Histoire populaire de la révolution portugaise de 1974-1975 de Raquel Varela aux Éditions Agone (2018)
DU NOUVEAU au 18/10/2018
Nous venons d'apprendre que le titre de l'ouvrage annoncé depuis des mois sur toutes les bases et catalogues comme Histoire populaire de la révolution portugaise vient par on ne sait qu'elle opération de se transformer en Un peuple en révolution - Portugal 1974-1975.
On lira notre analyse sur l’édition en langue française de l'ouvrage.
Des œillets fanés pour un Agonisant
(du 5/01/2019)
Ce texte aurait pu ne pas prendre forme, ce qu’il soulève aurait pu rester confiné dans les quelques minutes que nous y consacrons dans notre émission sur la Lutte des classes au Portugal (2014). Mais la publication prochaine d’un ouvrage aux éditions Agone, maison d'Édition considérée comme proche d’un milieu dit anti-autoritaire au sens aussi large que confus nous incite à nous saisir de notre clavier. Non pour rétablir une certaine « justice » ou critiquer une ligne éditoriale dont on se moque complètement. On laissera d’ailleurs au seul lecteur le soin d’évaluer sous quel angle, il s’agit d’analyser la publication de ce titre. Bêtise, inculture politique, copinage universitaire ou coup éditorial ?
Pour notre part, il s’agira plutôt de traiter ici de ce que cet ouvrage passe volontairement sous silence et des conséquences de la falsification historique sur le plan politique. Pourquoi est-ce que cela nous semble important ? Parce qu’il sera le seul ouvrage en France sur la question dite du 25 avril 1974 à être disponible pour un large public francophone.
Le
business du populaire
L’ouvrage
à paraître sous le titre de :
Histoire populaire de la révolution portugaise de
Raquel
Varela (RV) est donc la traduction d’un ouvrage paru en 2014, année
des 40 ans de la révolution dite des « Œillets » dans
les fusils ou le 25 avril,
il
est paru chez Bertrand
Editora
au Portugal sous le titre História
do Povo na Revolução Portuguesa 1974-75.
La
première curiosité au risque de paraître fort pointilleux relève
dont le titre a été traduit. História do
Povo na Revolução Portuguesa ce qui peut se
traduire littéralement, par Histoire du peuple dans la révolution
portugaise devient chez Agone une Histoire
populaire de la révolution portugaise.
Ainsi
nous sommes passés du peuple au populaire. Si le « peuple »
semble de plus en plus « populaire » pour le pire de ce
concept aussi vague qu’inter-classiste, il n’en demeure pas moins
que ce qui est « populaire » semble faire le consensus
surtout dans le milieu de l’édition qui s’est très vite
HowardZinnisée2.
La subalternité
est à la mode. Elle permet autant de segments, de niches de
publication que d’éclatement des sujets, pour cette lutte des
places dans les universités. La course est à celui qui trouvera un
objet d’étude original ou qui n’a pas été trouvé par son
concurrent potentiel. On ne sait pas trop qui alimente qui dans cette
circularité (université/Édition) en revanche elle se nourrit de la
subjectivation bien concrète des sujets
sans objets 3
dans
la course aux marchés des identités et à leurs manipulations.
Il
ne s’agit pas de développer ici que la révolte de ceux
d’en bas n’est pas à privilégier, mais
l’on assiste à un tel éclatement des champs interprétations par
des cohortes d’entomologistes « du peuple » et du
populaire appointés par les États, que tout ceci en vient à se
dissoudre dans un vague magma émeutier et de revendications
intégratrices, ou plus aucune perspective historique de remise en
cause globale et totale du mode de production marchand et de ses
médiations ne semble plus être questionnée.
Sans
aucun doute, il s’agit ici d'une manne pour les spécialistes de
l’hégémonie culturelle susceptible de leur offrir des postes de
pouvoirs intellectuels et politiciens, mais aussi des rétributions
sous forme de subventions.
Du
Parti de la mémoire d'État 4
à l’Avant-garde de l’oubli.
Lors
d’un débat organisé dans un local militant en 2014 où il était
question de la situation sociale au Portugal et des dernières luttes
de la fin des années 2000 un participant pouvait affirmer qu’il ne
restait que des chansons de cette époque où l’on pouvait parler
de 1974 à 1976 du Processus révolutionnaire
en cours (PREC).
