dimanche 18 mai 2014

Lettre sur l'auto-gestion

Lettre sur l'auto-gestion.
Extrait de correspondance sur un vieux débat.


Je te fais une réponse la plus courte possible. Tu vas la trouver très réactive et pas vraiment argumentée d'un point de vue historique mais j'en ai marre des citations pompeuses et érudites, mais aussi de cette rhétorique mielleuse «des gens sympas» qui veulent que les choses viennent «vraiment d'en bas», parce que c'est vraiment trop mieux et «démocratique».

Que tu te pointes à «l'autogestion de la foire» c'est ton problème. Mais ce qui m'embarrasse c'est que les anarchistes et autres libertaires s'y pointent et se prosternent ou dissertent devant ces formes d'organisations, de gestions, et qu'ils en fassent la préfiguration de ce que pourrait-être une société communiste. Cela me gène profondément. Une forme ne dit rien de ce que peut-être une société débarrassée du fétichisme de la marchandise. D'un point de vue épistémologique c'est même un non-sens. Car les paramètres de réflexions ne sont, à mon avis, pas les bons.

Que tu mettes un autre contenu à l'autogestion n'y change rien. C'est la manière dont est posée l'autogestion par ce milieu. Ils pensent vraiment que la forme préfigure le possible. Alors que si tu changes ce «possible» c'est le tout qui est à revoir ou qui sera revu. Je n'y vois pour ma part que des présupposés a-historique de forme fétichisées.

Dans cette histoire la bonne volonté, les énergies «positives» sont censées faire le reste. C'est une forme empirique et idéaliste de la pratique politique. Et de s'étonner après que cela «fonctionne» (faut voir comment et combien de temps) ou pas, alors qu'il y a plein de données sur le fonctionnement du process capitaliste sur lequel ils ne réfléchissent pas. 

L'interrogation sur la forme, se fait uniquement au niveau du pouvoir et de la domination au sens large du terme, et absolument pas au niveau de la logique d'accumulation/valorisation qui dicte sa forme. Ce que je ne comprends pas plus, c'est que toutes les expériences présentées qui s'inscrivent dans le capitalisme (et comment pourrait-il en être autrement), sont censées faire du profit ou viser l'équilibre de la rotation de flux d'argent et que même si elles sont toutes anti-hiérarchiques ou à égalité de revenus sur le papier ou dans le cerveau des militants, ils appellent cela «auto-gestion» mais ils pourraient nommer cela coopératives, mutuellisme, ou simplement «notre trip entre copains». Mais pourquoi n'accorderions-nous pas sémantiquement parlant à ces différentes formes d'alternatives à l'administration du capital ce qu'elles sont littéralement et étymologiquement c'est à dire : « Qu'ils gèrent eux mêmes ». Mais que gèrent-ils ?

Je concède tout à fait à l'autogestionnaire de base de vouloir s'aménager son labeur pour qu'il soit le moins pénible possible, mais j'aime aussi qu'il ne me prenne pas au passage pour un imbécile. 

Quand on se penche en toute sincérité sur toutes ces initiatives, il y a toujours des patrons et des employés bien souvent cachés grâce à la science juridique, ou des chefferies informelles liés à l'ancienneté ou à la spécialisation technique. Et puis il y a cette double contrainte de bouffer et de rendre grâce à la sainte autogestion comme militant, jusqu'au point d'avaler de grosses couleuvres autoritaires et arbitraires pour rester debout et de pas perdre la face. Parce qu'il faut voir le temps que ces "militants" apôtres de la bonne parole y passent ! Il est systématiquement le double du temps de travail dit normal. Après le boulot, le militantisme et ainsi de suite. Ne cachons pas que certains sont souvent payés au lance-pierre avec des contrats aussi merdiques et précaires que les autres boites. Certains militants «y trouvent leur compte» pour un temps, ils se rétribuent symboliquement, et arrivent à le monnayer dans les cénacles activistes du «tu fais quoi toi ?». Puis il y a le retour du refoulé...faut bien de la tune pour croûter. Le chantage affectif d'un milieu groupusculaire se charge de faire le reste. Quitter un boulot dans ces sphères c'est rompre avec des ami(es) et ses solidarités tribales qui n'ont rien à voir avec l'épanouissement personnel mais avec une tyrannie du collectif, recroquevillé sur une idéologie en décomposition.

Pour faire bouillir les marmites du futur il y a des champions qui arrivent à remplir des livres entiers. A ce compte là je préfère encore la douce rêverie. Non que je sois pour un au-delà ou que j'attende le Grand Soir qui ne viendra peut-être jamais. Mais je refuse aussi bien l'injonction morale de l'ici et maintenant illuministe, que la religion sacrificielle du demain on rase gratis. Ma problématique c'est plutôt la lucidité quant à l'ampleur de la tache historique qui nous attends. La dénonciation des simplismes, des mensonges déconcertants, des tartuferies qui se déguisent sous le masque de la générosité niaise ou simplement sadique. Non que le soupçon soit une de mes méthodes d'analyse systématique. 
Mais parce que quand une pratique sociale gagne en poids spectaculaire en période de reflux il faut toujours savoir qui en sont les promoteurs et pourquoi. Qu'elles sont les classes représenter dans la promotion de ces pratiques, leurs liens avec les structures étatiques ou décisionnaires du capitalisme à dominante étatique ou privé. 

