This film documents the coal miners' strike against the Brookside Mine of the Eastover Mining Company in Harlan County, Kentucky in June, 1973. Eastovers refusal to sign a contract (when the miners joined with the United Mine Workers of America) led to the strike, which lasted more than a year and included violent battles between gun-toting company thugs/scabs and the picketing miners and their supportive women-folk. Director Barbara Kopple puts the strike into perspective by giving us some background on the historical plight of the miners and some history of the UMWA.
lundi 23 novembre 2009
dimanche 22 novembre 2009
Selection de textes
Vous trouverez dans cette rubrique une sélection de textes qui peuvent permettre le débat.
Transcription de l'émission du 18 juin 2016 sur Radio Vosstanie au format PDF
Transcription de l'émission du 18 juin 2016 sur Radio Vosstanie au format PDF
Introduction (vosstanie)
Émission autour de l’identité au sens large, que l’on aurait pu titrer « Pour une critique des idéologies identitaires », mais on a gardé le singulier pour englober le même phénomène historique lié à l’aliénation, c'est-à dire la séparation au sens large.
Mais surtout la séparation dans la sphère de production, le travail, la vie quotidienne, qui impose des formes d’assignation dont on va détailler les paradoxes.
Ce choix de titre privilégie une méthode d’analyse qui nous permettra d’aller du général au particulier, pour ensuite revenir au général dans la conclusion.
On va essayer d’éviter le jonglage avec les différents concepts réifiés du monde bourgeois.
On se propose de dialectiser le réel pour tenter une analyse totale, et donc de réhabiliter la totalité ; problématique désuète semble-t-il, qui ne donne pas la possibilité aux spécialistes en tous genres et autres commerçants des idées de vivre de leur rente de situation, réelle ou symbolique.
Il s’agit donc d’éviter de prendre les débats par l’angle du trou de serrure, qui sont des pièges politiques (mais on rentrera, là aussi, dans les détails ultérieurement), car ils permettent la stigmatisation et la réduction ad ce que l’on voudra, sans entrer dans le coeur d’analyse et de rester perpétuellement au niveau de l’écume de celle-ci. Et sans remettre bien entendu en question le capitalisme, et donc par là-même remettre à jour la perspective communiste.
Est-ce qu’il est opportun de traiter de ces questions-là au moment de la « Loi travail » ? On pourra répondre qu’il n’y a jamais de bons ou de mauvais moments, et que cette émission était déjà programmée depuis bien longtemps ; de plus, tout est connecté, tout se chevauche.
Alors c’est quoi l’identité ? A l’heure où se mettent au devant de la scène des homos nationalistes, des femmes voilées féministes, des lutteurs de classes patriotes, des communautaires fiers d’être Français, des racialistes chez des anarchistes, des décoloniaux d’ultra-gauche, des « appelistes » qui battent leur coulpe d’Occidentaux décadents, des réminiscences suprématistes de toutes les couleurs, des anciens trotskystes critiques qui nous disent qu’ « en France il y a une ethnie dominante », et que nier le concept de race c’est être un « négationniste de la race », il y a de quoi se dire qu’il n’y a plus de boussole, et que dans ces milieux groupusculaires, on est en train de recréer des lignes de fracture énormes autour de problématiques ethnoculturelles. Et que se substitue progressivement à la lutte des classes, la lutte pour la reconnaissance des identités.
Alors ce n’est pas ce qu’on pense, et on va le développer.
On pourrait s’en moquer, fuir, mais ce n’est pas le cas. A ce sujet-là, on accorde notre soutien politique aux camarades de la Discordia, qui ont organisé deux débats qu’il fallait absolument faire sur le concept d’islamophobie et de la théo-compatibilité de certains courants d’extrême-gauche et libertaires avec des religieux, mais aussi sur les mêmes accointances avec les « racialistes », à savoir ceux qui veulent se réapproprier le concept de race et qui nous servent la même vieille soupe anti-impérialiste des nations prolétaires, aux couleurs de la race bien sûr.
Il est certain que le débat est très épineux, parce que finalement nous sommes sommés de nous définir, ce que bien sûr nous refusons, entre l’universalisme marchand et l’ethno-différentialisme marchand.
Peut-être existe t-il une autre piste mais elle prend inévitablement le chemin de la révolution et de la destruction du capitalisme.
Cette émission c’est donc proposer des pistes de réflexion collectives sur ce qu’il se passe, pour revenir un peu sur le concret et la totalité.
Alors, le mot identité, c’est peut-être ce que l’on va essayer de dégrossir dans un premier temps. « identité » vient du mot grec qui signifie « le même ». Peut-on tenter de définir le concept d’identité – concept peut-être passe-partout – à partir d’abord de ce qu’il nous renvoie d’emblée sur ce qu’est l’identité et la figure du même.
Il est d’ailleurs étonnant que l’identité soit l’objet de débats et que le même fasse son retour en force.
Le débat sur l’identité n’est-il pas quelque chose qui nous serait en propre, et qui nous rendrait paradoxalement très différent des autres ?
Même si on est les mêmes, le concept d’identité nous permet aussi de nous construire une individualité, une forme qui nous distinguer des autres.
Il est très étonnant que l’on soit dans un éloge du même alors que cette notion construit du différent.
N’y a-t-il pas quelque chose de paradoxal à ce que ce débat s’invite sous cette égide du même alors que nous voulons nous différencier ?
LA RECUPERATION EN FRANCE DEPUIS 1968 par Jaime SEMPRUN
S'il est une lecture plus propre à persuader de l'inéluctable effondrement de cette société que celle des très nombreux ouvrages en exposant les diverses tares, c'est bien celle de ceux, plus nombreux encore, qui s'avisent d'y proposer quelque remède. Ma supériorité évidente, dont le lecteur appréciera bien vite tous les avantages, est de ne présenter aucune solution
Les limites de l'intégration par Paul MATTICK (1969)
Assurément, Marcuse ne se livre pas à une description réaliste des conditions existantes; il cherche plutôt à dégager les tendances qu'on peut observer au sein de ces conditions. C'est parce que les virtualités du système actuel prennent corps sans rencontrer d'opposition qu'on semble devoir aboutir à une société totalitaire complètement intégrée. Pour mettre obstacle à ce mouvement, il faudrait que les classes opprimées « se libèrent à la fois d'elles-mêmes et de leurs maîtres ». Transcender des conditions établies, voilà qui présuppose une transcendance au sein de ces conditions : tour de force que la société unidimensionnelle interdit à l'homme unidimensionnel. Et Marcuse de conclure en ces termes : « La théorie critique de la société ne possède pas de concepts qui permettent de franchir l'écart entre le présent et le futur; elle ne fait pas de promesses; elle n'a pas réussi; elle est restée négative ». Autrement dit, la théorie critique — ou marxisme — ne mérite plus guère qu'un coup de chapeau en passant.
La mystification démocratique - Jacques CAMATTE (REVUE INVARIANCE N° 6 - 1969) L’assaut du prolétariat aux citadelles du capital ne pourra se faire avec une quelconque chance de succès qu’à la condition que le mouvement révolutionnaire prolétarien en finisse, une fois pour toutes, avec la démocratie. Celle-ci est le dernier refuge de tous les reniements, de toutes les trahisons, parce qu’elle est le premier espoir de ceux qui croient assainir, revigorer le mouvement actuel pourri jusqu’en ses fondements.
Émission autour de l’identité au sens large, que l’on aurait pu titrer « Pour une critique des idéologies identitaires », mais on a gardé le singulier pour englober le même phénomène historique lié à l’aliénation, c'est-à dire la séparation au sens large.
Mais surtout la séparation dans la sphère de production, le travail, la vie quotidienne, qui impose des formes d’assignation dont on va détailler les paradoxes.
Ce choix de titre privilégie une méthode d’analyse qui nous permettra d’aller du général au particulier, pour ensuite revenir au général dans la conclusion.
On va essayer d’éviter le jonglage avec les différents concepts réifiés du monde bourgeois.
On se propose de dialectiser le réel pour tenter une analyse totale, et donc de réhabiliter la totalité ; problématique désuète semble-t-il, qui ne donne pas la possibilité aux spécialistes en tous genres et autres commerçants des idées de vivre de leur rente de situation, réelle ou symbolique.
Il s’agit donc d’éviter de prendre les débats par l’angle du trou de serrure, qui sont des pièges politiques (mais on rentrera, là aussi, dans les détails ultérieurement), car ils permettent la stigmatisation et la réduction ad ce que l’on voudra, sans entrer dans le coeur d’analyse et de rester perpétuellement au niveau de l’écume de celle-ci. Et sans remettre bien entendu en question le capitalisme, et donc par là-même remettre à jour la perspective communiste.
Est-ce qu’il est opportun de traiter de ces questions-là au moment de la « Loi travail » ? On pourra répondre qu’il n’y a jamais de bons ou de mauvais moments, et que cette émission était déjà programmée depuis bien longtemps ; de plus, tout est connecté, tout se chevauche.
Alors c’est quoi l’identité ? A l’heure où se mettent au devant de la scène des homos nationalistes, des femmes voilées féministes, des lutteurs de classes patriotes, des communautaires fiers d’être Français, des racialistes chez des anarchistes, des décoloniaux d’ultra-gauche, des « appelistes » qui battent leur coulpe d’Occidentaux décadents, des réminiscences suprématistes de toutes les couleurs, des anciens trotskystes critiques qui nous disent qu’ « en France il y a une ethnie dominante », et que nier le concept de race c’est être un « négationniste de la race », il y a de quoi se dire qu’il n’y a plus de boussole, et que dans ces milieux groupusculaires, on est en train de recréer des lignes de fracture énormes autour de problématiques ethnoculturelles. Et que se substitue progressivement à la lutte des classes, la lutte pour la reconnaissance des identités.
Alors ce n’est pas ce qu’on pense, et on va le développer.
On pourrait s’en moquer, fuir, mais ce n’est pas le cas. A ce sujet-là, on accorde notre soutien politique aux camarades de la Discordia, qui ont organisé deux débats qu’il fallait absolument faire sur le concept d’islamophobie et de la théo-compatibilité de certains courants d’extrême-gauche et libertaires avec des religieux, mais aussi sur les mêmes accointances avec les « racialistes », à savoir ceux qui veulent se réapproprier le concept de race et qui nous servent la même vieille soupe anti-impérialiste des nations prolétaires, aux couleurs de la race bien sûr.
Il est certain que le débat est très épineux, parce que finalement nous sommes sommés de nous définir, ce que bien sûr nous refusons, entre l’universalisme marchand et l’ethno-différentialisme marchand.
Peut-être existe t-il une autre piste mais elle prend inévitablement le chemin de la révolution et de la destruction du capitalisme.
Cette émission c’est donc proposer des pistes de réflexion collectives sur ce qu’il se passe, pour revenir un peu sur le concret et la totalité.
Alors, le mot identité, c’est peut-être ce que l’on va essayer de dégrossir dans un premier temps. « identité » vient du mot grec qui signifie « le même ». Peut-on tenter de définir le concept d’identité – concept peut-être passe-partout – à partir d’abord de ce qu’il nous renvoie d’emblée sur ce qu’est l’identité et la figure du même.
Il est d’ailleurs étonnant que l’identité soit l’objet de débats et que le même fasse son retour en force.
Le débat sur l’identité n’est-il pas quelque chose qui nous serait en propre, et qui nous rendrait paradoxalement très différent des autres ?
Même si on est les mêmes, le concept d’identité nous permet aussi de nous construire une individualité, une forme qui nous distinguer des autres.
Il est très étonnant que l’on soit dans un éloge du même alors que cette notion construit du différent.
N’y a-t-il pas quelque chose de paradoxal à ce que ce débat s’invite sous cette égide du même alors que nous voulons nous différencier ?