Dans un autre cadre un participant du mouvement de cette époque plus
pessimiste encore considérait que ces chansons ne faisaient écho à
rien et qu’en toute logique il n’en restait plus rien.
Le
refoulement et l’oubli ont été alimentés par la défaite et les
désillusions des prolétaires. Le trauma des guerres coloniales est
toujours présent et la vaste analyse à faire sur le sujet est
susceptible de briser la liturgie commémorative du 25 avril ou
de faire fuir le touriste qu’on évitera de faire passer pour un
néocolon. Le livre de R.V sachons lui concéder au moins cela, part
du « bas » et n'évite pas l’importance de la question
coloniale, de la répression et du soulèvement des prolétaires
noirs des pays colonisés par le Portugal et donc de ces
répercussions sur son territoire.
Mais
au fur et à mesure de notre lecture l’ouvrage, parsemé de
chronologies toutes aussi inquiétantes que nécessaire s’invite la
question de la critique de l'économie politique et des options
idéologiques de l’auteure. Elles s’affirment ouvertement mais au
prix de la falsification historique et de la censure structurée
universitairement et éditorialement.
Il
peut paraître ridicule de rappeler que le Portugal est un petit pays
où l’on fait vite le tour des lieux et des individus. Le
Portugal n’existe pas 5
pouvait même écrire João
Bernardo. Recenser les idées et les pratiques peut-être assez
aisées pour qui s’en donne la peine. Pour preuve de nos jours on y
reconnaît même dans les rues les enfants des anciens fascistes qui
ont su se reconvertir dans la finance et les « affaires »
comme les anciens paysans pauvres émigrés
qui
reviennent à dates fixes pour s'enfermer dans des tombeaux
granitiques en ruines sous un soleil de plomb.
S’il
est bon de rappeler quelques évidences, c’est que pour quelqu'un
qui se lancerait dans un travail d’archives et de manière
professionnelle sur une question contemporaine comme celle qui nous
intéresse, il est assez aisé de circonscrire son sujet même si
l'entreprise demeure vaste. Le systématisme, l’accumulationnisme
bibliomaniaque et référentiel étant un des traits les plus
caractéristiques du travail universitaire, on ne peut être
qu’étonné que deux références à notre avis majeures de la
période révolutionnaire portugaise soient totalement absentes du
travail de cette autorité médiatique qu’est R.V.
Nous
n’en sommes pas si étonnés que cela puisque cette censure lui
permet de débiter à la fois des options idéologiques aussi
trotskistes que fausses, aussi autoritaires que manipulées et de
défendre un point de vue aussi frelaté que son léninisme de chaire
est aux ordres de l’État.
Notre
interrogation est tout autre en ce qui concerne la publication au
supplément au Dicionário de História de
Portugal - O 25 de Abril et édité par
Figueirinhas Editora et dirigé par António Reis, Paula Borges
Santos et Maria Inácia Rezola et dont les nombreux volumes édités
depuis 2016 6
ne mentionnent de quelque manière que ce soit le journal Combate
ses acteurs et participants, les lieux et problématiques propres de
cette initiative. La bêtise universitaire est décidément
insondable.
C’est
donc bien de cela dont il s’agit c’est-à-dire du Journal Combate
mais avec celui-ci de ce qu’a été l’autonomie ouvrière et les
pratiques radicales des prolétaires critiquant en actes, les partis
et les syndicats, le capitalisme privé ou d’État.
Ce
que fut le Journal Combate
1974-1978.7
Le premier numéro
du Journal paraît le 21 juin 1974, on y trouve son Manifeste
inaugural qui évoluera quelque peu. Le dernier ou le numéro 51,
est daté de février 1978. Les dix premiers numéros furent
hebdomadaires et bénéficièrent d’une large distribution. Du
numéro 11 (22 novembre 1974) au numéro 47
(22 octobre 1976), la périodicité fut quasiment bimensuelle.
Mais à partir du numéro 48 (février 1977) au 51
(février 1978) les tirages furent de plus en plus difficiles à
faire paraître et donc la périodicité fut irrégulière.
Combate
ne comptait ni permanents ni journalistes professionnels. Son
objectif était de faire paraître un journal qui ne soit pas
l’expression d’une idéologie particulière, même si elle avait
une ligne politique et de relater les occupations et les expériences
liées aux pratiques autogestionnaires. Des groupes de « camarades »
parcouraient le Portugal pour interviewer les membres des commissions
de travailleurs et des commissions d’habitants.
