mardi 27 septembre 2016

Emission: LA LUTTE DES CLASSES PENDANT LA LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (1ere partie 1789)

LA LUTTE DES CLASSES PENDANT 
LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.
1ere partie 1789.


 ÉMISSION DU 24 SEPTEMBRE 2016

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La lutte des classes pendant la Révolution française, 1re partie: 1789 avec Sandra, auteure de la brochure Révolution bourgeoise et luttes des classes en France, 1789-1799. 1re partie: de la crise de l’Ancien Régime à la chute de la monarchie (octobre 2014).

Le XVIIIe siècle est marqué dans une large partie de l’Europe occidentale par l’enrichissement et la montée en puissance de la bourgeoisie, et le début d’un processus de mutation dans le mode de production qui va amener à la première révolution industrielle. En France, la bourgeoisie développe à certains endroits une production manufacturière et de nouvelles formes de travail mais se heurte aux structures socio-économiques de l’Ancien Régime reposant essentiellement sur la réglementation, et à la noblesse, ordre privilégiée et classe dominante de la société. Celle-ci voit ses revenus baisser face à la montée des prix, mais surtout ne réinvestit pas ou très peu sa richesse issue essentiellement de l’exploitation de la terre. Afin de conserver son prestige lié à son rang, elle se réfugie dans une attitude réactionnaire. Refusant tout changement, notamment les projets de réformes fiscales mais vains de la monarchie, elle exaspère le conflit de classe avec la bourgeoisie qui espère des réformes : égalité juridique, libertés individuelles, système politique fondé sur la séparation des pouvoirs, libertés économiques et unification du marché national. Par ailleurs, la noblesse s’attire de plus en plus dans les campagnes l’hostilité des paysans, nombreux à voir leurs conditions de vie se dégrader et qui espèrent la fin du système seigneurial.

Aux tensions entre bourgeois et nobles, entre nobles et paysans, mais aussi entre bourgeois et travailleurs dans les quelques pôles manufacturiers existants, se greffe une crise économique généralisée. Les mauvaises récoltes en 1787-1788 entraînent une forte montée des prix qui fragilise les conditions d’existence des travailleurs. Leurs revenus en grande partie accaparés par l’achat de denrées alimentaires, ne leur permettent plus d’acheter des produits manufacturés, la crise touche alors le secteur industriel naissant, ce qui entraîne un chômage important. Cette situation engendre un climat d’émeutes généralisé dans toute la France, au moment où la monarchie, en proie à une grave crise de surendettement, propose une solution ultime afin de résoudre celle-ci: la convocation des Etats Généraux. Cette réunion qui débute le 5 mai 1789 ne satisfait aucunement le désir de réformes des députés bourgeois. Disposant seulement de l’appui des travailleurs urbains et ruraux, tout autant opposés à la noblesse, ils réussissent le 17 juin 1789 un coup de force en se proclamant Assemblée nationale.

La monarchie se révèle impuissante à réprimer le processus révolutionnaire en marche. La bourgeoisie proclame que ses intérêts sont universels, notamment par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (août 1789), et s’empare dans tout le pays des pouvoirs locaux. Dans le même temps, en organisant une force armée, la Garde nationale, et par la loi martiale qui permet de réprimer toute réunion en place publique, elle tente de contenir les luttes des travailleurs qui aspirent à de meilleures conditions de vie. Dans les campagnes, dès l’été 1789, les paysans veulent en finir avec l’exploitation et le pouvoir des seigneurs nobles qui durent depuis des siècles et incendient les châteaux. La question de l’accès aux subsistances, dans une situation économique difficile, devient encore plus pressante et contribue à amplifier les luttes par des actions de taxation sur les denrées de première nécessité, des pillages et des grèves pour obtenir des augmentations de salaire.

Les faits montrent comment les travailleurs urbains et ruraux ont mené des luttes autonomes pour un monde meilleur dépassant ainsi le contenu bourgeois de la Révolution, et forgeant des expériences pour les combats à venir. Cette approche de la période révolutionnaire française entend rappeler que la lutte des classes n’est pas un concept construit de toute pièce. Aujourd’hui, face aux ravages du capitalisme, qui puise ses racines dans ce moment-charnière que constitue la fin du XVIIIe siècle, les prolétaires d’ici et d’ailleurs ne peuvent rien attendre d’un réformisme qui n’en finit pas de nous resservir les mêmes recettes miracles pour « humaniser » ce système.



Livres et articles:

Jean Nicolas, La Rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale, 1661-1789, Gallimard, 2008 : Une recension et une analyse de toutes les luttes des classes populaires en France qui sont autant d'expériences pour la révolution qui débute en 1789.

"La naissance de la classe ouvrière", Le Mouvement social n°97, octobre-décembre 1976
Quelques articles d'analyse sur les débuts de l'industrialisation et la naissance du prolétariat entre 1750 et 1850.

Guy Lemarchand, La France au XVIIIe siècle : élites ou noblesse et bourgeoisie ?
Cette critique du concept d'"élites", développé par François Furet et d'autres historiens libéraux, permet de démontrer l'existence de deux classes antagonistes à la veille de la Révolution française: la noblesse et la bourgeoisie.

Ariane Michaloux," La Révolte des deux sous" (1786), Gavroche n°2, Février-mars 1982
Cet article publié dans la revue d'histoire sociale, Gavroche, aujourd'hui disparue, revient sur la grève des travailleurs de la soie à Lyon en 1786.

Pierre Kropotkine, La Grande révolution(1789-1793), Editions du Sextant, 2011
Dans ce livre, publié pour la première fois en 1905, le célèbre auteur anarchiste, montre le rôle moteur des classes populaires à la veille et pendant la Révolution française. Son analyse de classe montre aussi le caractère bourgeois des Jacobins et des Montagnards.

Daniel Guérin, Bourgeois et bras nus, 1793-1795, Gallimard, 1973
Ce livre se concentre sur la période de la Révolution marquée par le conflit de classe entre la bourgeoisie et les "bras nus", c'est à dire les travailleurs. A travers notamment la Terreur, Guérin démontre sans concession, comment Montagnards et Jacobins servent les intérêts de la bourgeoisie.