LA RECUPERATION EN FRANCE DEPUIS 1968 par Jaime SEMPRUN
S'il est une lecture plus propre à persuader de l'inéluctable effondrement de cette société que celle des très nombreux ouvrages en exposant les diverses tares, c'est bien celle de ceux, plus nombreux encore, qui s'avisent d'y proposer quelque remède. Ma supériorité évidente, dont le lecteur appréciera bien vite tous les avantages, est de ne présenter aucune solution
Les limites de l'intégration par Paul MATTICK (1969)
Assurément, Marcuse ne se livre pas à une description réaliste des conditions existantes; il cherche plutôt à dégager les tendances qu'on peut observer au sein de ces conditions. C'est parce que les virtualités du système actuel prennent corps sans rencontrer d'opposition qu'on semble devoir aboutir à une société totalitaire complètement intégrée. Pour mettre obstacle à ce mouvement, il faudrait que les classes opprimées « se libèrent à la fois d'elles-mêmes et de leurs maîtres ». Transcender des conditions établies, voilà qui présuppose une transcendance au sein de ces conditions : tour de force que la société unidimensionnelle interdit à l'homme unidimensionnel. Et Marcuse de conclure en ces termes : « La théorie critique de la société ne possède pas de concepts qui permettent de franchir l'écart entre le présent et le futur; elle ne fait pas de promesses; elle n'a pas réussi; elle est restée négative ». Autrement dit, la théorie critique — ou marxisme — ne mérite plus guère qu'un coup de chapeau en passant.
La mystification démocratique - Jacques CAMATTE (REVUE INVARIANCE N° 6 - 1969) L’assaut du prolétariat aux citadelles du capital ne pourra se faire avec une quelconque chance de succès qu’à la condition que le mouvement révolutionnaire prolétarien en finisse, une fois pour toutes, avec la démocratie. Celle-ci est le dernier refuge de tous les reniements, de toutes les trahisons, parce qu’elle est le premier espoir de ceux qui croient assainir, revigorer le mouvement actuel pourri jusqu’en ses fondements.
Contre le mythe autogestionnaire par des prolétaires
Ce texte est une tentative d’élaborer une critique de cette perspective largement répandue aujourd’hui dans les milieux militants qui se revendiquent, du moins formellement, de la nécessité de changer radicalement le monde. Outre le mensonge de leur discours, leur pratique montre clairement leur réel positionnement dans la guerre de classe. A travers l’analyse des exemples-phares autogestionnaires que sont l’Espagne en 1936, l’atelier Lip à Besançon en 1973 et l’Argentine depuis décembre 2001, notre volonté est de montrer en quoi la perspective de gestion des processus productifs et d’échange est un arrêt du processus révolutionnaire, un renforcement de l’ordre établi qui renvoie le prolétariat à la seule place que lui laisse le capital, celle de producteur de valeur quitte à lui laisser le rôle de gestionnaire pendant un temps ! Les expériences alter éco sympa en pleine paix sociale n’ont rien de contradictoire, elles sont des entreprises capitalistes sans ambiguïté. Ce qui nous questionne, c’est l’antagonisme qui traverse tout mouvement de classe dans sa dynamique combative, vivante et donc profondément contradictoire. Ces luttes sont l’expression d’une classe qui vit et combat contre la dictature de l’économie, et ont pu servir de vague sur laquelle ont surfé avec prestige les plus fieffés sociaux-démocrates, nous vendant leur soupe pour alimenter nos propres faiblesses et contradictions. Leur activité contre-révolutionnaire consiste précisément en cela.
Contre le racket abertzale ou les Insolences anti-patriotiques d'un métèque par Gaizki-Ikasi Maketo
Réflexions sur le travail théorique GLAT - Lutte de Classe - Mars 1978
Nous sommes au regret d’informer les collectionneurs de publications révolutionnaires que le présent numéro de Lutte de Classe est le dernier qu’ils recevront. Pour ceux qu’elle pourrait intéresser, l’analyse qui a conduit à cette décision est résumée ci-dessous.
La lutte de classe en Ulster de J.-Yves BÉRIOU
Les récents événements d'Irlande du Nord viennent par eux-mêmes, sans fard, de démontrer à quel point tous les mensonges sont solidaires. Les avatars de la pensée pourrissante moderne s'étalent sans fausse honte aux yeux de « l'opinion publique ›. La barbarie de l'armée d'occupation anglaise est dénoncée au profit de la barbarie de l'I.R.A. et de sa terreur exercée sur le dos du prolétariat. Dans la même sainte alliance, se trouvent réunis maoïstes, chrétiens de gauche, trotskistes, staliniens, anarchistes, socialistes, maspérisés de toutes sortes, « matérialisés pour une intervention », gaullistes, nationalistes, royalistes, « Ordre Nouveau », etc. A qui mieux mieux, ça grouille, ça parle, ça pue, et ça rote. Ça s'appelle l'extrême gauche, la gauche, la droite et aussi l'extrême droite. Bref, les Racketts.Contre le racket abertzale ou les Insolences anti-patriotiques d'un métèque par Gaizki-Ikasi Maketo
Réflexions sur le travail théorique GLAT - Lutte de Classe - Mars 1978
Nous sommes au regret d’informer les collectionneurs de publications révolutionnaires que le présent numéro de Lutte de Classe est le dernier qu’ils recevront. Pour ceux qu’elle pourrait intéresser, l’analyse qui a conduit à cette décision est résumée ci-dessous.
La lutte de classe en Ulster de J.-Yves BÉRIOU
"Bien que dans "Le Militantisme..." nous parlions d'action et d'organisation, il nous a été reproché de prêcher la démission et la passivité comme mode de salut. En variante, l'on nous a accusé d'être en contradiction avec nous même et d'être les plus hypocrites des militants puisque nous critiquions le militantisme tout en continuant à agir.Nous n'avons pas fait la critique de l'action mais de la passivité.Ce n'est pas nous ce sont les militants qui ont proclamé leur activité distincte, complémentaire et supérieur à celle qui serait spontanément inorganisée de la classe. Ils l'ont appelé "militantisme". Nous n'avons fait que dire que l'activité prolétarienne spontanée, même si elle s'exprime encore bien timidement, est DEJA communiste et que, au contraire le militantisme ne l'est pas. C'est du délire que de prétendre contre nous, avoir le monopole de l'action et donc de se substituer totalement à la classe. Se poser la question « que faire? », courir après l'action, c'est montrer que l'on est séparé du mouvement communiste. Le communiste, même s'il a une stratégie consciente ou s'il s'occupe de théorie; ne sépare pas son activité des motivations, de la situation qui le pousse à agir. Le militantisme, du point de vue du communisme, c'est à dire aussi du point de vue des besoins du militant ce n'est pas l'action, c'est s'agiter pour ne pas changer. Autant que les militants proprement dit, la brochure a dérangé cette couche de sympathisants qui baigne dans l'idéologie militante sans vouloir en payer le prix. On s'enrage d'autant plus de voir le militantisme mis en cause que l'on se sent coupable de ne pas militer."
Libellés :
Camatte,
Contre le racket abertzale ou les Insolences anti-patriotiques d'un métèque,
Dauvé,
Glat,
Herbert Marcuse,
mythe autogestionnaire,
Paul Mattick,
textes et débats
La mystification démocratique
La mystification démocratique - Jacques CAMATTE
REVUE INVARIANCE N° 6 - 1969
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L’assaut du prolétariat aux citadelles du capital ne pourra se faire avec une quelconque chance de succès qu’à la condition que le mouvement révolutionnaire prolétarien en finisse, une fois pour toutes, avec la démocratie. Celle-ci est le dernier refuge de tous les reniements, de toutes les trahisons, parce qu’elle est le premier espoir de ceux qui croient assainir, revigorer le mouvement actuel pourri jusqu’en ses fondements.
«La vie sociale est essentiellement pratique. Tous les mystères qui détournent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique.» (Marx – Huitième thèse sur Feuerbach)
1) D’une façon générale, nous pouvons définir la démocratie comme le comportement de l’homme, l’organisation de celui-ci lorsqu’il a perdu son unité organique originelle avec la communauté. Elle existe donc durant toute la période qui sépare le communisme primitif du communisme scientifique.
2) Elle naît à partir du moment où il y a division entre les hommes et partage de l’avoir. Cela veut dire qu’elle naît avec la propriété privée, les individus et la division de la société en classes, avec la formation de l’Etat. Il s’ensuit qu’elle devient de plus en plus pure au fur et à mesure que la propriété privée devient plus générale et que les classes apparaissent plus nettement dans la société.
3) Elle suppose un bien commun mis en partage. Dans la société antique, la démocratie limitée présupposait l’existence de l’ager publicus et les esclaves n’étaient pas des hommes. Dans la société moderne, ce bien est plus universel (touche un plus grand nombre d’hommes), plus abstrait, illusoire: la patrie.
4) La démocratie n’exclut en aucune façon l’autorité, la dictature et donc l’Etat. Au contraire, elle en a besoin comme fondement. Qui peut garantir le partage, qui veut régler le rapport entre les individus et entre ceux-ci et le bien commun, sinon l’Etat? Dans la société capitaliste pleinement développée, l’Etat se présente aussi comme le gardien de la répartition à un double point de vue: empêcher que la plus-value ne soit grignotée par le prolétariat, garantir la répartition de celle-ci sous forme de profit industriel, profit commercial, intérêt, rente, etc. entre les différentes sphères capitalistes.
5) Elle implique donc l’existence des individus, de classes et de l’Etat; ce qui fait qu’elle est à la fois mode de gouvernement, mode de domination d’une classe, ainsi que le mécanisme d’union et de conciliation.
Les processus économiques, en effet, à l’origine, divisent les hommes (procès d’expropriation) unis dans la communauté primitive. Les antiques rapports sociaux sont détruits. L’or devient puissance réelle remplaçant l’autorité de la communauté. Les hommes sont opposés à cause d’antagonismes matériels tels qu’ils pourraient faire éclater la société, la rendre invivable. La démocratie apparaît comme un moyen de concilier les contraires, comme la forme politique la plus apte à unir ce qui a été divisé. Elle représente la conciliation entre la vieille communauté et la société nouvelle. La forme mystificatrice réside dans l’apparente reconstruction d’une unité perdue. La mystification était progressive.
Au pôle opposé de l’histoire, de nos jours, le processus économique a abouti à la socialisation de la production et des hommes. La politique, au contraire, tend à les diviser, à les maintenir comme simples surfaces d’échange pour le capital. La forme communiste devient de plus en plus puissante au sein du vieux monde capitaliste. La démocratie apparaît comme une conciliation entre le passé encore agissant en notre présent actuel et le futur: la société communiste. La mystification est réactionnaire.
6) Il a été souvent affirmé qu’au commencement de la vie de notre espèce, dans le communisme primitif, il y avait des germes de démocratie, certains parlent même de formes. Or il y a incompréhension que dans la forme inférieure on peut trouver les germes de la forme supérieure se manifestant sporadiquement. Cette «démocratie» apparaissait dans des circonstances bien définies. Celles-ci une fois révolues, il y avait retour à l’ancien mode d’organisation. Exemple: la démocratie militaire à ses débuts. L’élection du chef se faisait à un moment précis et en vue de certaines opérations. Celles-ci accomplies, le chef était résorbé dans la communauté. La démocratie qui se manifestait temporairement était réabsorbée. Il en fut de même pour les formes du capital que Marx appelle antédiluviennes. L’usure est la forme archaïque du capital-argent qui pouvait se manifester dans les vieilles sociétés. Mais son existence était toujours précaire parce que la société se défendait contre son pouvoir dissolvant et la bannissait. Ce n’est que lorsque l’homme est devenu marchandise que le capital peut se développer sur une base sûre et qu’il ne peut plus être réabsorbé. La démocratie ne peut réellement se manifester qu’à partir du moment où les hommes ont été totalement divisés et que le cordon ombilical les unissant à la communauté a été coupé; c’est-à-dire quand il y a des individus.