Il
interrogeait le plus souvent les travailleurs de base et tous les
numéros traitaient des problèmes des commissions de travailleurs.
Ce
qui se dégageait des numéros et du propos du journal, c’est que
le mouvement révolutionnaire portugais ne devait rien aux partis
politiques de gauche et d’extrême gauche qui furent complètement
surpris et dépassés par les événements. MRPP, UDP, PRP et MES
aucun d’entre eux ne jouèrent un rôle majeur dans le mouvement
autogestionnaire de l’époque. En fait, ces partis d’extrême
gauche étaient le bras politique de certaines factions militaires.
Quant
au Parti communiste, il essaya de renforcer la bureaucratie syndicale
embryonnaire au détriment des commissions de travailleurs. Il tenta
de mettre fin au mouvement autogestionnaire et de promouvoir sa
politique favorable au capitalisme d’État, fondée sur les
nationalisations.
Pour
Combate, plutôt que
les revendications particulières formulées par les travailleurs, ce
qui importait (même si elles étaient importantes), c’étaient
leurs formes réelles d’organisation spontanée, parce qu’il
voyait en elles la base de la démocratie ouvrière et le moyen de
détruire les structures d’encadrement du capitalisme d’État ou
Privé.
Les
51 numéros de Combate offrent un panorama de tout ce qui
s’est passé dans le mouvement ouvrier portugais entre 1974-1975.
C’est
une source importante pour tous ceux qui s’intéressent au
mouvement ouvrier de cette époque que les chiens de garde du savoir
d’État s'évertuent à censurer, car c’est probablement l’une
des dernières expériences les plus importantes de la fin du
XXe siècle.
À
ce sujet un
recueil reprenant le Manifeste du Journal et les vingt premiers
éditoriaux jusqu’au 28 mars 1975 fut publié chez
Afrontamento. Les éditions Afrontamento crées en 1963
furent des éditions « progressistes » opposées au
régime salazariste et elles existent toujours à l’heure actuelle.
Que
l'ouvrage qui date de 1975 sous le titre Capitalisme
privé ou Capitalisme d’État : Ce n’est pas un choix !
Ne soit pas cité bibliographiquement pourrait passer au mieux pour
un acte manqué, mais nous en doutons compte tenu de l’importance
des éditions dans le petit espace portugais. En revanche que la
parution des 51 numéros ! ne fasse l’objet d'aucune mention
voilà l’acmé du scandale et de la censure.
Il
en va de même du titre de Phil Mailer qui fut publié en anglais (et
en portugais9
) sous le titre The impossible revolution ?
Chez Solidarity en 1977. Phil Mailer fut l’un
des collaborateurs étrangers du journal et il y participa très
activement. Son ouvrage contient de nombreuses références et
citations extraites de Combate 10.
Il
en va de tout autant d’un participant non moins important qui fut à
la fondation du journal et au parcours atypique et qui fut édité
également chez Afrontamento on pense ici à João
Bernardo11
dont
la contribution au débat sur l’autonomie ouvrière, le fascisme,
Marx, le Marxisme, reste à découvrir en France 12.
L’objet
de la falsification
Toute
l’histoire, la pratique relayée par le journal Combate
s’oppose au point de vue de R.V. Rappelons tout de même ici que
les organisations trotskistes étaient plus que groupusculaires voir
inexistantes au Portugal. L’espace ayant été pris par le Parti
communiste Portugais (PCP) et une pléthore de chapelles
ibéro-maoïstes. L’effondrement du pouvoir ne fut pas uniquement
dû selon la doxa philo-militaire et progressiste au putsch des
capitaines d’Avril, mais
doit beaucoup aux années de luttes qui ont précédé le 25 avril.
Ceci va des révoltes dans les colonies à l'insoumission, aux
désertions, grèves, et même jusqu’à la spectaculaire lutte
armée, etc. La vacance a laissé la possibilité au « non-grand
parti », c’est-à-dire à l’a-partidarisme de prendre sa
place.
Il
était d’ailleurs assez étrange à l'époque de voir les
constructeurs de partis en tout genre tout faire pour ne pas passer
pour des partidaires.