Films:

1788, Maurice Failevic, 1978
Ce réalisateur, proche du PCF, met en scène la vie d'un petit village de Touraine à la veille de la Révolution: les tensions de classes entre le seigneur et les paysans, entre ceux-ci et le riche bourgeois du coin, les difficultés matériels des travailleurs ruraux et leurs espoirs de changement. Aussi, il n'oublie pas de montrer le rôle ambigue d'une certaine bourgeoisie au moment de la rédaction des cahiers de doléances : soi-disant proche des classes populaires, elle brandit des revendications abstraites et détachées des conditions matérielles pour mieux orienter le conflit de classe vers l'ennemi principal du moment: la noblesse.

lundi 26 septembre 2016

Classe ouvrière… ou travailleurs fragmentés ? par João Bernardo

Classe ouvrière… ou travailleurs fragmentés ?
João Bernardo


On lit et on entend dire très souvent que la classe ouvrière n’existerait plus. Cela semble être la thèse la plus courante. Certains vont jusqu’à affirmer que les travailleurs eux-mêmes n’auraient plus de raisons d’exister, parce que le colossal essor de la productivité suscité par la technologie électronique permettrait de s’en passer définitivement. Aujourd’hui, le travail, comme tout le reste, serait devenu virtuel. Mais les marchands de nouveautés, peut-être heureusement pour eux, ont la mémoire courte et ignorent qu’ils sont en train de nous présenter comme du dernier cri certaines thèses que l’histoire a abandonnées.

Un vieil argument

Bien avant l’ère de l’informatique, durant les années 1920 aux États-Unis, un prophète de la technocratie, Howard Scott, a défendu l’idée que la croissance inexorable de la productivité dépasserait de beaucoup les opportunités d’emploi et d’investissement et provoquerait un chômage croissant. La même thèse refit surface dans un livre d’Arthur Dahlberg publié en 1932, Jobs, Machines and Capitalism : cet auteur soutenait que le progrès technique créerait un excédent permanent de main-d’œuvre. Et, en novembre 1936, Harry L. Hopkins, un des principaux artisans du New Deal, écrivit au président Franklin Delano Roosevelt pour l’avertir que le développement continu de la production, accompagné par la croissance continue de la force de travail, impliquait « la perspective d’un problème permanent de chômage et de pauvreté à une grande échelle ».

L’argument selon lequel le progrès de la productivité condamne les travailleurs à la disparition a donc été formulé en plein fordisme, alors que l’économie reposait sur des machines industrielles que l’électronique et l’informatique allaient bientôt rendre obsolètes.

Nous voyons donc que la base empirique de cette thèse est fausse, quand ses partisans actuels invoquent la différence entre l’électronique et l’industrie fordiste. Et nous pouvons aussi noter que la capacité de prévision de cette thèse est nulle, parce que sa première formulation a été suivie, après la guerre de 1939-1945, par une période durable de plein emploi dans les pays les plus industrialisés, phénomène permis précisément par la haute productivité des usines fordistes. 


Au lieu de réduire la force de travail, les progrès de la technologie électronique, comme d’ailleurs toute avancée technologique, provoquent certes le chômage dans les secteurs qui dépendent des technologies retardataires, mais en même temps ils ouvrent des secteurs nouveaux, qui exigent une requalification professionnelle permanente.

Même s’ils admettent ce fait et reconnaissent que les travailleurs n’ont pas disparu et ne sont pas non plus en voie d’extinction, certains théoriciens font valoir que cela n’implique pas obligatoirement que les travailleurs forment réellement une classe. Soit avec soulagement, soit avec nostalgie, ils nous annoncent la fin de la classe ouvrière. 


L’héritage de la Deuxième et de la Troisième Internationale

Certes, les derniers marxistes qui subsistent encore continuent à mentionner la classe ouvrière, mais cette référence revêt pour eux une valeur plus morale ou sentimentale que véritablement pratique. Les partis se réclamant de la tradition léniniste réduisent – ou plutôt réduisaient, parce qu’aujourd’hui leur expression politique est infime, quand ils n’ont pas abandonné complètement le léninisme – la classe ouvrière à une entité abstraite. Ils concevaient le parti comme le représentant politique de cette classe, mais ils ne reconnaissaient à la classe elle-même aucune structure propre et indépendante du parti. Seul le parti donnait à la classe ouvrière une existence réelle, et, sans le parti, l’existence de cette classe était seulement potentielle. Dans la pratique, cela aboutissait à la transformation de l’avant-garde en une élite dominante. 
 


Cette métaphysique politique était liée à une thèse très répandue dans les organisations les plus bureaucratisées de la Deuxième Internationale et dont la Troisième Internationale hérita de manière acritique. Selon cette perspective, qui considérait les forces productives du capitalisme comme la base du socialisme, l’objectif du socialisme consistait simplement à supprimer la propriété privée et à lui substituer la propriété d’État ; de plus, la technologie industrielle et la discipline régnant dans les entreprises capitalistes pourraient être maintenues sans modification sous le socialisme.

C’est en obéissant à une conception de ce type que les communistes soviétiques, sous la direction de Lénine, importèrent en Russie le système tayloriste et fordiste d’organisation du travail. Ils lui donnèrent ensuite, sous la direction de Staline, une expansion bien plus grande que celle qu’elle atteindrait parfois aux États-Unis.

Les partis communistes ne percevaient aucune contradiction lorsqu’ils affirmaient que le pouvoir politique appartenait à la classe ouvrière tout en privant en même temps les travailleurs de tout pouvoir au sein des entreprises. Et, en réalité, la contradiction n’existait pas, puisque le pouvoir politique n’était pas exercé par les travailleurs, mais monopolisé par leurs représentants, la bureaucratie du parti, qui se joignait à la technocratie des entreprises pour former une même classe de capitalistes d’État. La réorganisation économique de l’Union soviétique effectuée selon les plans quinquennaux constitua l’apogée de ce processus, dont le stalinisme révéla les conséquences inévitables.

Le marxisme orthodoxe attribuait une fonction neutre aux machines (en tant que technologie matérielle) et à la discipline régnant dans les entreprises (en tant que technologie humaine), de sorte que les relations établies entre les travailleurs pendant le processus de travail ne conditionnaient en rien l’existence de la classe ouvrière comme entité politique.

Des conceptions de ce type ne peuvent perdurer que si l’on ignore la réalité sociale des processus de travail. Les relations de production, si souvent mentionnées par les marxistes, incluent la forme de discipline imposée aux travailleurs dans le processus de travail et la forme d’autorité instaurée par les capitalistes dans le contrôle du processus de travail.

Le terrain fondamental de la lutte de classe


Tel a été précisément le principal terrain de la lutte de classe. La discipline régnant au sein de l’entreprise est la première cible de la contestation des travailleurs, et la lutte de classe réorganise en permanence les relations de travail et le contrôle du processus de travail. Dans chaque cas et à chaque époque, la forme de discipline en vigueur dans l’entreprise constitue l’élément central de tout le système de relations instauré entre les capitalistes et les travailleurs.