Le communisme peut parfois se manifester dans cette société, mais il est toujours réabsorbé. Il ne pourra vraiment se développer qu’à partir du moment où la communauté matérielle aura été détruite.
7) Le phénomène démocratique apparaît avec netteté au cours de deux périodes historiques: lors de la dissolution de la communauté primitive en Grèce; lors de la dissolution de la société féodale en Europe occidentale. C’est incontestablement au cours de cette seconde période que le phénomène apparaît dans sa plus grande ampleur parce que les hommes ont été réellement réduits à l’état d’individus et que les antiques rapports sociaux ne peuvent plus les maintenir unis. La révolution bourgeoise apparaît toujours comme une mise en mouvement des masses. D’où la question bourgeoise: comment unifier celles-ci et les fixer dans de nouvelles formes sociales. De là, la maladie institutionnelle et le déchaînement du droit en société bourgeoise. La révolution bourgeoise est sociale à âme politique.
Au cours de la révolution communiste, les masses ont déjà été organisées par la société capitaliste. Elles ne vont pas chercher de nouvelles formes d’organisation mais elles vont structurer un nouvel être collectif, la communauté humaine. Ceci apparaît nettement lorsque la classe agit en temps qu’être historique, lorsqu’elle se constitue en parti.
Plusieurs fois dans le mouvement communiste, il a été affirmé que la révolution n’est pas un problème de formes d’organisation. Pour la société capitaliste, en revanche, tout est question organisationnelle. Au début de son développement, ceci apparaît dans la recherche des bonnes institutions; à la fin dans celle des structures les plus aptes à enserrer les hommes dans les prisons du capital: le fascisme. Aux deux extrêmes, la démocratie est au coeur de ces recherches: la démocratie politique d’abord, sociale ensuite.
8) La mystification n’est pas un phénomène voulu par les hommes de la classe dominante, une supercherie inventée par eux. Il suffirait d’une simple propagande adéquate pour l’extirper des cerveaux des hommes. Elle agit en fait, dans les profondeurs de la structure sociale, dans les rapports sociaux.
«Il faut qu’un rapport social de production se présente sous la forme d’un objet existant en dehors des individus et que les relations déterminées dans lesquelles ceux-ci entrent dans le procès de production de leur vie sociale, se présentent comme des propriétés spécifiques d’un objet. C’est ce renversement, cette mystification non pas imaginaire, mais d’une prosaïque réalité, qui caractérise toutes les formes sociales du travail créateur de valeur d’échange.»
(Marx – Contribution à la critique de l’économie politique)
Il est donc nécessaire d’expliquer en quoi la réalité est mystificative et comment cette mystification simple, au début, devient de plus en plus grande et atteint son maximum avec le capitalisme.
9) A l’origine, la communauté humaine subit la dictature de la nature. Elle doit lutter contre elle pour survivre. La dictature est directe, et la communauté dans sa totalité, la subit.
Avec le développement de la société de classes, l’Etat se pose en représentant de la communauté, prétend incarner la lutte de l’homme contre la nature. Or, étant donné la faiblesse du développement des forces productives, la dictature de cette dernière est toujours opérante. Elle est indirecte, médiatisée par l’Etat et pèse surtout sur les couches les plus défavorisées. Lorsque l’Etat définit l’Homme, il prend, en fait, comme substrat de sa définition, l’homme de la classe dominante. La mystification est totale.
10) Sous le capitalisme, on a une première période où, bien que la bourgeoisie ait pris le pouvoir, le capital n’a encore qu’une domination formelle. Beaucoup de restes de formations sociales antérieures persistent, faisant obstacle à sa domination sur l’ensemble de la société. C’est l’époque de la démocratie politique où s’effectue l’apologie de la liberté individuelle et la libre concurrence. La bourgeoisie présente cela comme moyens de libération des hommes. Or c’est une mystification parce que «la concurrence n’émancipe pas les individus, mais le capital» (Marx – Grundrisse).
«On voit ainsi combien il est inepte de présenter la libre concurrence comme le développement ultime de la liberté humaine, et la négation de la libre concurrence comme la négation de la liberté individuelle et de la production sociale fondée sur la liberté individuelle, puisqu’il s’agit simplement du libre développement sur une base étroite -celle de la domination du capital-. De ce fait, cette sorte de liberté individuelle est à la fois l’abolition de toute liberté individuelle et l’assujettissement de l’individu aux conditions sociales qui revêtent la forme de puissances matérielles, et même d’objets supérieurs et indépendants des rapports des individus. Ce développement de la libre concurrence fournit la seule réponse rationnelle que l’on puisse faire aux prophètes de la classe bourgeoise qui la portent aux nues, ou aux socialistes qui la vouent aux gémonies.»
(Marx – Ibid)
11) «La démocratie et le parlementarisme sont indispensables à la bourgeoisie après sa victoire par les armes et par la terreur parce que la bourgeoisie veut dominer une société divisée en classes.» (Battaglia Communista – 1951)
Il y avait nécessité d’une conciliation pour pouvoir dominer car il était impossible qu’une domination perdure uniquement par la terreur. Après la conquête du pouvoir, par la violence et la terreur, le prolétariat n’a pas besoin de la démocratie non pas parce que les classes disparaissent du jour au lendemain mais parce qu’il ne doit plus y avoir masquage, mystification. La dictature est nécessaire pour empêcher tout retour de la classe adverse. De plus, l’accession du prolétariat à l’Etat, est sa propre négation en tant que classe, ainsi que celle des autres classes. C’est le début de l’unification de l’espèce, de la formation de la communauté. Réclamer la démocratie impliquerait l’exigence d’une conciliation entre les classes et cela reviendrait à douter que le communisme est la solution de tous les antagonismes, qu’il est la réconciliation de l’homme avec lui-même.
12) Avec le capital, le mouvement économique n’est plus séparé du mouvement social. Avec l’achat et la vente de la force de travail, l’union s’est opérée, mais elle a abouti à la soumission des hommes au capital. Celui-ci se constitue en communauté matérielle et il n’y a plus de politique puisque c’est le capital lui-même qui organise les hommes en esclaves.
Jusqu’à ce stade historique, il y avait une séparation plus ou moins nette entre production et distribution. La démocratie politique pouvait être envisagée comme un moyen de répartir plus équitablement les produits. Mais lorsque la communauté matérielle est réalisée, production et distribution sont indissolublement liées. Les impératifs de la circulation conditionnent, alors, la distribution. Or la première n’est plus quelque chose de totalement extérieur à la production, mais est, pour le capital, un moment essentiel de son procès total. C’est donc le capital lui-même qui conditionne la distribution.
Tous les hommes accomplissent une fonction pour le capital qui, au fond, présuppose leur existence. En rapport avec l’exécution de cette fonction, les hommes reçoivent une certaine distribution de produits par l’intermédiaire d’un salaire. Nous avons une démocratie sociale. La politique des revenus est un moyen d’y parvenir.
13) Durant la période de domination formelle du capital (démocratie politique) la démocratie n’est pas une forme d’organisation qui s’oppose en tant que telle au capital, c’est un mécanisme utilisé par la classe capitaliste pour parvenir à la domination de la société. C’est la période où toutes les formes incluses dans cette dernière luttent pour parvenir à ce même résultat. C’est pourquoi, pendant une certaine période, le prolétariat peut lui aussi intervenir sur ce terrain. D’autre part, les oppositions se déroulent aussi au sein d’une même classe, entre bourgeoisie industrielle et bourgeoisie financière par exemple. Le parlement est alors une arène où s’affrontent les intérêts divers. Le prolétariat peut utiliser la tribune parlementaire pour dénoncer la mystification démocratique et utiliser le suffrage universel en tant que moyen d’organiser la classe.
Lorsque le capital est parvenu à sa domination réelle, s’est constitué en communauté matérielle, la question est résolue: il s’est emparé de l’Etat. La conquête de l’Etat de l’intérieur ne se pose plus car il n’est plus «qu’une formalité, le haut goût de la vie populaire, une cérémonie. L’élément constituant est le mensonge sanctionné, légal des Etats constitutionnels, disant que l’Etat est l’intérêt du peuple ou que le peuple est l’intérêt de l’Etat» (Marx).
14) L’Etat démocratique représente l’illusion de la conduite de la société par l’homme (que celui-ci puisse diriger le phénomène économique). Il proclame l’homme souverain. L’Etat fasciste est la réalisation de la mystification (en ce sens il peut apparaître comme sa négation). L’homme n’est pas souverain. En même temps, il est, de ce fait, la forme réelle, avouée, de l’Etat capitaliste: domination absolue du capital. L’ensemble social ne pouvait pas vivre sur un divorce entre la théorie et la pratique. La théorie disait: l’homme est souverain; la pratique affirmait: c’est le capital. Seulement, tant que ce dernier n’était pas parvenu à dominer, de façon absolue, la société, il y avait possibilité de distorsion. Dans l’Etat fasciste, la réalité s’assujettit l’idée pour en faire une idée réelle. Dans l’Etat démocratique l’idée s’assujettit la réalité pour en faire une réalité imaginaire. La démocratie des esclaves du capital supprime la mystification pour mieux la réaliser. Les démocrates veulent la remettre en évidence lorsqu’ils croient pouvoir concilier le prolétariat avec le capital.
La société a trouvé l’être de son oppression (ce qui abolit la dualité, la distorsion réalité-pensée), il faut lui opposer l’être libérateur qui représente la communauté humaine: le parti communiste.
15) De là découle que la plupart des théoriciens du XIXème siècle étaient étatistes. Ils pensaient résoudre les données sociales au niveau de l’Etat. Ils étaient médiatistes. Seulement, ils ne comprenaient pas que le prolétariat devait non seulement détruire l’ancienne machine de l’Etat, mais en mettre une autre à la place. Beaucoup de socialistes crurent qu’il était possible de conquérir l’Etat de l’intérieur, les anarchistes de l’abolir du jour au lendemain.
Les théoriciens du XXème siècle sont corporativistes parce qu’ils pensent qu’il s’agit seulement d’organiser la production, de l’humaniser pour résoudre tous les problèmes. Ils sont immédiatistes. C’est un aveu indirect de la validité de la théorie prolétarienne. Dire qu’il faille concilier le prolétariat avec le mouvement économique, c’est reconnaître que c’est uniquement sur ce terrain que peut surgir la solution. Cet immédiatisme vient du fait que la société communiste est de plus en plus puissante au sein même du capitalisme. Il ne s’agit pas de faire une conciliation entre les deux mais de détruire le pouvoir du capital, sa force organisée, l’Etat capitaliste, qui maintient le monopole privé alors que tous les mécanismes économiques tendent à le faire disparaître. La solution communiste est médiate. La réalité semble escamoter l’Etat, il faut le mettre en évidence et, en même temps, indiquer la nécessité d’un autre Etat transitoire; la dictature du prolétariat.