Ne nous cachons pas le fait que la plupart des initiatives dites auto-gestionnaires relèvent du secteur non concurrentiel ou local, associatif et que la fluctuation des matières premières ou la concurrence, se chargent à chaque instant de remettre à sa place toute les postures entrepreneuriales qui s'alimentent de cette rhétorique marketing pour gauchiste naïf.

Je te concède un truc, c'est que la notion d'auto-gestion est moins entachée que celle de communisme. Mais si le dénigrement vient de la réaction et des parasites capitalistes c'est presque de bonne guerre. Et je ne m'attend pas à moins de la bourgeoisie et de ses représentants. Mais je considère qu'il est presque plus important de combattre la petite bourgeoisie radicale (parce que là aussi il y a de la lutte des classes) qui se sert des étiquettes racoleuses pour faire passer la pilule d'une entreprise relookée aux couleurs du « soi-même », où le néo-management de l'empowerment fait des ravages.

Ces entreprises «autogérées» sont souvent des laboratoires avancés de pratiques sociales les plus dégueulasses où l’impunité et le consensus règnent par la terreur du mythe.

Tu me parleras alors «d'auto-gestion généralisée» chère à Ratgeb. Mais cela sonne à mes oreilles comme une forme de truisme démocrate pour cour de recrée. Un truc qui résonne comme un «3 pour 2 achetés», c 'est à dire comme un slogan publicitaire. Ceci est encore plus vrai avec ce qu'est devenu ce pauvre Vaneigem et sa prose politique de brave pépé hédoniste. C'est à dire que l'on touche aux formes paroxystiques du subjectivisme tout à fait à même de produire un concept valise pour politicien bourgeois comme pour des supermarchés...

Je reviens quand même au contenu de l’auto-gestion dont tu me parles avant de conclure. Toutes les expériences «autogestionnaires» historiques se sont passées dans des moments particuliers d'affrontement avec le capital comme solution de «gestion» de l'urgence et du lendemain. Qu'il faille manger demain matin c’est bien vrai, mais il faut que l'on cesse de parler de communisme à ce sujet.

De gestion de la pénurie sous des formes anti-bureaucratiques me paraît plus honnête. Et encore ! Il faut voir ce qu'il y avait là-dessous le plus souvent. Une lutte pour la production et la militarisation du travail en vu de l'effort de guerre ou du sauvetage de l’économie « nationale ». 

Tu ne me feras pas avaler que «l'autogestion» de l'hôtellerie de luxe ou des usines de fabrications  de téléphones à Shenzhen par exemple soit un pas vers le communisme. Je pense que le communisme sera une société d'abondance plus que de la misère ou de la frugalité, même joyeuse, contrairement à ce que n'arrêtent pas de nous seriner les décroissants alter-gestionnaire. Les besoins et les désirs seront redéfinis. Non pas par l’État, tu t'en doutes comme beaucoup auto-gestionnaires chavezo-compatibles le pensent, et qui ne sont que le faux nez de nationalistes «nationalisateurs», ceci pour des raisons d’intérêts de classe évident et de domination politique. 

Tu me parleras alors peut-être de redéfinir plus «justement» le caractère plus «généralisé» ou « total » de cette fameuse «auto-gestion».

Mais il sera très difficile de redéfinir un terme dont toute la gauche du capital se sert et qui croit être du coté de la générosité et de la vérité, alors que ses seuls souhaits et perspectives c'est d'administrer la saloperie marchande d'une manière plus «généreuse». La seule perspective que je pense valable pour le moment c'est d'au moins définir négativement ce que n'est pas le communisme

Ce n'est pas un hégelo-marxisme mal dégrossi que mon positionnement, mais je n'ai pas envie de céder à l'esprit du moment qui nous incline à être positif ou constructif. Je crois que la période nous invite plus à nous battre sur une perspective globale et totale que de nous accrocher à des formes obsolètes, ou certains mots dévitalisés par l'histoire et les bourgeoisies. Ceci parce que c'est aussi le mouvement social et ses luttes qui dictent ses formes. Peut-être ne seront-elles pas aussi démocratiques que les bureaucrates de l'autogestion l'exigent, mais elles seront, ceci je n'en doute pas, si violentes et si féroces que les gentils humanistes de la gestion n'y comprendront plus rien, ceci parce qu' il n’y aura rien à contrôler ni à gérer, personne face à qui récla­mer l’au­to­no­mie.




vendredi 9 mai 2014

Emission du 26 Avril 2014 - Radio Vosstanie

Emission du 26 Avril 2014 de Radio Vosstanie. 