Les grandes luttes sociales des années 1960 et 1970, dans la sphère nord-américaine comme dans la sphère soviétique et chinoise, ont montré que le taylorisme et le fordisme avaient épuisé leurs possibilités en tant que systèmes de contrôle de la force de travail. Le capitalisme est alors entré alors dans une crise de productivité de plus en plus profonde, qui l’a finalement empêché de répondre à des difficultés qui, en d’autres circonstances, n’auraient pas constitué pour lui des obstacles significatifs.

Cette sclérose s’est manifestée de manière flagrante en 1974, avec la crise déclenchée par l’augmentation des prix du pétrole. C’est à partir de ce moment-là que, progressivement, les nouveaux principes d’administration des entreprises et de contrôle des travailleurs ont commencé à se répandre. Certains auteurs qualifient la situation actuelle de « post-fordiste », mais, puisque c’est Ford qui a, le premier, appliqué systématiquement le taylorisme à la production de masse, je ne vois pas de raison de ne pas désigner aussi le modèle actuel d’organisation du nom de Toyota, qui, le premier, l’a appliqué de manière systématique et l’a le mieux formalisé.

Le système toyotiste et la technologie électronique qui le sous-tend font que les économies d’échelle croissent, sans qu’il soit pour autant nécessaire de procéder à la concentration physique des travailleurs dans un même lieu.

Economies d’échelle et productivité

On appelle économies d’échelle les résultats obtenus quand l’augmentation du nombre de travailleurs, du nombre de machines et de la quantité de matières premières est inférieure à l’augmentation des biens ou des services produits. Les économies d’échelle sont un des facteurs du progrès de la productivité.

N’importe quelle ménagère sait que, si elle prépare une soupe pour trois personnes, elle ne fournira pas trois fois plus d’efforts, de temps, de gaz ou d’électricité que pour une seule portion de soupe.

Pour obtenir des économies d’échelle, et pas seulement pour fabriquer des soupes dans les cantines d’entreprise, mais dans toute la chaîne de production, le système fordiste consistait à réunir, dans les mêmes installations industrielles, des milliers d’ouvriers, ou, dans les mêmes bureaux, des centaines d’employés, qui faisaient fonctionner d’énormes ensembles de machines, consommant des quantités non moins colossales de matières premières. Dans le fordisme, l’accroissement des économies d’échelle dépendait de la concentration physique des travailleurs dans les mêmes locaux. On ne peut comprendre l’attitude des syndicats réformistes, des partis ouvriers bureaucratisés et du syndicalisme radical et, plus tard, les grandes vagues de contestation autonome dans les années 1960 et 1970, que si l’on se souvient que des milliers et des milliers de travailleurs se retrouvaient quotidiennement entre les murs des mêmes installations.

Électronique et surveillance

Le toyotisme a trouvé une manière de réduire, ou même d’éviter, ce risque politique considérable. L’électronique permet aux administrateurs des entreprises de centraliser la collecte des informations et les prises de décisions, indépendamment de tout contact physique avec les travailleurs et de toute relation physique des travailleurs entre eux. Les différents processus particuliers de travail sont intégrés dans de grands ensembles, même s’ils s’effectuent de façon isolée et peuvent parfois être éloignés de plusieurs milliers de kilomètres. Ainsi, les économies d’échelle sociales augmentent sans qu’il soit nécessaire de les augmenter sur le plan matériel.

En outre, la technologie électronique a réussi à accomplir une prouesse inédite dans l’histoire de l’humanité : la fusion entre système de surveillance et processus de travail. Jusqu’à l’époque actuelle, les travailleurs devaient être surveillés par des agents spécialisés, qui non seulement ne pouvaient pas être abusés, mais dont les salaires représentaient une dépense considérable pour les propriétaires des entreprises. Pour être tant soit peu efficace et ne pas provoquer une croissance inacceptable des coûts, ce système de surveillance exigeait que les travailleurs soient tous concentrés dans les mêmes installations. 
Il s’agissait d’appliquer les économies d’échelle à la surveillance. Or, dans le toyotisme, le simple fait d’actionner une machine électronique ou un ordinateur constitue une forme de surveillance du travail. Il n’y a plus de distinction entre le fait de travailler et d’être surveillé. Même dispersés, les travailleurs restent toujours sous le regard attentif de leurs employeurs.

L’une des préoccupations fondamentales du toyotisme consiste à limiter la concentration physique des travailleurs, ou même à les disperser physiquement, et en même temps à concentrer les résultats de leur travail grâce à la technologie électronique. Il existe de multiples moyens de limiter la concentration de la force de travail, de la fragmenter et d’obtenir sa dispersion. Sans prétendre être exhaustif, je vais indiquer ceux qui me semblent les plus importants.


Huit moyens de fragmenter la force de travail

1) Contrairement à ce qui s’est produit dans le système fordiste, où régnait une spécialisation rigoureuse, le toyotisme répartit chaque chaîne de production entre différentes équipes de travailleurs, qui se chargent, à l’intérieur de certaines limites, de multiples fonctions. Ainsi, même quand elle se trouve rassemblée dans les mêmes locaux, la force de travail est segmentée.

2) Ces capitalistes se sont efforcés avec succès d’imposer des horaires flexibles aux travailleurs de chaque entreprise. Cela leur permet d’empêcher ou d’entraver l’établissement de relations de convivialité entre collègues, ce qui nuit à la formation de réseaux de solidarité ; plus profondément, il s’agit de déstructurer le vieux collectivisme prolétarien, puisque la flexibilité des horaires rend pratiquement impossible l’existence des associations de quartier ou de simples rencontres dans des cafés ou des buvettes.

3) Dans de nombreux cas, on note que la rotation de la force de travail est extrêmement élevée. Cela signifie qu’une partie importante des salariés restent très peu de temps dans la même entreprise, ce qui empêche la naissance de tous liens de solidarité solides. Les capitalistes se préoccupent seulement de fixer dans l’entreprise un pourcentage réduit de travailleurs hautement qualifiés, pour lesquels ils ont investi beaucoup d’heures de formation professionnelle et qu’il ne leur convient donc pas de perdre.

4) Les conséquences néfastes des horaires flexibles se combinent avec les conséquences non moins néfastes du niveau élevé de rotation de la force de travail qu’entraînent les systèmes de contrat à durée déterminée et de travail à temps partiel. Ces deux formes de contrat se sont multipliées durant les dernières décennies, en contribuant doublement à restreindre les relations entre les personnes qui travaillent épisodiquement dans les mêmes entreprises et à isoler les uns des autres les individus qui participent aux mêmes processus de travail.