16) Le devenir vers la démocratie sociale était escompté dès le début:
«Tant que la puissance de l’argent n’est pas le lien des choses et des hommes, les rapports sociaux doivent être organisés politiquement et religieusement.» (Marx)
Marx a toujours dénoncé la supercherie politique et mis à nu les rapports réels:
«C’est donc la nécessité naturelle, ce sont les propriétés essentielles de l’homme, toutes étrangères qu’elles puissent sembler, c’est l’intérêt, qui tiennent unis les hommes de la société bourgeoise dont le lien réel est donc constitué par la vie bourgeoise et non par la vie politique.» (Marx – La Sainte Famille)
«Mais l’esclavage de la société bourgeoise est, en apparence, la plus grande liberté, parce que c’est, en apparence, l’indépendance achevée de l’individu pour qui le mouvement effréné, libéré des entraves générales et des limitations imposées à l’homme, des éléments vitaux dont on l’a dépouillé, la propriété par exemple, l’industrie, la religion, etc. est la manifestation de sa propre liberté, alors que ce n’est en réalité que l’expression de son asservissement absolu et de la perte de son caractère humain. Ici, le privilège a été remplacé par le droit.» (Marx – La Sainte Famille)
La question de la démocratie ne fait que reposer, sous une autre forme, l’opposition fallacieuse entre concurrence et monopole. La communauté matérielle intègre les deux. Avec le fascisme (= démocratie sociale), démocratie et dictature sont elles aussi intégrées. Par-là même, c’est un moyen de surmonter l’anarchie.
«L’anarchie est la loi de la société bourgeoise émancipée des privilèges classificateurs, et l’anarchie de la société bourgeoise est la base de l’organisation publique moderne, de même que cette organisation est à son tour la garantie de cette anarchie. Malgré toute leur opposition, elles sont conditions l’une de l’autre.»
(Marx – La Sainte Famille)
17) Maintenant que la classe bourgeoise, celle qui dirigea la révolution, qui permit le développement du capital, a disparu, remplacée par la classe capitaliste qui vit du capital et de son procès de valorisation, que la domination de celui-ci est assurée (fascisme) et que de ce fait il n’y a plus besoin d’une conciliation politique, parce que superflue, mais d’une conciliation économique (corporativisme, doctrine des besoins, etc.), ce sont des classes moyennes qui se font les adeptes de la démocratie. Seulement, plus le capitalisme se renforce, plus l’illusion de pouvoir partager la direction avec le capital s’évanouit. Il ne reste plus que la revendication d’une démocratie sociale à prétentions politiques: planification démocratique, plein emploi, etc. Cependant, la société capitaliste, en créant l’assistance sociale, en essayant de maintenir le plein emploi réclamé, réalise, la démocratie sociale en question: celle des esclaves au capital.
Avec le développement des nouvelles classes moyennes, la revendication de la démocratie se teinte -seulement- de communisme.
18) Ce qui précède concerne l’aire euro-nordaméricaine, mais n’est pas valable pour tous les pays où pendant longtemps a prédominé le mode de production asiatique (Asie, Afrique) et où il prédomine encore (Inde par exemple). Dans ces pays, l’individu n’a pas été produit. La propriété privée a pu apparaître mais elle ne s’autonomise pas; il en est de même pour l’individu. Ceci est lié aux conditions géo-sociales de ces pays et explique l’impossibilité où se trouve le capitalisme de s’y développer, tant qu’il ne s’était pas constitué en communauté. Autrement dit, ce n’est que lorsqu’il est parvenu à ce stade que le capitalisme peut remplacer l’antique communauté et ainsi conquérir des zones immenses. Seulement, dans ces pays, les hommes ne peuvent pas avoir le même comportement que celui des occidentaux. La démocratie politique est obligatoirement escamotée. On ne peut avoir, tout au plus, que la démocratie sociale.
C’est pourquoi nous avons, dans les pays les plus travaillés par l’implantation du capitalisme, un double phénomène: une conciliation entre le mouvement réel et l’antique communauté et une autre avec la communauté future: le communisme. D’où la difficulté d’approche de ces sociétés.
Autrement dit, toute une grande portion de l’humanité ne connaîtra pas la mystification démocratique telle que l’a connue l’occident. C’est un fait positif pour la révolution à venir.
En ce qui concerne la Russie, nous avons un cas intermédiaire. On peut constater avec quelle difficulté le capitalisme y est implanté. Il a fallu une révolution prolétarienne. Là aussi, la démocratie politique occidentale n’avait pas de terrain de développement et on peut constater qu’elle ne peut y fleurir. Nous aurons, comme dans l’occident actuel, la démocratie sociale. Malheureusement là-bas aussi, la contre-révolution a apporté le poison sous forme de la démocratie prolétarienne et, pour beaucoup, l’involution de la révolution devrait être recherchée dans la non-réalisation de celle-ci.
Le mouvement communiste reprendra, en reconnaissant ces faits et en leur accordant toute leur importance. Le prolétariat se reconstituera en classe et donc en parti, dépassant ainsi le cadre étriqué de toutes les sociétés de classe. L’espèce humaine pourra finalement être unifiée et former un seul être.
19) Toutes les formes historiques de démocratie correspondent à des stades de développement où la production était limitée. Les différentes révolutions qui se sont succédées sont des révolutions partielles. Il était impossible que le développement économique puisse se faire, progresser, sans que ne se produise l’exploitation d’une classe. On peut constater que depuis l’antiquité ces révolutions ont contribué à émanciper une masse toujours plus grande d’hommes. D’où l’idée que l’on va vers la démocratie parfaite, c’est-à-dire une démocratie regroupant tous les hommes. Beaucoup, de ce fait, se sont empressés d’écrire l’égalité: socialisme = démocratie. Il est vrai qu’il est possible de dire qu’avec la révolution communiste et la dictature du prolétariat, il y a une masse plus importante d’hommes qu’auparavant entrant dans le domaine de cette démocratie idéale; qu’en généralisant sa condition de prolétaire à l’ensemble de la société, le prolétariat abolit les classes et réalise la démocratie (le manifeste dit que la révolution c’est la conquête de la démocratie). Il faut toutefois ajouter que ce passage à la limite, cette généralisation, est en même temps la destruction de la démocratie. Car, parallèlement, la masse humaine ne reste pas constituée à l’état de simple somme d’individus tous équivalents en droit sinon en fait. Ceci ne peut être que la réalité d’un moment très bref de l’histoire dû à une égalisation forcée. L’humanité se constituera en un être collectif, la Gemeinwesen. Celle-ci naît en dehors du phénomène démocratique et c’est le prolétariat constitué en parti qui transmet cela à la société. Lorsqu’on passe à la société future, il y a un changement qualitatif et non seulement quantitatif. Or la démocratie «est le règne anti-marxiste de cette quantité impuissante, de toute éternité, à devenir qualité». Revendiquer la démocratie pour la société post-révolutionnaire, c’est revendiquer l’impuissance. D’autre part, la révolution communiste n’est plus une révolution partielle. Avec elle se termine l’émancipation progressive et se réalise l’émancipation radicale. Là encore, saut qualitatif.
20) La démocratie repose sur un dualisme et est le moyen de le surmonter. Ainsi elle résoud celui entre esprit et matière équivalent à celui entre grands hommes et masse, par délégation des pouvoirs; celui entre citoyen et homme, par le bulletin de vote, le suffrage universel. En fait, sous prétexte de l’accession à la réalité de l’être total, il y a délégation de la souveraineté de l’homme à l’Etat. L’homme se déleste de son pouvoir humain.
La séparation des pouvoirs nécessite leur unité et ceci se fait toujours par violation d’une constitution. Celle-ci est fondée sur un divorce entre situation de fait et situation de droit. Le passage de l’une à l’autre étant assuré par la violence.
Le principe démocratique n’est en réalité que l’acceptation d’une donnée de fait: la scission de la réalité, le dualisme lié à la société de classes.
21) On veut souvent opposer la démocratie en général qui serait un concept vide à une forme de démocratie qui serait la clef de l’émancipation humaine. Or qu’est-ce qu’une donnée dont la particularité est non seulement en contradiction avec son concept général mais doit en être la négation? En fait, théoriser une démocratie particulière (prolétarienne par exemple) revient encore à escamoter le saut qualitatif. En effet, ou cette forme démocratique en question est réellement en contradiction avec le concept général, et alors on a vraiment autre chose (pourquoi, alors, démocratie?), où elle est compatible avec ce concept et elle ne peut avoir qu’une contradiction d’ordre quantitatif (embrasser un plus grand nombre d’hommes par exemple) et, de ce fait, elle ne sort pas des limites même si elle tend à les repousser.
Cette thèse apparaît souvent sous la forme: la démocratie prolétarienne n’est pas la démocratie bourgeoise, et on parle de démocratie directe pour montrer que si la seconde a besoin d’une coupure, d’une dualité (délégation de pouvoir), la première la nie. On définit alors la société future comme étant la réalisation de la démocratie directe.
Ceci n’est qu’une négation négative de la société bourgeoise et non une négation positive. On veut encore définir le communisme par un mode d’organisation qui soit plus adéquat aux diverses manifestations humaines. Mais le communisme est l’affirmation d’un être, de la véritable Gemeinwesen de l’homme. La démocratie directe apparaît comme étant un moyen pour réaliser le communisme. Or celui-ci n’a pas besoin d’une telle médiation. Il n’est pas une question d’avoir ni de faire, mais une question d’être.
mardi 17 novembre 2009
L'ANARCHISME ET LA RÉVOLUTION ESPAGNOLE
L'ANARCHISME
ET LA RÉVOLUTION ESPAGNOLE
par Helmut Wagner
Les luttes héroïques des ouvriers espagnols marquent une étape dans le développement du mouvement prolétarien international. Elles ont enrayé la progression jusque-là victorieuse du fascisme et, en même temps, impulsé une nouvelle période d'expansion des luttes de classes. Mais la portée de la guerre civile espagnole pour le prolétariat mondial ne se limite pas à cet aspect. Son importance réside aussi dans le fait qu'elle a mis à l'épreuve les théories et les tactiques de l'anarchisme et de l'anarcho- syndicalisme.
L'Espagne a été de tous temps le foyer traditionnel de l'anarchisme. L'énorme influence que les doctrines anarchistes y ont acquise ne peut s'expliquer que par la structure particulière des classes dans ce pays. La théorie proudhonienne des artisans individuels et indépendants, comme l'application par Bakounine de cette morne théorie aux usines, ont trouvé un soutien passionné parmi les petits paysans, les ouvriers d'usines et les ouvriers agricoles. Les doctrines anarchistes ont été adoptées par de larges fractions du prolétariat espagnol et c'est à cela que l'on doit la levée spontanée des ouvriers contre le soulèvement fasciste.
Nous ne voulons cependant pas dire que le déroulement de la lutte a été déterminé par l'idéologie anarchiste, ou qu'il reflète le but des anarchistes. Au contraire, nous allons démontrer que les anarchistes ont été poussés à abandonner beaucoup de leurs vieilles idées et à accepter en échange des compromis de la pire espèce. En analysant ce processus nous allons démontrer que l'anarchisme était incapable de tenir tête à la situation, non pas à cause de la faiblesse du mouvement qui n'en aurait pas permis une application pratique, mais parce que les méthodes anarchistes pour organiser les différentes phases de la lutte étaient en contradiction avec la réalité objective. Ce type de situation révèle des similitudes frappantes avec celle des bolcheviks russes en 1917. Les bolcheviks russes ont été forcés d'abandonner une à une leurs vieilles théories, jusqu'à en être réduits à exploiter les ouvriers et les paysans selon les méthodes capitalistes bourgeoises; de même, les anarchistes en Espagne sont maintenant forcés d'accepter les mesures qu'ils ont jadis dénoncées comme centralistes et répressives. Le déroulement de la Révolution russe a démontré que les théories bolcheviques n'étaient pas valables pour résoudre les problèmes de la lutte de classe prolétarienne; de même, la guerre civile espagnole révèle l'incapacité des doctrines anarchistes à résoudre ces mêmes problèmes.
L'Espagne a été de tous temps le foyer traditionnel de l'anarchisme. L'énorme influence que les doctrines anarchistes y ont acquise ne peut s'expliquer que par la structure particulière des classes dans ce pays. La théorie proudhonienne des artisans individuels et indépendants, comme l'application par Bakounine de cette morne théorie aux usines, ont trouvé un soutien passionné parmi les petits paysans, les ouvriers d'usines et les ouvriers agricoles. Les doctrines anarchistes ont été adoptées par de larges fractions du prolétariat espagnol et c'est à cela que l'on doit la levée spontanée des ouvriers contre le soulèvement fasciste.