Au-delà
des faits, des dates, RV ne peut s'empêcher dans son ouvrage de
développer une position totalement idéologique et de plaquer le
vieux mantra trotskiste tiré du programme de transition : le
contrôle dit ouvrier ou « Le contrôle ouvrier » ceci
aux événements portugais.
En
2015, une publication hors norme de 2368 pages (PDF) éditée par les
Éditions Syllepses à savoir Autogestion.
L'Encyclopédie internationale relayait son
propos13.
Il le fut également par les idiots professionnels de la revue
Période 14.
On
peut se demander dans un premier temps ce que peut bien faire ce
texte sur le « contrôle ouvrier » dans une publication
traitant d’autogestion et que R.V distingue très bien dans son
ouvrage15.
Il
faut croire que la dimension de l’escroquerie trotskienne dépasse
le cadre lusitanien.
Mais
contrairement à ce qu’affirme R.V dans cet article, il n’est
bien sûr pas vrai que « Dans les années
1970, le contrôle ouvrier constituait une revendication commune aux
jeunes libertaires, aux sociaux-démocrates et aux syndicalistes
réformistes » et
on voit plutôt mal le courant libertaire au sens large s’en
revendiquer (ou alors
par méconnaissance) comme elle le prétend dans l’introduction de
ce texte. Ceci pour des raisons assez évidentes et que développe
longuement Maurice Brinton dans Les bolcheviks
et le contrôle ouvrier - 1917-1921 16.
Si
elle parle de « désaccords » terminologique sur la
notion de contrôle ouvrier en suggérant qu’il n’aurait jamais
été convenablement défini, elle minore également la position de
M.Brinton qu’elle récupère au passage en oubliant clairement de
dire que ce dernier faisait plus que débattre de l’expression de
« contrôle ouvrier » ou faisait plus que considérer que
celui-ci pouvait « « détourner »
les travailleurs de l’autogestion, seule revendication qui remet en
cause le profit ».
Il affirmait déjà et ceci bien avant
l’année 1974 que tout devait être combattu dans cette idéologie
du contrôle ouvrier.
Pourquoi
une telle opération ? Qui pourrait passer d’ailleurs pour
surannée
puisque
chaque moment est particulier et mérite son analyse propre au risque
de virer au psittacisme politique et au dogmatisme.
C’est
que derrière ce « contrôle ouvrier » jamais vraiment
défini se cachent des objectifs politiques bien précis.
Du
contrôle ouvrier au contrôle sur les prolétaires.
En
faisant un historique confus de la notion et tout en ne la
développant vraiment jamais, elle entretient le flou à son profit
politique et tente de faire passer le contrôle ouvrier comme une
forme radicale de lutte. Mêlant d’ailleurs à sa farce les
conseils ouvriers. Ainsi sont convoqués dans son livre les noms
d'Anton Pannekoek et de Karl Korsch deux grands critiques du/des
Parti(s) et proches des idées communistes des conseils qui n’ont
jamais été des apologistes du contrôle ouvrier ou de la théorie
léniniste du double pouvoir surtout quand ils sont cités dans les
années 60-70.
Si
RV insiste tellement sur le contrôle ouvrier en dénigrant de
manière retorse et ambiguë l’autogestion (aussi limitée,
récupérée et critiquable que fut l’autogestion) c’est qu’elle
est prise sous deux feux ambigus, ceux d’être l’idéologue d’un
courant politique minoritaire et autoritaire. Comme à chaque fois
chez les léninistes, l'autogestion n’est concevable qu'après la
prise du pouvoir politique d’État (théorie du double pouvoir)
pour l'instauration de l’État socialiste !
« En
quoi consiste la dualité du pouvoir ? En ceci qu'à côté du
Gouvernement provisoire, du gouvernement de la bourgeoisie, s'est
formé un autre gouvernement, faible encore, embryonnaire, mais qui
n'en a pas moins une existence réelle, incontestable, et qui
grandit : ce sont les Soviets des députés ouvriers et
soldats. »
Lénine,
Sur la dualité du pouvoir
« Pravda » n° 28,
9 avril 1917.
Si
pendant la révolution portugaise
il y a eu une « défense » toute relative de
l'autogestion et de l’auto-organisation on constate rapidement
qu'il ne s'agissait, la plupart du temps chez les léninistes que
d'une position tactique de la part d'adversaires du Parti communiste
Portugais qui essayaient, en défendant l'autogestion, de déloger le
Parti Communiste Portugais de ses bastions.