Invités 

La lutte des "redoutables" et la "trahison" syndicale.
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A propos des dernières contributions: La Théorie critique pour penser la crise, Une histoire du mouvement punk rock, La vie low cost selon easyJet, L’imposture zapatiste au Chiapas, Le néo-zapatisme pour sortir du capitalisme, Félix Guattari, penseur de l’écosophie.
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Discussion autour du texte le Néo-marxiste c'est l'Autre
et autres digressions...
Un coup "d'épée dans l'eau" chez les névropathes, Suite de "L'Echapée", Discussion autour du site Travail Contre Capital.

durée 312 minutes

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Et à l'écoute pendant 1 mois.

312 minutes d'émission. ! (ouf !)



Pendant l'émission quelques morceaux de l'album SamplObsession












Merci à Ben de la Médiapilation pour le visuels.

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Message en fin d'émission d'un Camarade actuellement en Sicile.


Hier, Vendredi 25 avril et aujourd’hui, plusieurs personnes se sont réunies à Niscemi, en Sicile, répondant à un appel lancé par le mouvement No MUOS, dont l'activité et le nombre de militants a connu une baisse ces derniers mois.

Un des buts était de maintenir éveillée la lutte, à travers des rencontres, des réunions, et surtout la réactivation de la pratique de l'action directe. 

Ainsi, hier, sous les yeux de la police italienne et de quelques soldats américains, les activistes ont découpé en plein jour les grillages de la base militaire américaine NRTF de Niscemi pour libérer un puits d'eau se trouvant à l'intérieur de la base. La police n'est intervenue qu'à la fin, au moment où les militants étaient en train de refermer le grillage de la base, laissant le puits à l'extérieur de celle-ci. Cette action, qui recouvrait surtout un caractère symbolique, a rapidement était anéantie durant la nuit, par les soldats de la marine américaine qui ont profité de l'absence d'activistes sur le terrain pour remettre en place le grillage.

Les réunions d'aujourd'hui (Samedi 26 avril), se sont appuyées sur cette action afin d'élargir les perspectives de cette lutte qui a dépassé, au moins en partie, l'objectif premier qui était celui d'empêcher la construction du MUOS (pour rappel, le montage des 3 antennes paraboliques du MUOS a été terminé fin janvier, mais le système n'est pas encore actif). 

En effet, la lutte s'attaque aujourd'hui à plusieurs problématiques engendrées par le système capitaliste. 
L'action pour la récupération du puits d'eau s'inscrit dans le combat d'une partie de population sicilienne aux problématiques d'eau potable. Il faut savoir que dans la ville de Niscemi, une ville d'environ 20000 habitants, l'eau est disponible tous les 15/20 jours, sans être forcément potable. C'est pourquoi la récupération du puits se veut une expression du refus de la population de laisser les militaires s'approprier des points d'eau alors que les civils n'en ont pas.

La solidarité théorique et pratique avec la lutte pour le droit des immigrés et pour la fermeture des centres de rétention en Sicile a été reconfirmée durant les réunions de ce week-end, qui ont vu l'intervention de plusieurs groupes actifs dans ce domaine.

De plus, la ligne antimilitariste a clairement été exprimée par la totalité des militants. Le combat contre le MUOS est donc aujourd'hui vu comme un combat contre l'armée et la militarisation des territoires ; les différentes actions directes ainsi que les communiqués vont et iront dans ce sens. 
Enfin, le désir d'internationalisation de cette lutte, en multipliant, d'une part, les moyens d'information et, d'autre part, les connexions avec d'autres luttes en-dehors des frontières italiennes, est toujours très présent. D'ailleurs, l'organisation de futurs camps et rencontres au niveau international, dont les dates seront officialisées ces prochains jours, vont dans ce sens.

Ainsi, plusieurs luttes qu'on pourrait définir comme étant partielles sont menées en parallèle et élèvent le combat ainsi que la sensibilité de la population vers des objectifs plus globaux. 

Cependant, la perspective de lutte des classes n'est actuellement pas abordée. Le discours anti-américain ou anti-occidental, avec le risque d'une vision du monde non pas classiste mais uniquement géopolitique, revient encore régulièrement, avec toutes les dérives de type maoïste que cela peut comporter (on peut notamment penser au communautarisme, au régionalisme ou au soutien potentiel à une bourgeoisie contre une autre). 
En plus, la possibilité de solliciter les travailleurs des entreprises qui fournissent la base américaine en matériel (nourriture, eau, électricité, internet, gasoil, etc.) afin d'obtenir de leur part un sabotage de la production et, en conséquence, du fonctionnement de la base américaine semble encore ne pas retenir l'attention du mouvement. 

Mais la lutte No MUOS est encore jeune et a déjà effectué une avancée remarquable en termes de réflexion et de pratique, ce qui laisse espérer des perspectives intéressantes. Les mois prochains nous diront dans quelle direction va évoluer ce mouvement qui doit continuer à grandir, l'antimilitarisme représentant une approche essentielle pouvant potentiellement permettre au mouvement de questionner les rapports de production capitaliste qui sont à la base de la militarisation croissante de l'ensemble de la planète.