Nous ne voulons cependant pas dire que le déroulement de la lutte a été déterminé par l'idéologie anarchiste, ou qu'il reflète le but des anarchistes. Au contraire, nous allons démontrer que les anarchistes ont été poussés à abandonner beaucoup de leurs vieilles idées et à accepter en échange des compromis de la pire espèce. En analysant ce processus nous allons démontrer que l'anarchisme était incapable de tenir tête à la situation, non pas à cause de la faiblesse du mouvement qui n'en aurait pas permis une application pratique, mais parce que les méthodes anarchistes pour organiser les différentes phases de la lutte étaient en contradiction avec la réalité objective. Ce type de situation révèle des similitudes frappantes avec celle des bolcheviks russes en 1917. Les bolcheviks russes ont été forcés d'abandonner une à une leurs vieilles théories, jusqu'à en être réduits à exploiter les ouvriers et les paysans selon les méthodes capitalistes bourgeoises; de même, les anarchistes en Espagne sont maintenant forcés d'accepter les mesures qu'ils ont jadis dénoncées comme centralistes et répressives. Le déroulement de la Révolution russe a démontré que les théories bolcheviques n'étaient pas valables pour résoudre les problèmes de la lutte de classe prolétarienne; de même, la guerre civile espagnole révèle l'incapacité des doctrines anarchistes à résoudre ces mêmes problèmes.
Il nous semble important d'élucider les erreurs commises par les anarchistes parce que leur lutte courageuse a conduit beaucoup d'ouvriers - qui voient clairement le rôle de traîtres joué par les représentants de la IIe et IIIe Internationales à croire, qu'après tout, les anarchistes ont raison. De notre point de vue, une telle opinion est dangereuse car elle tend à accroître la confusion déjà grande au soin de la classe ouvrièrere. Nous considérons qu'il est de notre devoir de démontrer, à partir de l'exemple espagnol, que l'argumentation anarchiste contre le marxisme est fausse, que c'est la doctrine anarchiste qui a échoué. Quand il s'agit de comprendre une situation donnée, ou de montrer des voies et les méthodes dans une lutte révolutionnaire précise, le marxisme sert encore de guide et s'oppose au pseudo-marxisme des Partis de la IIe et IIIe Internationales
La faiblesse des théories anarchistes a d'abord été démontrée à propos de l'organisation du pouvoir politique. D'après la théorie des anarchistes, il suffirait pour assurer et garantir la victoire révolutionnaire, de laisser le fonctionnennent des usines aux mains des syndicats. Les anarchistes n'ont donc jamais essayé d'enlever le pouvoir au gouvernement de Front Populaire. Ils n'ont pas non plus travaillé à la mise sur pied d'un pouvoir politique des conseils (soviets). Au lieu de faire de la propagande pour la lutte de classes contre la bourgeoisie, ils ont prêche la collaboration de classes à tous les groupes appartenant au front antifasciste. Quand la bourgeoisie a commencé à s'attaquer au pouvoir des organisations ouvrières, les anarchistes ont rejoint le nouveau gouvernernent, ce qui constitue une importante déviation par rapport à leurs principes de base. Ils ont essayé d'expliquer ce geste en alléguant qu'en raison de la collectivisation, le nouveau gouvernement de front populaire ne représenterait plus comme avant un pouvoir politique, mais un simple pouvoir économique, puisque ses membres étaient des représentants des syndicats, auxquels appartenaient pourtant des membres de la petite bourgeoisie de l'Esquerra (1). L'argument des anarchistes est le suivant: puisque le pouvoir est dans les usines, et que les usines ont contrôlées par les syndicats, le pouvoir est donc entre les mains des ouvriers. Nous verrons plus loin comment cela fonctionne en réalité.
Le décret de dissolution des milices est paru pendant que les anarchistes étaient au gouvernement. L'incorporation des milices dans l'armée régulière, la suppression du P. O. U. M. (2) à Madrid ont été décrétées avec leur approbation. Les anarchistes ont aidé à organiser un pouvoir politique bourgeois mais n'ont rien fait pour la formation d'un pouvoir politique prolétarien.
Notre intention n'est pas de rendre les anarchistes responsables de l'évolution suivie par la lutte antifasciste et de son détournement vers une impasse bourgeoise. D'autres facteurs doivent être incriminés, en particulier l'attitude passive des ouvriers dans les autres pays. Ce que nous critiquons le plus sévèrement est le fait que les anarchistes aient cessé de travailler pour une révolution prolétarienne réelle, et qu'ils se soient identifiés au processus dans lequel ils étaient impliqués. Ils ont ainsi occulté l'antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie, et ont donné cours à des illusions pour lesquelles nous craignons qu'ils n'aient à payer eux-mêmes très cher dans le futur. Les tactiques des anarchistes espagnols ont eu droit à un certain nombre de critiques dans les groupes libertaires de l'étranger certaines de ces critiques en arrivent même à les accuser de trahison à l'égard des idéaux anarchistes. Mais comme leurs auteurs ne réalisent pas la véritable situation à laquelle sont confrontés leurs camarades espagnols, ces critiques restent négatives.
Il ne pouvait en être autrement. Les doctrines anarchistes n'apportent tout simplement pas de réponse appropriée aux questions que soulève la pratique révolutionnaire. Pas de participation au gouvernement, pas d'organisation du pouvoir politique, syndicalisation de la production voilà les mots d'ordre anarchistes de base. De tels mots d'ordre ne vont effectivement pas dans le sens des intérêts de la révolution prolétarienne. Les anarchistes espagnols sont retombés dans les pratiques bourgeoises parce qu'ils ont été incapables de remplacer leurs irréalisables mots d'ordre par les mots d'ordre révolutionnaires du prolétariat. Les critiques et les conseillers libertaires étrangers ne pouvaient offrir de solutions car ces problèmes ne peuvent être résolus que sur la base de la théorie marxiste.
La position la plus extrême parmi les anarchistes dé l'étranger est œlle des anarchistes hollandais (à l'exception des anarcho-syndicalistes hollandais du N. S. V.—Netherlands Syndicalist Vuband). Les anarchistes de Hollande s'opposent à toute lutte employant des armes militaires parce qu'une telle lutte est en contradiction avec l'idéal et le but anarchistes. Ils nient l'existence de classes. En même temps, ils ne peuvent s'empercher d'exprimer leur sympathie pour les masses en lutte contre le fascisme. En réalité, leur position équivaut à un sabotage de la lutte. Ils dénoncent toute action ayant pour but d'aider les ouvriers espagnols, telle que l'envoi d'armes. Le fond de leur propagande est celui-ci: tout doit être fait pour éviter l'extension du conflit à d'autres pays d'Europe. Ils prônent la résistance passive à la Ghandi, dont la philosophie, appliquée à la réalité objective, aboutit à la soumission de travailleurs sans défense aux bourreaux fascistes.
Les anarchistes d'opposition maintiennent que le pouvoir centralisé exercé par la dictature du prolétariat ou par un état-major militaire, mène à une autre forme de répression des masses. Les anarchistes espagnols répondent en faisant remarquer que eux (en Espagne) ne luttent pas pour un pouvoir politique centralisé; au contraire, ils favorisent la syndicalisation de la production, ce qui exclut l'exploitation des travailleurs. Ils croient sérieusement que les usines sont aux mains des ouvriers et qu'il n'est pas nécessaire d'organiser toutes les usines sur une base centraliste et politique. Cependant, l'évolution réelle a déjà prouvé que la centralisation de la production est en cours et les anarchistes sont forcés de s'adapter aux nouvelles conditions, même si c'est contre leur volonté. Partout où les ouvriers anarchistes négligent d'organiser leur pouvoir politiquement et d'une manière centralisée dans les usines et les communes, les représentants des partis capitalistes bourgeois (les partis socialiste et communiste compris) s'en chargeront. Cela signifie que les syndicats, au lieu d'être directement contrôlés par les ouvriers dans les usines, seront réglementés d'après les lois et les décrets du gouvernement capitaliste bourgeois.
Le décret de dissolution des milices est paru pendant que les anarchistes étaient au gouvernement. L'incorporation des milices dans l'armée régulière, la suppression du P. O. U. M. (2) à Madrid ont été décrétées avec leur approbation. Les anarchistes ont aidé à organiser un pouvoir politique bourgeois mais n'ont rien fait pour la formation d'un pouvoir politique prolétarien.
Notre intention n'est pas de rendre les anarchistes responsables de l'évolution suivie par la lutte antifasciste et de son détournement vers une impasse bourgeoise. D'autres facteurs doivent être incriminés, en particulier l'attitude passive des ouvriers dans les autres pays. Ce que nous critiquons le plus sévèrement est le fait que les anarchistes aient cessé de travailler pour une révolution prolétarienne réelle, et qu'ils se soient identifiés au processus dans lequel ils étaient impliqués. Ils ont ainsi occulté l'antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie, et ont donné cours à des illusions pour lesquelles nous craignons qu'ils n'aient à payer eux-mêmes très cher dans le futur. Les tactiques des anarchistes espagnols ont eu droit à un certain nombre de critiques dans les groupes libertaires de l'étranger certaines de ces critiques en arrivent même à les accuser de trahison à l'égard des idéaux anarchistes. Mais comme leurs auteurs ne réalisent pas la véritable situation à laquelle sont confrontés leurs camarades espagnols, ces critiques restent négatives.
Il ne pouvait en être autrement. Les doctrines anarchistes n'apportent tout simplement pas de réponse appropriée aux questions que soulève la pratique révolutionnaire. Pas de participation au gouvernement, pas d'organisation du pouvoir politique, syndicalisation de la production voilà les mots d'ordre anarchistes de base. De tels mots d'ordre ne vont effectivement pas dans le sens des intérêts de la révolution prolétarienne. Les anarchistes espagnols sont retombés dans les pratiques bourgeoises parce qu'ils ont été incapables de remplacer leurs irréalisables mots d'ordre par les mots d'ordre révolutionnaires du prolétariat. Les critiques et les conseillers libertaires étrangers ne pouvaient offrir de solutions car ces problèmes ne peuvent être résolus que sur la base de la théorie marxiste.
La position la plus extrême parmi les anarchistes dé l'étranger est œlle des anarchistes hollandais (à l'exception des anarcho-syndicalistes hollandais du N. S. V.—Netherlands Syndicalist Vuband). Les anarchistes de Hollande s'opposent à toute lutte employant des armes militaires parce qu'une telle lutte est en contradiction avec l'idéal et le but anarchistes. Ils nient l'existence de classes. En même temps, ils ne peuvent s'empercher d'exprimer leur sympathie pour les masses en lutte contre le fascisme. En réalité, leur position équivaut à un sabotage de la lutte. Ils dénoncent toute action ayant pour but d'aider les ouvriers espagnols, telle que l'envoi d'armes. Le fond de leur propagande est celui-ci: tout doit être fait pour éviter l'extension du conflit à d'autres pays d'Europe. Ils prônent la résistance passive à la Ghandi, dont la philosophie, appliquée à la réalité objective, aboutit à la soumission de travailleurs sans défense aux bourreaux fascistes.