5) La généralisation de la sous-traitance provoque la fragmentation physique des sociétés. D’une part, il arrive souvent que les sociétés accordent de l’autonomie à des départements et les transforment en des unités formellement autonomes, en introduisant la sous-traitance dans ce qui, auparavant, appartenait à une seule sphère de propriété.

D’autre part, il est aussi fréquent qu’une société, au lieu d’en acheter une autre, lui sous-traite les services. Dans les deux cas, au lieu de se trouver réunis dans des établissements de grandes dimensions et appartenant à une seule et même société, les travailleurs sont divisés entre les entreprises principales et les multiples sous-traitants, bien que leurs activités s’insèrent dans une même chaîne de production.

6) Ce que je viens de dire à propos de la sous-traitance s’applique également au système des franchises, très courant, par exemple, dans les secteurs du fast-food ou de la blanchisserie. L’entreprise principale permet à de petits patrons d’exploiter les filiales locales, mais en leur imposant une technologie, une gamme de produits ou de services, un système d’organisation de la force de travail et une façon de traiter les clients qui doivent être rigoureusement respectés. De leur côté, les petits capitalistes qui acceptent le système de la franchise voient leurs dépenses réduites parce qu’ils jouissent d’une technologie éprouvée, d’une publicité garantie et d’un marché fourni par l’entreprise principale.

7) La fragmentation de la force de travail découlant de la sous-traitance et du système des franchises prend des proportions encore plus grandes dans le système du « portage ». Ce terme (en brésilien, la « terceirização »), désigne le processus par lequel une société transforme certains de ses employés en professionnels formellement indépendants, puis les réembauche en payant leurs services. Dans la pratique, le travailleur « porté » se retrouve totalement dépendant de la société à laquelle il vend son activité, mais sans bénéficier des garanties qu’il avait auparavant en tant que salarié. La transformation du salariat en « portage », qui a pris des proportions massives dans certains secteurs professionnels, débouche sur le complet isolement de ces travailleurs.

Dans les lieux de travail où, auparavant, ils affrontaient leur employeur conjointement avec leurs collègues, ils doivent désormais le faire seuls.

8) Il ne faudrait pas oublier que, durant les dernières décennies, on a assisté à l’intégration massive de certains secteurs de la population dans le marché du travail, notamment des jeunes femmes, et on a vu se prolétariser des activités qui, jusqu’à récemment encore, revenaient aux professions libérales.

Ce n’est pas la première fois que le capitalisme assimile rapidement des masses colossales de nouveaux salariés, mais, à la fin du XIXe siècle, et au début du XXe siècle, il l’avait fait en concentrant les nouveaux prolétaires dans un même milieu physique et social. C’est ainsi que des immigrés, originaires de différentes régions du globe et parlant différentes langues, avaient rapidement acquis des habitudes identiques et donné naissance à une culture prolétarienne commune.

Sous-culture de masse et travail à domicile

Aujourd’hui, c’est exactement le contraire qui se passe, et les personnes récemment arrivées en masse sur le marché du travail capitaliste, quand elles ne sont pas maintenues dans l’isolement, se dispersent entre les entreprises principales, les sous-traitants et les sociétés franchisées, sans avoir l’occasion de créer une nouvelle culture prolétarienne fondée, comme la précédente, sur de vastes réseaux de camaraderie et de solidarité, et sur une confrontation globale avec les patrons.

Comme si cela ne suffisait pas, et parce qu’ils n’ont guère confiance dans les automatismes économiques et sociaux, les capitalistes ont concentré d’énormes efforts dans la diffusion d’une sous-culture de masse fondée sur l’illusion d’une promotion individuelle. Ainsi ce processus contrarie doublement la formation d’habitudes et de comportements communs au sein des nouveaux éléments qui forment la force de travail.

Pour couronner ce processus, les idéologues du capitalisme ont déployé toute leur imagination et ont annoncé l’utopie ultime – le travail s’effectuerait dans la douceur du foyer grâce aux ressources électroniques, dans des conditions de dispersion maximale, et la gestion se cantonnerait dans les bureaux des administrateurs grâce à l’informatique, dans des conditions de centralisation maximale.

Et effectivement, le fait que le capitalisme actuel multiplie les formes de dispersion physique et de fragmentation sociale des travailleurs, et fractionne les grandes unités de production en des unités de dimensions plus réduites, ne l’empêche pas de développer la concentration du capital, non seulement au moyen des modalités classiques d’acquisition, qui donnent naissance à des entités économiques de plus en plus colossales, mais en multipliant entre les entreprises des liens qui ne passent pas par des relations de propriété, comme les alliances stratégiques, par exemple.
D’ailleurs, les formes de concentration économique qui se dispensent de la concentration de la propriété prédominent aujourd’hui, au point que l’entreprise principale arrive à se fractionner elle-même en des unités formellement indépendantes pour mieux exercer son contrôle économique sur elles.

Le rôle du « juste à temps »

L’un des éléments clés du toyotisme est le système du « juste à temps » (ou « just in time », ou encore production à flux tendus) qui consiste à réduire au maximum les éléments (produits ou matières premières) stockés dans les entrepôts et à ajuster à la fois le flux de la production aux oscillations de la demande, et le type de production aux spécifications de la demande. Ce système ne se limite pas à réduire les coûts ; il a plusieurs autres implications très importantes sur le processus d’exploitation, mais je voudrais ici souligner seulement l’une d’entre elles.

Dans le « just in time », c’est l’entreprise principale qui dicte le rythme de la production aux entreprises sous-traitantes et aux travailleurs « portés » ; elle peut le faire facilement parce que l’électronique permet de disperser la captation des informations et simultanément de centraliser les prises de décision.

L’entreprise principale détermine le type de technologie que les sous-traitants et les travailleurs « portés » devront appliquer et elle contrôle les résultats de l’application de cette technologie, en fonction des nécessités d’adaptation de l’entreprise principale au flux de la demande et à sa nature. Néanmoins, bien qu’ils dépendent étroitement des décisions prises par l’entreprise principale, les entreprises sous-traitantes et les travailleurs « portés » sont indépendants du point de vue de la propriété, avec toutes les responsabilités inhérentes à cette situation. Grâce à cette forme de concentration économique qui ne s’accompagne pas d’une concentration de la propriété, les capitalistes qui dirigent les entreprises principales s’approprient la plus grosse part des profits et peuvent faire retomber la plupart des échecs sur les entreprises sous-traitantes, c’est-à-dire, en dernière analyse, sur les travailleurs de ces entreprises. En facilitant la prolifération d’entreprises petites et moyennes, ce système aggrave la dispersion physique et la fragmentation sociale des travailleurs. Bien que les entreprises principales ainsi que les multiples entreprises sous-traitantes et travailleurs « portés » soient réunis dans les mêmes processus de travail et se consacrent à la production des mêmes articles ou des mêmes services, les travailleurs se sentent encore davantage divisés et isolés.