Tout
le pouvoir au soviet ! Ce célèbre mot
d’ordre tactique léniniste qu’avait déjà décortiqué Oskar
Anweiler avec précision dans Les Soviets en
Russie (1905-1921) 17,
indique parfaitement de quoi il en retourne
stratégiquement.
« Le
contrôle ouvrier est un processus de dualité de pouvoirs qui
consiste dans l’organisation politique des travailleurs au niveau
de la production - formalisée ou non - dans le but de prendre le
pouvoir politique ».
Raquel
Varela p. 274 de
História do Povo na Revolução Portuguesa
1974-75.
En
fait, la dualité du pouvoir n’est
rien d’autre que la
théorisation du gouvernement de substitution (éternellement
provisoire) avec ses chefs et autres commissaires, qui se chargeront
de structurer la transition sans fin vers le socialisme par la
militarisation du travail si chère à Léon Trotski. En définitive
un autre gouvernement bourgeois, ou le « pouvoir des
travailleurs » est identifié, assimilé et récupéré au
profit du Parti.
Pour
des finalités assez pauvres, si on en croit d’ailleurs Trotski
lui-même dans le Programme de Transition
(1938).
Voici
un extrait de cette sempiternelle litanie répétée encore de nos
jours et jusqu'à l’écœurement par les fans
toujours téléphiles et caméléon du Staline manqué :
« Les
premières tâches du contrôle ouvrier consistent à éclairer quels
sont les revenus et les dépenses de la société, à commencer par
l'entreprise isolée ; à déterminer la véritable part du
capitaliste individuel et de l'ensemble des exploiteurs dans le
revenu national ; à dévoiler les combinaisons de coulisses et
les escroqueries des banques et des trusts ; à révéler enfin,
devant toute la société, le gaspillage effroyable de travail humain
qui est le résultat de l'anarchie capitaliste et de la pure chasse
au profit. »
Cet
« éclairage » programmatique, dont la bourgeoisie n’a
même plus peur, « ne peut être résolu
que par la IV° Internationale », ou l’avant-garde
des porteurs de vessies en forme de lanternes contre la spontanéité
« trade-unioniste » des prolétaires c’est bien connu.
Rappelons
par exemple ce que dit Lucia Bruno18
du contrôle ouvrier et qui a travaillé sur le journal Combate
et « L‘expérience portugaise19 ».
« Le
contrôle ouvrier, c’est quand un groupe de travailleurs est
reconnu par la direction d’une entreprise, qui se transforme en
cogestionnaire du capital. On parle de contrôle direct des ouvriers
par d’anciens ouvriers. Il est légal dans presque tous les pays
développés indépendamment de l’existence ou non de luttes.
Le
contrôle ouvrier se fonde sur la délégation de pouvoir, et plus
sur l’action directe. On élit des délégués qui vont représenter
les travailleurs et participer à la gestion de certains problèmes
de l’entreprise.
De
manière générale, on les limite à des questions d’ordre
interne, plus directement liées aux problèmes de main-d’œuvre.
La
séparation des délégués élus de l’ensemble des travailleurs
est inévitable, car ils ne font l’objet d’aucun contrôle par la
base qu’ils disent représenter.
Ils
finissent donc toujours par se constituer comme un pouvoir qui se
situe au-dessus des travailleurs en reformalisant la relation
dirigeants/dirigés qui caractérise toute société d’exploitation.
Pour
qu’une entreprise autogérée se sépare de la logique du profit,
en initiant le processus d’édification du socialisme, il ne suffit
pas d’élire des représentants des travailleurs pour participer de
la gestion.
Alors
que gérer signifie prendre pour soi-même des décisions en tant que
personne ou comme collectivité souveraine, ceci en pleine
connaissance des informations nécessaires, contrôler ne signifie
que superviser ou vérifier les décisions prises par d'autres.