Les anarchistes d'opposition maintiennent que le pouvoir centralisé exercé par la dictature du prolétariat ou par un état-major militaire, mène à une autre forme de répression des masses. Les anarchistes espagnols répondent en faisant remarquer que eux (en Espagne) ne luttent pas pour un pouvoir politique centralisé; au contraire, ils favorisent la syndicalisation de la production, ce qui exclut l'exploitation des travailleurs. Ils croient sérieusement que les usines sont aux mains des ouvriers et qu'il n'est pas nécessaire d'organiser toutes les usines sur une base centraliste et politique. Cependant, l'évolution réelle a déjà prouvé que la centralisation de la production est en cours et les anarchistes sont forcés de s'adapter aux nouvelles conditions, même si c'est contre leur volonté. Partout où les ouvriers anarchistes négligent d'organiser leur pouvoir politiquement et d'une manière centralisée dans les usines et les communes, les représentants des partis capitalistes bourgeois (les partis socialiste et communiste compris) s'en chargeront. Cela signifie que les syndicats, au lieu d'être directement contrôlés par les ouvriers dans les usines, seront réglementés d'après les lois et les décrets du gouvernement capitaliste bourgeois.
II
De ce point de vue, on se pose la question: est-il vrai que les ouvriers en Catalogne ont détenu le pouvoir dans les usines après que les anarchistes aient « syndicalisé » la production? Il nous suffit de citer quelques paragraphes de la brochure « Que sont la C. N. T. et la F. A. I. ? » (publication officielle delà C.N.T. - F. A. I.) pour répondre à cette question. « La direction des entreprises collectivisées repose dans les mains des Conseils d'usine, élus en assemblée générale d'usine. Ces Conseils doivent se composer de cinq à quinze membres. La durée de participation au Conseil est de deux ans...
« Les Conseils d'usine sont responsables devant l'Assemblée plénière de l'entreprise et devant le Conseil général de la branche d'industrie. En commun avec le Conseil général de leur branche d'industrie, ils règlent la marche de la production. En plus, ils règlent les questions des dommages du travail, des conditions de travail, des institutions sociales, etc.
« Le Conseil d'usine désigne un directeur. Dans les entreprises occupant plus de 500 ouvriers, cette nomination doit se faire en accord avec le Conseil économique. Chaque entreprise nomme en plus, comme représentant de la « Généralité » (3), un des membres du Conseil d'usine, en accord avec les ouvriers.
« Les Conseils d'entreprise tiennent au courant de leurs travaux et de leurs plans aussi bien l'Assemblée plénière des, ouvriers que le Conseil général de leur branche d'industrie. Au cas d'incapacité ou de refus d'application des décisions prises, des membres du Conseil d'usine peuvent être destitués par l'Assemblée plénière ou par le Conseil général de leur branche d'industrie.
« si une telle destitution est prononces par le Conseil général de l'industrie, les ouvriers de l'entreprise peuvent en appeler et le Département de l'économie de la Généralité décide du cas après avoir entendu le Conseil économique antifasciste...
« Les Conseils généraux des branches d'industrie sont composés de: 4 représentants des Conseils d'usine, 8 représentants des syndicats suivant les proportions des différentes tendances syndicales dans l'industrie et 4 techniciens envoyés par le Conseil économique antifasciste. Ce comité travaille sous la présidence d'un membre du Conseil économique.
« Les Conseils généraux des industries s'occupent des problèmes suivants: organisation de la production, calcul des prix de revient, éviter la concurrence entre les entreprises, étude des besoins de produits dans l'industrie, étude des marchés intérieurs et extérieurs... étude et propositions sur le terrain des méthodes de travail, suggestions sur la politique douanière, édification de centrales de ventes, acquisition des moyens de travail et des matières premières, attributions de crédits, installations de stations techniques d'essais et de laboratoires, de statistiques de production et des besoins de consommation, de travaux préliminaires pour le remplacement des matériaux étrangers par des matières espagnoles, etc. (4)»
Il n'est nul besoin de se creuser la tête pour se rendre compte que ces propositions placent toutes les fonctions économiques entre les mains du Conseil économique général. Comme nous l'avons vu, le Conseil économique général antifasciste est constitué de 8 représentants des syndicats: 4 techniciens nommés par le Conseil économique général et 4 représentants des Conseils d'usine. Le Conseil économique général antifasciste fut constitué au début de la révolution et se compose de représentants des syndicats et de la petite bourgeoisie (Esquerra, etc.). Seuls les quatre délégués du Conseil d'usine pourraient être considérés comme des représentants directs des ouvriers. Nous notons en outre qu'en cas de renvoi des représentants du Conseil d'usine, le Conseil d' industrie de la « Generalidad » et le Conseil économique général antifasciste ont une influence décisive. Le Conseil général économique peut destituer des oppositionnels dans les conseils; contre cette mesure, les ouvriers peuvent faire appel auprès du Conseil d'industrie, mais la décision repose en dernier lieu sur le Conseil économique général. Le Conseil d'usine peut désigner un directeur, mais pour les entreprises plus grandes, le consentement du Conseil d'industrie est nécessaire.
Bref, on peut dire que les ouvriers n'ont en réalité aucun pouvoir sur l'organisation et le contrôle des usines. En fait, ce sont les syndicats qui gouvernent. Nous verrons ce que cela signifie.
Considérant les quelques faits susmentionnés, nous sommes incapables de partager l'enthousiasme de la C. N. T. au sujet de « l'évolution sociale ». « Dans les locaux administratifs, palpite la vie d'une révolution véritablement constructive », écrit Rosselli (1) dans « Qu'est-ce que la C. N. T. et la F. A. I. » (pp. 38-39, Éd. allemande). D'après nous, le pouls d'une révolution authentique ne bat pas dans les bureaux administratifs, mais dans les usines. Dans les bureaux bat le cœur d'une vie différente, celle de la bureaucratie.
Nous ne critiquons pas les faits. Les faits, les réalités, sont déterminés par des cirsonstances et des conditions qui échappent au contrôle des simples groupes. Que les ouvriers de Catalogne n'aient pas établi la dictature du prolétariat, ce n'est pas de leur faute. La vraie raison réside dans la situation internationale confuse, qui met les ouvriers espagnols en opposition face au reste du monde.
Dans de telles conditions, il est impossible au prolétariat espagnol de se libérer de ses alliés petits-bourgeois. La révolution était condamnée avant même d'avoir commencé.
Non, nous ne critiquons pas les faits. Nous critiquons cependant les anarchistes pour avoir confondu la situation en Catalogne avec le socialisme. Tous ceux qui parlent aux ouvriers de socialisme en Catalogne— en partie parce qu'ils y croient, en partie parce qu'ils ne veulent pas perdre leur influenœ sur le mouvement—empêchent les travailleurs de voir ce qui est en train de se passer en Espagne. Ils ne comprennent rien à la révolution et rendent par là plus difficile le développement des luttes radicales.
De ce point de vue, on se pose la question: est-il vrai que les ouvriers en Catalogne ont détenu le pouvoir dans les usines après que les anarchistes aient « syndicalisé » la production? Il nous suffit de citer quelques paragraphes de la brochure « Que sont la C. N. T. et la F. A. I. ? » (publication officielle delà C.N.T. - F. A. I.) pour répondre à cette question. « La direction des entreprises collectivisées repose dans les mains des Conseils d'usine, élus en assemblée générale d'usine. Ces Conseils doivent se composer de cinq à quinze membres. La durée de participation au Conseil est de deux ans...
« Les Conseils d'usine sont responsables devant l'Assemblée plénière de l'entreprise et devant le Conseil général de la branche d'industrie. En commun avec le Conseil général de leur branche d'industrie, ils règlent la marche de la production. En plus, ils règlent les questions des dommages du travail, des conditions de travail, des institutions sociales, etc.
« Le Conseil d'usine désigne un directeur. Dans les entreprises occupant plus de 500 ouvriers, cette nomination doit se faire en accord avec le Conseil économique. Chaque entreprise nomme en plus, comme représentant de la « Généralité » (3), un des membres du Conseil d'usine, en accord avec les ouvriers.
« Les Conseils d'entreprise tiennent au courant de leurs travaux et de leurs plans aussi bien l'Assemblée plénière des, ouvriers que le Conseil général de leur branche d'industrie. Au cas d'incapacité ou de refus d'application des décisions prises, des membres du Conseil d'usine peuvent être destitués par l'Assemblée plénière ou par le Conseil général de leur branche d'industrie.
« si une telle destitution est prononces par le Conseil général de l'industrie, les ouvriers de l'entreprise peuvent en appeler et le Département de l'économie de la Généralité décide du cas après avoir entendu le Conseil économique antifasciste...
« Les Conseils généraux des branches d'industrie sont composés de: 4 représentants des Conseils d'usine, 8 représentants des syndicats suivant les proportions des différentes tendances syndicales dans l'industrie et 4 techniciens envoyés par le Conseil économique antifasciste. Ce comité travaille sous la présidence d'un membre du Conseil économique.
« Les Conseils généraux des industries s'occupent des problèmes suivants: organisation de la production, calcul des prix de revient, éviter la concurrence entre les entreprises, étude des besoins de produits dans l'industrie, étude des marchés intérieurs et extérieurs... étude et propositions sur le terrain des méthodes de travail, suggestions sur la politique douanière, édification de centrales de ventes, acquisition des moyens de travail et des matières premières, attributions de crédits, installations de stations techniques d'essais et de laboratoires, de statistiques de production et des besoins de consommation, de travaux préliminaires pour le remplacement des matériaux étrangers par des matières espagnoles, etc. (4)»
Il n'est nul besoin de se creuser la tête pour se rendre compte que ces propositions placent toutes les fonctions économiques entre les mains du Conseil économique général. Comme nous l'avons vu, le Conseil économique général antifasciste est constitué de 8 représentants des syndicats: 4 techniciens nommés par le Conseil économique général et 4 représentants des Conseils d'usine. Le Conseil économique général antifasciste fut constitué au début de la révolution et se compose de représentants des syndicats et de la petite bourgeoisie (Esquerra, etc.). Seuls les quatre délégués du Conseil d'usine pourraient être considérés comme des représentants directs des ouvriers. Nous notons en outre qu'en cas de renvoi des représentants du Conseil d'usine, le Conseil d' industrie de la « Generalidad » et le Conseil économique général antifasciste ont une influence décisive. Le Conseil général économique peut destituer des oppositionnels dans les conseils; contre cette mesure, les ouvriers peuvent faire appel auprès du Conseil d'industrie, mais la décision repose en dernier lieu sur le Conseil économique général. Le Conseil d'usine peut désigner un directeur, mais pour les entreprises plus grandes, le consentement du Conseil d'industrie est nécessaire.
Bref, on peut dire que les ouvriers n'ont en réalité aucun pouvoir sur l'organisation et le contrôle des usines. En fait, ce sont les syndicats qui gouvernent. Nous verrons ce que cela signifie.
Considérant les quelques faits susmentionnés, nous sommes incapables de partager l'enthousiasme de la C. N. T. au sujet de « l'évolution sociale ». « Dans les locaux administratifs, palpite la vie d'une révolution véritablement constructive », écrit Rosselli (1) dans « Qu'est-ce que la C. N. T. et la F. A. I. » (pp. 38-39, Éd. allemande). D'après nous, le pouls d'une révolution authentique ne bat pas dans les bureaux administratifs, mais dans les usines. Dans les bureaux bat le cœur d'une vie différente, celle de la bureaucratie.
Nous ne critiquons pas les faits. Les faits, les réalités, sont déterminés par des cirsonstances et des conditions qui échappent au contrôle des simples groupes. Que les ouvriers de Catalogne n'aient pas établi la dictature du prolétariat, ce n'est pas de leur faute. La vraie raison réside dans la situation internationale confuse, qui met les ouvriers espagnols en opposition face au reste du monde.
Dans de telles conditions, il est impossible au prolétariat espagnol de se libérer de ses alliés petits-bourgeois. La révolution était condamnée avant même d'avoir commencé.