Une classe pour les capitalistes… mais pas pour les travailleurs

Pour les administrateurs des entreprises, qui détiennent le contrôle sur tout le réseau de captation des informations et d’émanation des décisions et qui contrôlent aussi les procédures électroniques de surveillance, les travailleurs existent comme un corps social unifié. On peut même affirmer que, dans le système toyotiste, ce sont les administrateurs d’entreprise qui assurent l’unification sociale des travailleurs. Par contre, dans la mesure où le processus de travail les isole et les disperse physiquement, les travailleurs eux-mêmes ne se considèrent plus, en règle générale, comme des membres d’une classe sociale. En résumé, cela signifie que les travailleurs existent comme classe pour les capitalistes, mais pas à leurs propres yeux.

Nous voyons mieux les implications de ce paradoxe si nous le considérons en termes d’auto-organisation et d’hétéro-organisation. De même que les mécanismes de l’exploitation enlèvent aux travailleurs le contrôle du processus de travail, et donc la possibilité de disposer des résultats de leur travail, de même les mécanismes de l’oppression les dépossèdent de tout contrôle sur les modalités des relations qu’ils pourraient nouer entre eux. Dans cette perspective, je définis comme la classe sociale dominante celle qui réussit à dicter les principes organisationnels de l’autre classe – la classe dominée. Il ne s’agit pas seulement d’une classe dominante qui dispose d’institutions comme le gouvernement, la police ou les tribunaux. Il s’agit de bien davantage que cela, car les capitalistes déterminent jusqu’aux formes d’organisation interne des travailleurs, et le font même dans des domaines que les travailleurs jugent être les leurs.

Remodelage des villes

Nous pouvons observer cette hétéro-organisation dans les remodelages urbanistiques auxquels ont été soumises toutes les grandes villes. Placés dans les zones les plus anciennes, aux caractéristiques plus marquantes, qui donnaient à chaque ville son originalité, les vieux quartiers populaires disparaissent. Il s’agit d’un processus appelé en anglais gentrifying (« gentrification » ou « boboïsation » en français, NdT) : d’une part, on préserve les façades des immeubles, ou, si nécessaire, on les restaure conformément au tracé originel, mais, d’autre part, on transforme et modernise complètement les intérieurs. Les appartements sont vendus à bon prix à des membres des classes dominantes, qui acquièrent ainsi le privilège de vivre dans les centres-villes et les zones les plus appréciées. Et le même phénomène se produit avec les cafés et les petits restaurants de ces anciens quartiers populaires, qui, une fois dûment rénovés, offrent à la nouvelle clientèle un mélange de sophistication culinaire et de souvenirs d’un passé typique. Pendant ce temps, les travailleurs, expulsés de leurs quartiers traditionnels par les mécanismes économiques, sont refoulés dans les banlieues, où ils doivent recommencer à partir de zéro s’ils veulent créer des réseaux de solidarité, et ce dans des conditions spécialement difficiles parce que, dans les zones péri-urbaines, prévaut un type d’urbanisation délibérément conçu pour restreindre les relations de voisinage. Ce double processus traduit un renforcement de la cohésion interne des classes dominantes et un affaiblissement des liens entre les travailleurs. L’hétéro-organisation des travailleurs dans ce cadre urbanistique est symbolisée par les centres commerciaux, qui sont des lieux de socialisation hégémonisés économiquement et culturellement par le capital. Autrefois, les travailleurs établissaient, selon leurs propres termes, des relations directes de voisinage et d’amitié dans les quartiers où ils habitaient, mais maintenant ils passent une partie considérable de leurs loisirs dans les lieux de shopping où leur présence est éphémère, où il est impossible de nouer des relations stables et où tous les types de contact sont conditionnés par une disposition intentionnelle des espaces tendant à la dispersion et à la fragmentation.

Dans le monde contemporain, nous avons, d’un côté, les capitalistes dotés d’une cohésion transnationale, consolidée par de multiples organisations nationales, mais aussi liées sur le plan international et supranational par des réseaux aux mailles très serrées. De l’autre côté, nous avons les travailleurs qui, dans leur relation avec les capitalistes, sont dominés globalement, comme classe, mais qui sont divisés entre eux et ne luttent pas comme une classe. Cette double situation implique que, dans les conditions actuelles, la classe ouvrière a une existence simplement économique, comme productrice de plus-value et victime de l’exploitation, sans avoir une existence politique et sociologique, comme sujet de luttes et base de formes d’organisation opposées au capitalisme.

Tant que cette situation perdurera, la résistance du capitalisme ne sera pas entamée, et ceux qui aujourd’hui évoquent, à tort et à travers, une « crise du capitalisme » feraient bien mieux de chercher à comprendre la crise de l’anticapitalisme.

La double situation de la classe ouvrière, coincée entre son existence économique pour le capital et son inexistence politique et sociologique, tendra à s’aggraver dans les années qui viennent. Seule la lutte contre l’exploitation peut conférer aux travailleurs une identité sociologique de classe, parce que c’est seulement à ce niveau qu’ils trouvent une communauté fondamentale et établissent des liens de solidarité. Je ne fais pas ici allusion à des journées glorieuses, des drapeaux rouge vif frémissant dans le vent et autres clichés ; je pense aux contestations plus banales et plus simples qui remplissent le quotidien de celui qui travaille au service d’autrui. Comment mettre en commun ces actions, comment utiliser ces expériences pour progressivement reconstruire une existence de classe et une conscience de classe, dans une situation où les pressions renforçant l’isolement et la dispersion sont très puissantes ?


La crise… de l’anticapitalisme

Ainsi peut-on sans doute expliquer l’apologie du fractionnement des luttes que prônent la plupart des idéologues post-modernes. Il est vrai que, d’un certain point de vue, une telle attitude peut sembler sensée, parce que, aujourd’hui, rien ne laisse augurer la possibilité de mouvements vastes et généralisés. Contre les instigateurs de mots d’ordre classiques et dépourvus de tout sens pratique, les post-modernes peuvent au moins invoquer le fait que leurs appels sont entendus. D’un autre côté, ils considèrent la fragmentation des luttes non comme une limite qu’il faudrait dépasser, mais comme l’objectif stratégique à atteindre. Leur idéal est de créer une collection de ghettos reliés entre eux par le marché et disposant du « politiquement correct » comme langue commune.