Le
contrôle ouvrier implique une limitation de la souveraineté où
certains déterminent les objectifs, et les d’autres s’efforcent
que soient appliqués les méthodes les plus appropriées pour les
réaliser. »
La
référence à Trotski et Gramsci comme théoriciens du contrôle
ouvriers et admirateurs du modèle fordiste en dit long sur l’analyse
proposée par RV du 25 avril. Au-delà d’être totalement
idéologique et dictée par le logiciel bourgeois elle passe sous
silence toute une problématique :
- Celle qui voyait
dans les relations sociales nouvelles issues des luttes un l’élément
possible d’abolition du monde de production capitaliste qui est un
élément fondamental dans l’économie de la révolution. C’est
de cela dont elle ne parle pas ou ne veut pas parler en ne parlant
pas de Combate ou en déformant le propos de M.Brinton, ou de
l’'autonomie ouvrière réellement existante au Portugal. Mais
également d’un courant politique qui refusait les médiations
bourgeoises, le double discours, et les avant-gardes.
L'autonomie
ouvrière contre le contrôle ouvrier
Concevoir
l’autonomie des prolétaires, c'était et c’est aussi entrevoir
la critique pratique et théorique des partis et des syndicats. La
volonté de ceux qui luttaient d’en finir immédiatement avec les
rapports capitalistes sur les lieux de productions et dans toute la
vie sociale et donc de détruire toutes les casernes.
Au-delà
de son trotskisme universitaire, la problématique de RV s’inscrit
dans la pure tradition du marxisme des forces productives (orthodoxe)
qui réduit l’importance et la
signification de la critique de la plus-value dans la critique du
capital.
Comme
l’indique João
Bernardo, « le
marxisme des forces productives est l’idéologie du pouvoir ou plus
exactement une idéologie de la réorganisation et du développement
du pouvoir capitaliste » 20
Concevoir
l’activité révolutionnaire sur un mode bourgeois et séparé,
c’est ne pas comprendre que « les
relations sociales de production qui surgissent dans les luttes
collectives et actives, ne sont pas seulement antagonistes au
capitalisme, mais sont déjà, dès maintenant, le fondement d’un
nouveau mode de production »21.
Autrement
dit « ce qui importe ce n’est pas de
créer préalablement les conditions strictement matérielles, vers
un monde de production futur [nous précisons]
comme le prétend le marxisme des forces productives »22
mais le développement de nouvelles relations
sociales de production.
Il
est évident que de ces propositions se dégage une autre approche de
la question du pouvoir. Il ne s’agit pas de nier cette question,
mais d’identifier que son approche est tout autre et bien
différente de celle défendue dans le livre par R.V. Il ne s’agit
plus de conquérir l’appareil d’État, mais d’acter sa
destruction. Il s’agit dans le cours de la lutte de combattre le
fonctionnement bourgeois de l’organisation du travail, sa
militarisation, son hiérarchisme, son caractère fragmenté et
aliéné.
Sans
tomber dans l'illusion de la possibilité d'îles autonomes ou de
l’autogestion dans un monde capitaliste ou de ne pas lier les
moyens et fins, le fond et la forme.
Si
le nombre des entreprises autogérées, des terres collectivisées
fut conséquent et dictées le plus souvent par la nécessité plus
que par des discours idéologiques il en va tout autant de
l’intégration de ces expériences.
L’appel
à l’État comme pourvoyeur, l’intégration par le marché et la
normalisation de la situation par les élections ont fait le reste.
Mais
toute la gauche et l’extrême gauche ont alimenté leurs discours
et leurs pratiques d’un socialisme frelaté, d’un discours ambigu
où la socialisation des moyens de production apparaît toujours
comme synonyme d’étatisation ou la fin du capitalisme n’est que
l'élimination de la propriété privée.
Cette
démarche qui est celle de R. VARELA vise à intégrer d’une façon
détournée les prolétaires dans le camp idéologique des nouveaux
exploiteurs - les managers technocrates du capital étatisé, dont
elle est une des représentantes actuellement de par ses fonctions de
médiations dans l’appareil idéologique d’État Portugais.
Identifier la
structure du mode de production capitaliste avec la validité des
« lois du marché » établir que la disparition de ce
marché signifie la disparition du mode de production comme un tout,
c’est produire une zone de convergence idéologique entre ceux qui
veulent mettre fin à toute exploitation et ceux qui pensent
seulement la réaliser sous une nouvelle vielle forme – les
nationalisations et le capitalisme d’État.
Le journal Combate
et certains courants minoritaires du communisme antiautoritaire ou
libertaire, anarchistes même furent les seuls à dénoncer ou à
refuser le faux choix entre le capitalisme d’État et le
Capitalisme Privé.
Mais de cela il ne
sera pas question dans son livre car il s'agit d'un Autre Combat
23
Version du 16/10/2018
NOTES