Non, nous ne critiquons pas les faits. Nous critiquons cependant les anarchistes pour avoir confondu la situation en Catalogne avec le socialisme. Tous ceux qui parlent aux ouvriers de socialisme en Catalogne— en partie parce qu'ils y croient, en partie parce qu'ils ne veulent pas perdre leur influenœ sur le mouvement—empêchent les travailleurs de voir ce qui est en train de se passer en Espagne. Ils ne comprennent rien à la révolution et rendent par là plus difficile le développement des luttes radicales.
Les travailleurs espagnols ne peuvent pas se permettre de lutter effectivement contre les syndicats, car cela mènerait à une faillite complète sur les fronts militaires, Ils n'ont pas d'autre alternative; ils doivent lutter contre les fascistes pour sauver leurs vies, ils doivent accepter toute aide sans regarder d'où elle vient. Ils ne se demandent pas si le résultat de cette lutte sera le socialisme ou le capitalisme; ils savent seulement qu'ils doivent lutter jusqu'au bout. Seule une petite partie du prolétariat est consciemment révolutionnaire.
Tant que les syndicats organiseront la lutte militaire, les travailleurs les soutiendront; on ne peut pas nier que cela mène à des compromis avec la bourgeoisie, mais c'est considéré comme un mal nécessaire. Le mot d'ordre de la C. N. T.: « D'abord la victoire contre les fascistes, après la révolution sociale », exprime le sentiment encore prédominant parmi les militants ouvriers. Mais ce sentiment peut aussi être expliqué par l'arriération du pays qui rend les compromis avec la bourgeoisie non seulement possibles mais obligatoires pour le prolétariat. Il en résulte que le caractère de la lutte révolutionnaire subit d'énormes transformations et qu'au lieu de tendre vers le renversement de la bourgeoisie, il mène à la consolidation d'un nouvel ordre capitaliste.
L'AIDE ÉTRANGÈRE ÉTRANGLE LA RÉVOLUTION
La classe ouvrière en Espagne ne lutte pas seulement contre la bourgeoisie fasciste mais contre la bourgeoisie du monde entier. Les pays fascistes, Italie, Allemagne, Portugal et Argentine, soutiennent les fascistes espagnols dans cette lutte avec tous les moyens dont ils disposent. Ce fait suffit à rendre impossible la victoire de la révolution en Espagne. Le poids énorme des Etats ennemis est trop lourd pour le prolétariat espagnol. Si les fascistes espagnols, avec leurs moyens considérables, n'ont pas encore gagné, essuyant même des défaites sur plusieurs fronts, ceci est dû aux livraisons d'armes effectuées par les gouvernements antifascistes. Alors que le Mexique, dés le début, a fourni des munitions et des armes sur une petite échelle, la Russie n'a commencé son aide qu'au bout de cinq mois de guerre. L'aide est arrivée après que les troupes fascistes, équipées avec des armes modernes italiennes et allemandes et soutenues, de plus, par tous les moyens dont disposaient les pays fascistes, aient fait reculer les milices antifascistes. Cela permit de continuer à lutter, ce qui obligea l'Italie et l'Allemagne à envoyer encore plus d'armes, et même des troupes. De ce fait, ces pays sont devenus de plus en plus influents dans la situation politique. La France et l'Angleterre, inquiètes à cause des relations avec fleurs colonies, ne pouvaient se désintéresser d'une telle évolution La lutte en Espagne prend le caractère d'un conflit international entre les grandes puissances impérialistes qui, ouvertement ou secrètement, participent à la guerre pour défendre d'anciens privilèges ou pour en conquérir de nouveaux. Des deux côtés, les forces antagonistes en Espagne reçoivent des armes et un soutien matériel. On ne peut pas encore discerner quand et où cette lutte va prendre fin.
En attendant, cette aide de l'étranger sauve les travailleurs espagnols en même temps qu'elle donne à la révolution son coup de grâce. Les armes modernes de l'étranger ont placé la lutte sur le terrain militaire et, en conséquence, le prolétariat espagnol a été soumis aux intérêts impérialistes et, avant tout, aux intérêts russes. La Russie n'aide pas le gouvernement espagnol pour favoriser la révolution, mais pour empocher la croissance de l'influence italienne et allemande dans la zone méditerranéenne. Le blocus des navires russes et la saisie de leurs cargaisons montre clairement à la Russie ce qui l'attend quand elle laissera la victoire à l'Allemagne et l'Italie.
La Russie essaie de s'implanter en Espagne. Nous ne ferons qu'indiquer comment, de par la pression qu'elle exerce, les ouvriers espagnols sont en train de perdre graduellement leur influence sur le déroulement des événements, comment les comités de milice sont dissous, le P. O. U. M. exclu du gouvernement et la C. N. T. ligotée.
Depuis des mois, on refuse des armes et des munitions au P. O. U. M. et à la C. N. T. sur le front d'Aragon. Tout cela prouve que le pouvoir dont dépendent matériellement les antifascistes espagnols dirige aussi la lutte des ouvriers. Ces derniers, s'ils peuvent essayer de se débarrasser de l'influence de la Russie, ne peuvent se passer de son aide, et, en dernier ressort, ils doivent accèder à toutes ses demande,. Tant que les ouvriers de I 'étranger ne se révolteront pas contre leur propre bourgeoisie, apportant ainsi un soutien actif à la lutte en Espagne, les ouvriers espagnols devront sacrifier leur but socialiste.
La cause réelle de la faillite interne de la révolution espagnole s'explique par sa dépendance vis-à-vis de l'aide matérielle des pays capitalistes (ici, le capitalisme d'État russe). Si la révolution s'étendait à l'Angleterre, la France, l'Italie, l'Allemagne, la Belgique, alors les choses auraient un autre aspect. Si la contre-révolution était écrasée dans les zones industrielles les plus importantes, comme elle l'est maintenant à Madrid, en Catalogne, aux Asturies, alors le pouvoir de la bourgeoisie fasciste serait brisé. Des troupes de gardes blancs pourraient certainement mettre la révolution en danger, mais non plus la battre. Des troupes qui ne s'appuient pas sur une puissance industrielle suffisante perdent vite tout pouvoir. Si la révolution prolétarienne s'effectuait dans les zones industrielles les plus importantes, les travailleurs ne dépendraient pas du capital étranger. Ils pourraient se saisir de tout le pouvoir. Ainsi, nous disons une fois de plus que la révolution prolétarienne ne peut être vigoureuse que si elle est internationale. Si elle reste confinée à une petite région, elle sera ou écrasée par les armes, ou dénaturée par les intérêts impérialistes. Si la révolution prolétarienne est assez forte à l'échelle internationale, alors elle n'a plus besoin de craindre la dégénérescence dans le sens d'un capitalisme d'État ou privé. Dans la partie suivante, nous traiterons des questions qui se poseraient dans ce cas.
LA LUTTE DE CLASSES DANS L'ESPAGNE « ROUGE »
Bien que nous ayons montré dans la partie précédente comment la situation internationale forçait les ouvriers espagnols à des compromis avec la bourgeoisie, nous n'en avons cependant pas conclu que la lutte de classes était terminée en Espagne. Au contraire, elle continue sous le couvert du front populaire antifasciste, comme le prouvent les assauts de la bourgeoisie contre chaque bastion des comités ouvriers, et le durcissement des positions du gouvernement. Les ouvriers de l'Espagne « rouge » ne peuvent rester indifférents à ce processus; de leur côté, ils doivent essayer de conserver les positions conquises pour éviter les empiétements futurs de la bourgeoisie et pour donner une nouvelle orientation révolutionnaire aux événements. Si les ouvriers en Catalogne ne s'opposent pas à la progression de la bourgeoisie, leur défaite totale est certaine. Si le gouvernement de front populaire battait éventuellement les fascistes, il utiliserait tout son pouvoir pour écraser le prolétariat. La lutte entre la classe ouvrière et la bourgeoisie continuerait mais dans des conditions bien pires pour le prolétariat; parce que la bourgeoisie « démocratique », après avoir laissé les travailleurs remporter la victoire contre les fascistes, retournerait ensuite toutes ses forces contre le prolétariat. La désintégration systématique du pouvoir des ouvriers se poursuit depuis des mois; et dans les discours de Caballero, on peut déjà entrevoir le sort que réserve aux travailleurs le gouvernement actuel, une fois qu'ils lui auront donné la victoire.
Nous avons dit que la révolution espagnole ne peut être victorieuse que si elle devient internationale. Mais les ouvriers espagnols ne peuvent pas attendre que la révolution commence en d'autres points d'Europe; ils ne peuvent pas attendre l'aide qui, jusqu'à présent, est restée un vœu pieux. Ils doivent maintenant, tout de suite, défendre leur cause non seulement contre les fascistes, mais contre leurs propres alliés bourgeois. L'organisation de leur pouvoir est aussi une nécessité urgente dans la situation actuelle.
Tant que les syndicats organiseront la lutte militaire, les travailleurs les soutiendront; on ne peut pas nier que cela mène à des compromis avec la bourgeoisie, mais c'est considéré comme un mal nécessaire. Le mot d'ordre de la C. N. T.: « D'abord la victoire contre les fascistes, après la révolution sociale », exprime le sentiment encore prédominant parmi les militants ouvriers. Mais ce sentiment peut aussi être expliqué par l'arriération du pays qui rend les compromis avec la bourgeoisie non seulement possibles mais obligatoires pour le prolétariat. Il en résulte que le caractère de la lutte révolutionnaire subit d'énormes transformations et qu'au lieu de tendre vers le renversement de la bourgeoisie, il mène à la consolidation d'un nouvel ordre capitaliste.
L'AIDE ÉTRANGÈRE ÉTRANGLE LA RÉVOLUTION
La classe ouvrière en Espagne ne lutte pas seulement contre la bourgeoisie fasciste mais contre la bourgeoisie du monde entier. Les pays fascistes, Italie, Allemagne, Portugal et Argentine, soutiennent les fascistes espagnols dans cette lutte avec tous les moyens dont ils disposent. Ce fait suffit à rendre impossible la victoire de la révolution en Espagne. Le poids énorme des Etats ennemis est trop lourd pour le prolétariat espagnol. Si les fascistes espagnols, avec leurs moyens considérables, n'ont pas encore gagné, essuyant même des défaites sur plusieurs fronts, ceci est dû aux livraisons d'armes effectuées par les gouvernements antifascistes. Alors que le Mexique, dés le début, a fourni des munitions et des armes sur une petite échelle, la Russie n'a commencé son aide qu'au bout de cinq mois de guerre. L'aide est arrivée après que les troupes fascistes, équipées avec des armes modernes italiennes et allemandes et soutenues, de plus, par tous les moyens dont disposaient les pays fascistes, aient fait reculer les milices antifascistes. Cela permit de continuer à lutter, ce qui obligea l'Italie et l'Allemagne à envoyer encore plus d'armes, et même des troupes. De ce fait, ces pays sont devenus de plus en plus influents dans la situation politique. La France et l'Angleterre, inquiètes à cause des relations avec fleurs colonies, ne pouvaient se désintéresser d'une telle évolution La lutte en Espagne prend le caractère d'un conflit international entre les grandes puissances impérialistes qui, ouvertement ou secrètement, participent à la guerre pour défendre d'anciens privilèges ou pour en conquérir de nouveaux. Des deux côtés, les forces antagonistes en Espagne reçoivent des armes et un soutien matériel. On ne peut pas encore discerner quand et où cette lutte va prendre fin.
En attendant, cette aide de l'étranger sauve les travailleurs espagnols en même temps qu'elle donne à la révolution son coup de grâce. Les armes modernes de l'étranger ont placé la lutte sur le terrain militaire et, en conséquence, le prolétariat espagnol a été soumis aux intérêts impérialistes et, avant tout, aux intérêts russes. La Russie n'aide pas le gouvernement espagnol pour favoriser la révolution, mais pour empocher la croissance de l'influence italienne et allemande dans la zone méditerranéenne. Le blocus des navires russes et la saisie de leurs cargaisons montre clairement à la Russie ce qui l'attend quand elle laissera la victoire à l'Allemagne et l'Italie.