Si chaque personne reste claquemurée entre des miroirs et n’emploie plus de mots qui révèlent la persistance réelle des problèmes, comme c’est le cas du vocabulaire « politiquement correct », et si le marché se charge de satisfaire les besoins de la majorité, tout se passera au mieux dans le meilleur – ou le moins mauvais – des mondes. S’il existe une exploitation, on parle de citoyenneté. Si les femmes sont négligées et plus mal payées que les hommes, on instaure l’égalité dans le royaume grammatical et l’on bricole une curieuse syntaxe semée de barres, de tirets et de parenthèses où les substantifs, les adjectifs, les articles et les pronoms figurent dans leur variante masculine et féminine. Si certains sont victimes du racisme à cause de leur couleur de peau, on les désigne alors par l’origine géographique de leurs ancêtres éloignés. Et si toutes sortes de discriminations continuent à prospérer, alors on crée des groupes, des clubs, des associations destinés simplement à en préserver les membres, en les isolant dans des communautés d’égaux, de sorte que la société, dans son ensemble, ne change pas d’un iota. Le marché assure les relations entre ces îlots idéologiques et permet que, sur le plan économique fondamental, ils constituent des parties intégrantes de la société capitaliste.

Multiculturalisme et consumérisme

Les idéologues post-modernes s’efforcent d’accentuer les clivages d’ordre culturel, ethnique ou sexuel qui divisent les travailleurs, ou alors ils vont jusqu’à inventer des clivages quand ceux-ci n’existent pas dans la pratique. Russell Jacoby a observé avec beaucoup de pertinence dans The End of Utopia : politics and culture in an age of apathy que, même lorsque la globalisation de l’activité économique place les travailleurs dans des situations identiques, les post-modernes prétendent dissimuler cette réalité en faisant appel à des spécificités culturelles fictives. Et l’industrie culturelle capitaliste suit joyeusement les traces des découvreurs de la post-modernité, en recueillant les profits financiers et en consolidant les conditions sociales de la reproduction du capital. Il existe un lien puissant entre multiculturalisme et consumérisme. Dans un monde où les options de vie des travailleurs sont strictement limitées et où le quotidien de chacun obéit à des normes similaires, le multiculturalisme existe exclusivement sous la forme de la consommation de produits – objets ou services – appelés multiculturels.
On arrive ainsi au paradoxe de la situation actuelle, où le capitalisme est dominé par d’énormes entreprises transnationales, gérées par une élite qui adopte une mentalité entièrement cosmopolite et supranationale, et où les travailleurs sont non seulement soumis aux fragmentations suscitées par le système d’administration toyotiste, mais en plus divisés par des nationalismes, des régionalismes et toutes sortes de spécificités ethniques, physiques et culturelles exaltées non seulement par la mauvaise volonté de la droite mais, ce qui est pire, par la bonne volonté d’une certaine gauche. Le grand problème aujourd’hui est de partir des luttes fragmentées en ayant pour objectif de parvenir à ce qu’elles dépassent cette fragmentation. Tel est le plus grand défi devant lequel nous sommes placés, et c’est seulement dans cette perspective que nous pourrons définir une stratégie de lutte contre le Capital tel qu’il se présente actuellement – contre le système toyotiste d’organisation du travail. 

Extrait de :
 
TRANSNACIONALIZAÇÃO DO CAPITAL E FRAGMENTAÇÃO DOS TRABALHADORES
 Ainda Há Lugar para os Sindicatos?
 
-
Les intertitres ont été ajoutés par Ni patrie ni frontières 
Traduction du portugais par la revue Ni patrie ni frontières


Pour en savoir plus sur João Bernardo


L'expérience du Journal Combate (1974-1978) Avec João Bernardo. TELECHARGER La 4ème PARTIE




mercredi 21 septembre 2016

La tâche d'une analyse historique - Matériaux pour une émission (1)

Nous présenterons ceci jusqu'à notre prochaine émission sur la Conscience de Classe quelques sources de réflexion qui alimenterons notre propos.


"Car il faut se demander avant tout dans quelle mesure la totalité de l'économie d'une société peut, en tout état de cause, être perçue de l'intérieur d'une société déterminée, à partir d'une position déterminée dans le processus de production. Car, autant l'on doit s'élever au-dessus des limitations de fait que font subir aux individus, pris un par un, l'étroitesse et les préjugés liés à leur situation vitale, autant l'on ne doit pas dépasser la limite que leur imposent la structure économique de la société de leur époque et leur position dans celle-ci (1) . La conscience de classe est donc en même temps, considérée abstraitement et formellement, une inconscience, déterminée conformément à la classe, de sa propre situation économique historique et sociale (2). Cette situation est donnée comme un rapport structurel déterminé, comme une relation de forme déterminée, qui paraît dominer tous les objets de la vie. Par suite, la « fausseté », l' « illusion », contenues dans une telle situation de fait, ne sont pas quelque chose d'arbitraire, mais, au contraire, l'expression mentale de la structure économique objective. Ainsi, par exemple, « la valeur ou le prix de la force de travail prend l'apparence du prix ou de la valeur du travail lui-même » et « l'illusion se crée que la totalité serait du travail payé... A l'inverse, dans l'esclavage, même la partie du travail qui est payée apparaît comme ne l'étant pas » (3). Or, c'est la tâche d'une analyse historique très méticuleuse que de montrer clairement, grâce à la catégorie de la possibilité objective, dans quelle situation effective il devient possible de démasquer réellement l'illusion, de pénétrer jusqu'à la connexion réelle avec la totalité. Car, dans le cas où la société actuelle ne peut, en tout état de cause, être perçue dans sa totalité à partir d'une situation de classe déterminée, dans le cas où même la réflexion conséquente, allant jusqu'au bout et portant sur les intérêts de la classe, réflexion qu'on peut adjuger à une classe, ne concerne pas la totalité de la société, alors une telle classe ne peut jouer qu'un rôle subalterne et ne peut jamais intervenir dans la marche de l'histoire comme facteur de conservation ou de progrès. De telles classes sont en général prédestinées à la passivité, à une oscillation inconséquente entre les classes dominantes et les classes porteuses des révolutions, et leurs explosions éventuelles revêtent nécessairement un caractère élémentaire, vide et sans but, et sont, même en cas de victoire accidentelle, condamnées à une défaite finale."

