Les
aventures de la conscience de classe [Fin]
Matériaux pour une émission (28)
Voici notre conclusion sur le choix de textes sur la conscience de classe. Ceci débouchera probablement sur une émission plus certainement sur une brochure.
Apposer
« conscience » à « classe » ne produit pas à notre avis un sens
supplémentaire et acceptable à l’optique qui nous intéresse.
Tout
d’abord, parce qu’elle peut réduire l’approche au niveau d’une
conception utilitariste.
Les
classes existent, et on ne voit pas au niveau élémentaire,
quotidien, ce qui pourrait retirer toute « conscience » à
n’importe quel individu se mouvant dans l'existence, même si la
question du « choix » et de la « liberté » de celle-ci paraît
plus épineuse. La problématique est encore plus périlleuse quand
elle s’occupe d’agrégats d'individus se pensant uniques et se
croyant faire « classe ».
Il
ne s’agit pas de nier l’existence de la conscience
ou des classes,
mais d’indiquer que cette locution peut également basculer et à
chaque instant dans un pur sociologisme.
Les
conséquences de ce sociologisme, c’est d’en
rester là,
c’est-à-dire dans une approche éternelle, fixe, descriptive de
l’assignation et de s’en contenter dans un rapport au monde,
jusque dans les combats et ses perspectives sisyphéennes et pour le dire plus
méchamment syndicales.
La
conscience
de classe
indique telle autre chose que la littéralité de la compréhension
d’une opposition ? Ne peut-elle pas par exemple, en rester
simplement au niveau de la haine et du ressentiment ?
Les
promoteurs basiques de la « conscience de classe » y adjoignent non
sans raffinement une théorie des « niveaux » de celle-ci,
c’est-à-dire une théorie
hiérarchique,
dont les fins sont assez systématiquement la défense partidaire,
comme seule médiation capable de hisser le niveau de cette «
conscience » pauvre au niveau du combat de l'infaillible Parti ou de
l’organisation et au bénéfice de ceux qui prétendent prendre les
places (mêmes symboliques).
Mais
nos époques sont fantastiques et les obsessions dirigistes
empruntent de nos jours des chemins variables et bien dissimulés
comme celui de l’horizontalité autoritaire ou de la démocratie
des « premiers concernés » par leurs médiatisations.
Cette
nouvelle-ancienne bourgeoisie de la conscience mesure la « radicalité » de telle ou telle
grève/lutte par rapport à telle autre.
Ainsi
telle lutte « est allée le plus loin » alors que systématiquement
elle a vite échappé aux travailleurs au profit des intérêts de
racketteurs (et
racketteuses)
politiques rivaux et professionnels.
Les
alchimistes de la conscience perdue
du « peuple » ou du « prolétariat » tentent
tout
pour que le pouvoir ne tombe pas dans la rue ou pour qu’il s’y
fracasse très lourdement pour le ramasser ensuite.
Plus
l'affrontement entre le capital et le travail exclut les prétentions
des directions politiques, plus l'obsession dirigiste s’affirme,
quand elles ne tentent pas de le dissoudre dans des chapelets infinis
« d’oppressions » à combattre.
Il
est possible de le constater avec leurs « bons conseils » et leurs
abondantes interjections aux prolétaires qui rendent d’ailleurs
leurs discours ennuyeux et sirupeux. Rien de pire pour susciter
légitimement l'apathie et le retrait.
Il
ne s’agit pas pour autant ici d'idéaliser ou de « suivre » les
prolétaires [1] même en mouvement.
Pourquoi
? Parce que nous sommes nous-mêmes des prolétaires. Il n’y a que
des gens extérieurs
qui suivent ou qui se pensent sur l’avant-scène d’un théâtre
d’opérations
(politicien) en
ce temps totalement imaginaire.
Les
aventures fétichistes de la conscience et de son roman masque la
richesse pratique des relations sociales de production dans
lesquelles nous sommes insérés. Elles sont de chaires et de fluides
divers, violentes, plus plastiques et imprévisibles que les
réductions économicistes ou même culturalistes. Elles surprennent
même les bedeaux de l’économisme [2] et déroutent toujours autant les théoriciens en pyjamas de la
prochaine transcroissance.
Que
l’on ne nous accuse surtout pas de ne pas vouloir comprendre et
d’expliquer le monde ! Mais que
l’on nous permette la faveur de l’entrevoir sous d’autres
prismes que celui du réifié.
Peut-être
que la brochure à paraître pourrait porter comme titre Que
faire de la conscience de classe ?
Il nous semble déjà difficile de ne pas tomber dans certains
écueils. Mais on se devra d’articuler nécessairement notre
propos à une perspective, celle du communisme et de ces moyens, qui
passent assurément par une révolution. Mais laquelle, serait-on
tenté d’ajouter puisque ce terme est si fatigué.
S'agit-il
de défendre une nouvelle synthèse (ronflante), à savoir celle de
la conscience
de classe révolutionnaire communiste
?
Cette
interrogation peut sembler paradoxale car elle est aussi
superfétatoire que complexe, non par elle-même mais parce que
l’époque est aussi volatile que concentrée et totale. Elle rend
donc le fait même de se dire révolutionnaire
difficile, sauf à imaginer des arrières mondes d'où viendraient
des
codes (puritains) pour
cette
métempsychose libertaire.
Une
compréhension purement « classiste » du réel peut donner quelques armes
efficaces pour nous défendre contre l’idéologie et son ordre
dominant (constructiviste, subjectivant et dissolvant) c’est-à-dire
celui où il n’y a pas d'objectivité mais que des interprétations.
Mais
elle ne semble plus être portée de ce souffle perdu dans le dédale
de la scintillante marchandise.
Dommage
pour les divulgateurs bénévoles de la conscience ou les
humanitaires de la science de la plus-value.
Il
est possible de penser que la meilleure des approches soit encore
celle de n’avoir aucune illusion et d’en finir définitivement
avec toute forme d’espérance de
principe.
Vosstanie le 14 août 2020
Notes [1]Voir la préface à
Quand le peuple est populaire. [2]Nous ne voyons rien de répréhensible à vouloir gagner plus tout en travaillant moins...