautsky. Et je ne sais pas si l'on ne pourrait pas dire que pour mon évolution cela a été une circonstance favorable (26)." En effet, comme il le reconnaît lui-même, implicitement la contribution de la sociologie allemande critique du début du siècle a été mise à profit par Lukács pour combattre le courant néo-positiviste, évolutionniste et teinté d'économisme, qui dominait la doctrine officielle de la IIe Internationale, et pour façonner sa propre interprétation historiciste-révolutionnaire du marxisme.

 Si, du point de vue de la bourgeoisie, on ne peut pas déchirer le voile de la réification et si les penseurs comme Simmel restent au niveau de la surface, de quel point de vue de classe la com­préhension authentique de la réalité sociale capi­taliste et la dissolution des formes réifiées est-elle possible? Dans Histoire et conscience de classe Lukács attribue au point de vue du prolétariat la possibilité objective d'accéder à la compréhension de la totalité sociale et à la connaissance du substrat réel derrière les multiples figures de la réification. Pourquoi ce privilège épistémologique pour la perspective prolétarienne? Précisément parce que dans le prolétariat la réification atteint son paroxysme, sa forme la plus complète et la plus radicale: contrairement au capitaliste, qui a l'illusion d'une activité autonome, l'ouvrier est explicitement réduit à l'état de pure marchandise, à une pure quantité, à un pur objet du processus de production. Cependant, il tend à résister à cette réification totale, tout d'abord dans la mesure où il ressent les différences quantitatives du temps de travail — simple chiffre calculable pour le capitaliste — comme des "catégories décisives et quantitatives de toute son existence physique, mentale, morale, etc. (27)." Lukács ne développe pas cette remarque, mais elle permet précisément de comprendre pourquoi la revendication de la journée de travail de 8 heures a eu une place tellement importante dans la genèse du mouvement ouvrier organisé moderne. A partir de cette première résistance à la quantification et "chosification" de sa force de travail, c'est sa propre condition de marchandise (et, par la suite, selon Lukács, l'ensemble du système réifié) qui se trouve mise en question par le travailleur: "En se manifestant, l'objectivité spéciale de cette sorte de marchandise qui, sous une enveloppe réifiée, est une relation entre hommes, sous une croûte quantitative, un noyau qualitatif vivant, permet de dévoiler le caractère fétichiste de toute mar­chandise, caractère fondé sur la force de travail comme marchandise (28)." La reconnaissance que les formes d'objectivité sociale ne sont pas des choses mais des relations entre hommes aboutit à leur complète dissolution en processus: la "choséité" (Dinghaftigkeit) du capital se dissout dans le mouvement de sa production et reproduc­tion par le prolétariat; qui apparaît maintenant comme le véritable sujet de ce processus (29). Nous ne pouvons pas, dans le cadre de cet essai, examiner les diverses implications et problè­mes soulevés par cette thèse de Lukács; nous nous limiterons à remarquer qu'elle pourrait faci­lement conduire à un réductionnisme socio­logique, par exemple en identifiant la connais­sance objective de la réification avec la conscience de classe empiriquement donnée du proléta­riat. Lukács essaie d'échapper à ce danger en sou­lignant que le point de vue du prolétariat offre seulement la possibilité objective d'une con­naissance plus adéquate de la société capitaliste et de ses formes réifiées(30). Le zugerechnetes Bewusstsein, la conscience de classe "adjugée", ou, pour employer le terme proposé par Lucien Goldmann, la conscience possible du prolétariat, qui dissout la pétrification réifiée, n'est pas l'ensemble des pensées empiriquement vérifiable dans la classe ouvrière à un moment donné, mais l'expression rationnelle adéquate des intérêts objectifs de la classe (31). En d'autres termes: le privilège épistémologique (le terme n'est pas de Lukács) attribué au prolétariat par rapport aux autres classes sociales ne signifie nullement que toute connaissance qui se situe dans le camp du mouvement ouvrier est plus adéquate — sinon comment expliquer que Simmel et Weber étaient à certains égards préférables à Kautsky? —, mais uniquement que le point de vue prolétarien ouvre la possibilité d'une connaissance qualitativement supérieure.


Extrait de Marxisme et romantisme révolutionnaire (essais sur Lukács et Rosa Luxemburg) de Michael Löwy. Editions le Sycomore 1979.

NOTES


(18)HCC, p. 135.

(19) HCC, p. 140,

(20) HCC, p. 77.

(21) HCC p. 205.

(22) HCC, p. 261.

(23) HCC, pp. 57, 173, 235, 260.

(24) HCC p.123.

(25) HCC, p.83 Pour une esquisse d'analyse de la vision de Max Weber et de ses liens complexes avec l'anticapitalisme romantique, voir notre ouvrage Pour une sociologie des intellectuels...pp.44-51.

(26) Conversazioni con Lukacs, di Wolfgang Abendroth, Hans Heinz, Leo Kofler, De Donato Editore. 1968. p 122.

(27) HCC, pp. 207-208.

(28 ) HCC. p. 211.

(29 HCC. p. 224; Geschichte und Klassenbewusstsein, p. 366.

(30) Sur la différence entre le concept de possibilité objective chez Max Weber et chez Lukács, voir Arato, op. cit., pp. 62-63.