Histoire et conscience de classe - György Lukács 1923.


1. C'est ici le point à partir duquel on peut acquérir une compréhension historiquement correcte des grands utopistes, comme, par exemple, Platon ou Thomas More. Of. aussi Marx, sur Aristote, Kapital, I, 26-27.
 
2. « Ce qu'il ne sait pas, il le dit quand même », écrit Marx à propos de Franklin. Kapital, I, 17. Cf. dans d'autres passages - « Ils ne le savent pas, mais Re le font. » Ibid., 1, 40, etc.

3. Salaires, prix et profits.

lundi 19 septembre 2016

OREO de Fran Ross (Vient de re-paraitre en poche)

OREO de Fran Ross

"Une satire des relations entre la communauté noire américaine et la communauté juive, qui n’a rien perdu de son originalité ni de son insolence depuis sa première publication, en 1974. Née d’un père juif et d’une mère noire, qui divorcent lorsqu’elle n’a que deux ans, Oreo (qui tient son surnom des fameux biscuits « noir dehors, blanc dedans ») est élevée par ses grands-parents maternels à Philadelphie. À l’adolescence, elle décide de se rendre à New York, à la recherche de son père, pour élucider le secret de sa naissance. Mais sa découverte de la grande ville labyrinthique tourne vite à la quête picaresque… Parodie du mythe de Thésée, ce texte truculent est un questionnement sur l’origine, mais aussi sur l’utopie d’une réconciliation toujours en devenir. Figure ambiguë, métissée, Oreo, l’héroïne, fait montre d’une liberté de mouvement et de ton qui illustre le refus de toutes les frontières. Son identité métisse lui permet de déjouer toutes les structures, toutes les idéologies constituées.

Figure du voyage, de la traduction, de la médiation, elle incarne une identité multiple, pionnière d’une harmonie rêvée. Conte féministe qui s’attaque aux schémas masculins comme aux grands textes de la littérature occidentale, ce récit burlesque livre au lecteur une critique du discours blanc dominant aussi bien qu’une dénonciation des idéologies afrocentristes et du communautarisme. Satire des stéréotypes de la culture populaire, Oreo est un texte hybride, ludique et irrévérencieux, qui joue avec les notions d’ethnie et de genre, mais nous livre également une réflexion en acte sur le langage, tout à la fois sérieuse et totalement fantasque.

Extrait :

« Du côté juif de la famille, Christine hérita de cheveux frisés et d’une peau sombre et fine (elle est classée autour de 7 sur l’échelle des couleurs, et il ne faut pas la chatouiller). Du côté noir de la famille, elle a hérité de traits anguleux, du sens du rythme et d’une peau fine (il ne faut vraiment pas la chatouiller). Deux ans après la fin de cet ouvrage, elle serait l’idéale beauté dont parlent les légendes et le folklore – à vous de choisir la nationalité et de préciser le groupe ethnique. Quels que soient le visage et la silhouette que vos légendes et folklore font surgir dans votre esprit, mon petit chou, elle l’incarnera à la perfection. Christine n’était pas une enfant ordinaire. Elle était née coiffée d’une membrane que son premier et vigoureux hurlement déchira en huit. En plus de son talent précoce pour l’écriture spéculaire, elle tenait de sa mère l’amour des mots, de leur nuance et de leur cadence, de leur jus et de leur zeste, de leur variété et de leur précision, de leur cadencé et de leur torsion. Quand elle apprit à un âge encore tendre qu’elle aurait un jour à partir à la recherche de son père pour découvrir le secret de sa naissance, elle s’exclama : “Je m’en vais le retrouver, ce nique-ta-mère*.” À ses yeux, ce dernier mot était tout simplement le mot juste*. » 


Fran ROSS (1935-1985) est née à Philadelphie et a passé l’essentiel de sa vie à New York. Après des études de journalisme et de théâtre, elle a travaillé pour le Saturday Evening Post et collaboré à divers magazines. Elle a également écrit pour Richard Pryor, l’acteur et humoriste afro-américain le plus célèbre des années 1970. Oreo est son unique roman, devenu culte parmi les amateurs de littérature afro-américaine.

Post-Éditions 2014.

Postface d’Harryette Mullen 
Texte traduit de l’anglais (USA) par Séverine Weiss.

Vient de re-paraitre fin août 2016 
En poche chez 10 X 18.



dimanche 18 septembre 2016

Emissions : Pour une critique de l'idéologie IDENTITAIRE

Pour une critique de l'idéologie  
IDENTITAIRE 
Contre l'assignation, pour le dépassement et la totalité.


Émissions de la WEB RADIO VOSSTANIE

Proposition préliminaire:
Et si on dégageait les bourges, les profs de fac, les petits-bourgeois en premier ?


Émission du

* 18 Juin 2016  *

Le GARAP & VOSSTANIE Durée 7h10

 TELECHARGER





THÈMES DE L’ÉMISSION

Introduction (pour une approche de la question à travers la dialectique de la totalité) - Esquisse d'une définition de l'identité à l'aune de l'aliénation capitaliste - De l'identité à l'identitaire - phénomène identitaire et totalitarisme marchand - Identitarisme, dynamique de recomposition marchande à partir des insatisfactions/contradictions sécrétées par la séparation achevée - Le phénomène identitaire dans la crise capitaliste contemporaine (confrontation directe entre valorisation capitaliste et reproduction sociale ; politiques identitaires et culturalisation des questions politiques et sociales ; poids de la défaite du dernier assaut prolétarien ; fonction de la contre-révolution bureaucratique dans la résurgence identitaire ; réformisme et identité ; l'aménagement de la régression sociale) - Présentation de certaines idées-forces développées dans la "Lettre à Nour" - Sur le retour des questions nationale, ethnique, religieuse, à la lueur des vieux démons de l'anti-impérialisme - Quelques précisions sur la religion comme idéologie matérialisée/dynamique capitaliste de régression sociale - Nation opprimée, religion opprimée, de l'extrême droite à l'extrême-gauche - L'alliance trotskysme/islamisme, théorisée par Chris Harman - Le post-modernisme au service de l'idéologie identitaire - L'incompatibilité du combat communiste révolutionnaire avec toute appartenance identitaire : pour la promotion de tous les dépassements - Quelques exemples de collusion idéologique ouvrant sur des alliances politiques entre extrême-droite et extrême-gauche, en Europe et en France - La fabrication d'un identitarisme autour de la question palestinienne - Quelques pistes d'explication du phénomène djihadiste - Introduction et lecture du texte "Marche au pas !" - Présentation du Parti des Indigènes de la République - Déchiquetage de l'idéologie PIRiste à partir d'une critique acérée du livre "Les Blancs, les Juifs et nous" d'Houria Bouteldja - Le discours identitaire en général et la logomachie du PIR en particulier passés au crible des outils critiques façonnés par Wilhelm Reich - Frantz Fanon, pauvre fétiche identitaire - "Responsabilité collective", colonialisme et colonisation marchande - Le pli identitaire de l'économie transnationalisée : éléments de géopolitique - Trois cas d'école : Guy-Antoine Castex,Tareq Oubrou, Marwan Muhammad - L'Organisation de la Coopération Islamique dans le commerce international - La finance islamique dans la circulation capitaliste mondiale et plus particulièrement au sein des économies avancées - La marchandise identitaire transnationale - L'islamisme business de la Confrérie des frères musulmans : entre racolage contestataire et mode de gouvernance réactionnaire/ultralibérale - La déclinaison de la doctrine sociale de l'Eglise par les institutions européennes ou comment faciliter la prédation patronale - Politiques publiques identitaires : plusieurs exemples à l'échelle de la gouvernance territoriale - Quelle place occupée par le nationalisme dans la forme marchande identitaire ? - Quid de l'identité ethnique ? - Pourquoi le fascisme ne reviendra pas - Conclusion.


*

Émission du

-
* 25 Juin 2016 * 
Une discussion après des débats.
 Durée 4h03

THEMES DE LA DISCUSSION (PROCHAINEMENT)

TELECHARGER

*

Diffusion du  
  
* 2 Juillet 2016 *

Deux débats enregistrés à


LA BIBLIOTHEQUE ANARCHISTE 
LA DISCORDIA




Ni racisme, ni racialisme, ni races:
Sur la récupération du racisme par la gauche (et vice-versa).
 Débat du 25/11/2015 - 3h42 min
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  Islamophobie
 Du racket conceptuel au racket politique.
Débat 26/01/2016 - 2h46 min

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Titres évoqués pendant les débats.

Arabs Without God Atheism and freedom of belief in the Middle East
Hérétiques / Jocelyne Laâbi 
 L'Épître du pardon / Abul ʿAla Al-Maʿarri




Autour des textes

L’extrême-gauche-de-la-saloperie

MARCHE AU PAS ! (Collectif Identité j't'emmerde)
 

Nique la « race » !
Ou comment éclatent les frontières entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche du pouvoir

Lettre ouverte à ceux qui pensent que participer à la Marche-de-la-dignité-contre-le-racisme-avec-le-soutien-d’Angela-Davis n’est pas un problème 


  Tiens, ça glisse…par les Hiboux nyctalopes et le GLOCK
 

Lettre à Nour
Considérations sur le sous-fascisme et son époque


Sur l’idéologie anti-islamophobe

 Pour couper court aux bruits de couloirs (Réaction à la manière dont a failli ne pas se dérouler le débat du 14 juin au Rémouleur)


Remerciements: au GARAP, à la Discordia, aux groupes et individus présents aux débats, présents pour les sons enregistrés, aux anonymes qui ont relayé les émissions et les annonces d'émissions.

lundi 12 septembre 2016

Philosophie de la praxis Marx, Lukács et l’École de Francfort de Andrew Feenberg (Parution)

Philosophie de la praxis 
Marx, Lukács et l’École de Francfort 
-
Andrew Feenberg





Le jeune Marx appelait à une « réalisation de la philosophie » par la révolution. Celle-ci est ipso facto devenue un concept central du marxisme, ce que Lukács et l’École de Francfort ont approfondi chacun dans sa perspective. Ces penseurs ont fait valoir que les problèmes philosophiques fondamentaux sont, en réalité, des problèmes sociaux, mais conçus de manière abstraite.

Philosophie de la praxis retrace l’évolution de cette proposition importante dans les écrits de Marx, Lukács, Adorno et Marcuse. Il en ressort que ce thème non seulement doit rester central dans les débats entourant la théorie marxiste, la philosophie continentale et la technique, mais offre un angle fécond pour aborder la crise de la rationalité actuelle, que l’on a par trop négligée. 

Lux Editions 2016 - 544 pages . Traduit de l'anglais par Véronique Dassas et Theodor Weisenstein


TABLE
   
Préface
Introduction
Marx et Lukács

CHAPITRE 1 – La philosophie de la praxis
Les antinomies
Ontologie ou histoire
La dimension normative
Métacritique
La réalisation de la philosophie
  
CHAPITRE 2 – Les exigences de la raison
Les fondements déontologiques de la révolution
L’antinomie entre raison et besoin
L’agent de la révolution
La révision du concept de raison
De Marx à Lukács

CHAPITRE 3 – Métacritique du concept de nature
Le concept de nature chez Marx
Marxisme existentiel
Athéisme épistémologique
   
CHAPITRE 4 – Réification et rationalité
La culture et la crise de la rationalité
La réification comme catégorie sociologique
La réification en tant que concept ontologique
Forme et contenu
Réification et raison
   
CHAPITRE 5 – La réalisation de la philosophie
L’héritage de la philosophie classique allemande
Philosophie et pratique
La relation réifiée entre théorie et pratique
De Kant à Hegel
La dialectique historique de Hegel
Le principe de pratique
Médiation
La dialectique de la réification
L’antinomie entre société et nature
   
CHAPITRE 6 – La controverse sur l’identité sujet-objet
Les critiques
Lukács et Fichte
Conscience contemplative et conscience transformative
Histoire naturelle
Universalisme de la méthode
Le «constructivisme» de Lukács: objections et réponses
  
CHAPITRE 7 – De Lukács à l’École de Francfort
L’École de Francfort
Formes de la rationalité
Participation à la nature
La critique rationnelle de la raison
Théorie et pratique
La possibilité d’une alternative
  
CHAPITRE 8 – La dernière version de la philosophie de la praxis
La phénoménologie de Marcuse
La libération de la nature?
De la psychologie à l’ontologie
Science et technique
La science innocente?
La réconciliation avec la nature

CHAPITRE 9 – Pour résumer la philosophie de la praxis et souligner son importance
La structure de la théorie
La dialectique de la raison et de l’expérience
Praxis transformative

ANNEXE – L’unité entre théorie et pratique
    Structure et capacité d’agir
La conscience de classe comme idéal-type
Les médiations
  
Bibliographie

Index des noms propres
Index des notions
Table