La Russie essaie de s'implanter en Espagne. Nous ne ferons qu'indiquer comment, de par la pression qu'elle exerce, les ouvriers espagnols sont en train de perdre graduellement leur influence sur le déroulement des événements, comment les comités de milice sont dissous, le P. O. U. M. exclu du gouvernement et la C. N. T. ligotée.
Depuis des mois, on refuse des armes et des munitions au P. O. U. M. et à la C. N. T. sur le front d'Aragon. Tout cela prouve que le pouvoir dont dépendent matériellement les antifascistes espagnols dirige aussi la lutte des ouvriers. Ces derniers, s'ils peuvent essayer de se débarrasser de l'influence de la Russie, ne peuvent se passer de son aide, et, en dernier ressort, ils doivent accèder à toutes ses demande,. Tant que les ouvriers de I 'étranger ne se révolteront pas contre leur propre bourgeoisie, apportant ainsi un soutien actif à la lutte en Espagne, les ouvriers espagnols devront sacrifier leur but socialiste.
La cause réelle de la faillite interne de la révolution espagnole s'explique par sa dépendance vis-à-vis de l'aide matérielle des pays capitalistes (ici, le capitalisme d'État russe). Si la révolution s'étendait à l'Angleterre, la France, l'Italie, l'Allemagne, la Belgique, alors les choses auraient un autre aspect. Si la contre-révolution était écrasée dans les zones industrielles les plus importantes, comme elle l'est maintenant à Madrid, en Catalogne, aux Asturies, alors le pouvoir de la bourgeoisie fasciste serait brisé. Des troupes de gardes blancs pourraient certainement mettre la révolution en danger, mais non plus la battre. Des troupes qui ne s'appuient pas sur une puissance industrielle suffisante perdent vite tout pouvoir. Si la révolution prolétarienne s'effectuait dans les zones industrielles les plus importantes, les travailleurs ne dépendraient pas du capital étranger. Ils pourraient se saisir de tout le pouvoir. Ainsi, nous disons une fois de plus que la révolution prolétarienne ne peut être vigoureuse que si elle est internationale. Si elle reste confinée à une petite région, elle sera ou écrasée par les armes, ou dénaturée par les intérêts impérialistes. Si la révolution prolétarienne est assez forte à l'échelle internationale, alors elle n'a plus besoin de craindre la dégénérescence dans le sens d'un capitalisme d'État ou privé. Dans la partie suivante, nous traiterons des questions qui se poseraient dans ce cas.
LA LUTTE DE CLASSES DANS L'ESPAGNE « ROUGE »
Bien que nous ayons montré dans la partie précédente comment la situation internationale forçait les ouvriers espagnols à des compromis avec la bourgeoisie, nous n'en avons cependant pas conclu que la lutte de classes était terminée en Espagne. Au contraire, elle continue sous le couvert du front populaire antifasciste, comme le prouvent les assauts de la bourgeoisie contre chaque bastion des comités ouvriers, et le durcissement des positions du gouvernement. Les ouvriers de l'Espagne « rouge » ne peuvent rester indifférents à ce processus; de leur côté, ils doivent essayer de conserver les positions conquises pour éviter les empiétements futurs de la bourgeoisie et pour donner une nouvelle orientation révolutionnaire aux événements. Si les ouvriers en Catalogne ne s'opposent pas à la progression de la bourgeoisie, leur défaite totale est certaine. Si le gouvernement de front populaire battait éventuellement les fascistes, il utiliserait tout son pouvoir pour écraser le prolétariat. La lutte entre la classe ouvrière et la bourgeoisie continuerait mais dans des conditions bien pires pour le prolétariat; parce que la bourgeoisie « démocratique », après avoir laissé les travailleurs remporter la victoire contre les fascistes, retournerait ensuite toutes ses forces contre le prolétariat. La désintégration systématique du pouvoir des ouvriers se poursuit depuis des mois; et dans les discours de Caballero, on peut déjà entrevoir le sort que réserve aux travailleurs le gouvernement actuel, une fois qu'ils lui auront donné la victoire.
Nous avons dit que la révolution espagnole ne peut être victorieuse que si elle devient internationale. Mais les ouvriers espagnols ne peuvent pas attendre que la révolution commence en d'autres points d'Europe; ils ne peuvent pas attendre l'aide qui, jusqu'à présent, est restée un vœu pieux. Ils doivent maintenant, tout de suite, défendre leur cause non seulement contre les fascistes, mais contre leurs propres alliés bourgeois. L'organisation de leur pouvoir est aussi une nécessité urgente dans la situation actuelle.
Comment le mouvement des ouvriers espagnols répondit à cette question? La seule organisation qui y donne une réponse concrète est le P. O. U. M. Il fait de la propagande pour l'élection d'un congrès général des conseils, dont sortira un gouvernement véritablement prolétarien. A cela, nous répondons que les bases d'un tel programme n'existent pas encore. Les prétendus « conseils ouvriers », dans la mesure où ils ne sont pas encore liquidés, sont pour la plupart sous l'influence de la Generalidad, qui a un contrôle serré sur leurs membres. Même si elle avait lieu, l'élection de ce congrès ne garantirait pas le pouvoir des ouvriers sur la production. Le pouvoir social n'est pas le simple contrôle du gouvernement. Pour se maintenir, le pouvoir prolétarien doit s'exercer dans tous les domaines de la vie sociale. Le pouvoir politique central, pour grande que soit son importance, n'est qu'un des moyens de le réaliser. Si les ouvriers doivent organiser leur pouvoir contre la bourgeoisie, ils doivent commencer par le commencement. D'abord, ils doivent libérer leurs organisations d'usine de l'influence des partis et des syndicats officiels, parce que ces derniers rattachent les ouvriers au gouvernement actuel et, par là, à la société capitaliste, Ils doivent essayer, à travers leurs organisations d'usine, de pénétrer chaque secteur de la vie sociale. Sur cette base seulement, il est possible de batir le pouvoir prolétarien; sur cette base seulement, peuvent travailler en harmonie les forces de la classe ouvrière.
L'ORGANISATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉVOLUTION
Les questions de l'organisation politique et économique sont indissociables. Les anarchistes, qui niaient la nécessité d'une organisation politique, ne pouvaient donc pas résoudre les problèmes de l'organisation économique. Il y a interrelation entre le problème de la liaison du travail dans les différentes usines, et celui de la circulation des biens, dans la mesure où le pouvoir politique ouvrier est en cause. Les travailleurs ne peuvent pas établir leur pouvoir dans les usines sans construire un pouvoir politique ouvrier et ce dernier ne peut se maintenir comme tel que s'il a ses racines dans la formation de conseils d'usine. Ainsi, une fois démontrée la nécessite de la construction d'un pouvoir politique, on peut s'interroger sur la forme que revêtira ce pouvoir prolétarien, sur la manière dont il intègre la société et dont il s'exprime à partir des usines. Supposons que les ouvriers des principales zones industrielles, par exemple en Europe, prennent le pouvoir et écrasent ainsi quasiment la puissance militaire de la bourgeoisie. La menace extérieure la plus grave pour la révolution se trouverait donc écartée Mais comment les ouvriers, en tant que propriétaires collectifs des ateliers doivent-ils remettre la production en marche pour satisfaire les besoins de la société? Pour cela, on a besoin de matières premières; mais d'où viennent-elles? Une fois le produit fabriqué, ou doit-on l'envoyer? Et qui en a besoin? On ne pourrait résoudre aucun de ces problèmes si chaque usine devait fonctionner isolément. Les matières premières destinées aux usines viennent de toutes les parties du monde, et les produits résultant de ces matières sont consommés dans le monde entier. Comment les ouvriers vont-ils savoir où se procurer ces matières premières? Comment vont-ils trouver des consommateurs pour leurs produits? Les produits ne peuvent pas être fabriqués au hasard. Les ouvriers ne peuvent livrer des produits et des matières premières sans savoir si les deux vont être utilisés d'une façon appropriée. Pour que la vie économique ne s'arrête pas immédiatement, il faut mettre au point une méthode pour organiser la circulation des marchandises.
C'est là que réside la difficulté. Dans le capitalisme, cette tâche est accomplie par le marché libre et au moyen de l'argent. Sur le marché, les capitalistes, en tant que propriétaires des produits, s'affrontent les uns aux autres; c'est là que sont déterminés les besoins de la société: l'argent est la mesure de ces besoins. Les prix expriment la valeur approximative des produits. Dans le communisme, ces formes économiques, qui découlent de la propriété privée et y sont liées, disparaitront. La question qui se pose est donc: comment doit-on fixer, déterminer les besoins de la société sous le communisme?
Nous savons que le marché libre ne peut remplir son rôle que dans certaines limites. Les besoins qu'il mesure ne sont pas déterminés par les besoins réels des gens mais par le pouvoir d'achat des possesseurs et par les salaires que reçoivent les ouvriers. Sous le communisme, par contre, ce qui comptera, ce seront les besoins réels des masses et non le contenu des portefeuilles.
Il est clair maintenant que les besoins réels des masses ne peuvent être déterminés par aucune sorte d'appareil bureaucratique, mais par les ouvriers eux-mêmes. La première question que cette constatation soulève est, non pas de savoir si les ouvriers sont capables de réaliser cette tâche, mais qui dispose des produits de la société. Si l'on permet à un appareil bureaucratique de déterminer les besoins des masses, il se créera un nouvel instrument de domination sur la classe ouvrière. C'est pourquoi il est essentiel que les ouvriers s'unissent dans des coopératives de consommateurs et créent ainsi l'organisme qui exprimera leurs besoins. Le même principe vaut pour les usines; les ouvriers, unis dans les organisations d'usine, établissent la quantité de matières premières dont ils ont besoin pour les produits qu'ils doivent fabriquer. Il n'y a donc qu'un moyen sous le communisme pour établir les besoins réels des masses; l'organisation des producteurs et des consommateurs en conseils d'usine et conseils de consommateurs.
Cependant, il ne suffit pas aux ouvriers de savoir de quoi ils ont besoin pour leur subsistance, ni aux ateliers de connaître la quantité nécessaire de matières premières. Les usines échangent leurs produits; ceux-ci doivent passer par différentes phases, par plusieurs usines avant d'entrer dans la sphère de consommation. Pour rendre possible ce procés, il est nécessaire, non seulement d'établir des quantités, mais aussi de les gèrer. Ainsi, nous en venons à la deuxième partie du mécanisme qui doit se substituer au marché libre; c'est-à-dire la « comptabilité » sociale générale. Cette comptabilité doit inclure la situation de chaque usine et conseil de consommateurs, pour donner un tableau clair qui permette d'avoir une connaissanœ complète des besoins et des possibilités de la société.
Si l'on ne peut pas rassembler et centraliser ces données, alors toute la production sera plongée dans le chaos quand sera abolie la propriété privée et, avec elle, le marché libre. Seuls l'organisation de la production et de la distribution par des conseils de producteurs et de consornmateurs, et l'établissement d'une comptabilité centralisée permettront d'abolir le marché libre.
L'ORGANISATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉVOLUTION
Les questions de l'organisation politique et économique sont indissociables. Les anarchistes, qui niaient la nécessité d'une organisation politique, ne pouvaient donc pas résoudre les problèmes de l'organisation économique. Il y a interrelation entre le problème de la liaison du travail dans les différentes usines, et celui de la circulation des biens, dans la mesure où le pouvoir politique ouvrier est en cause. Les travailleurs ne peuvent pas établir leur pouvoir dans les usines sans construire un pouvoir politique ouvrier et ce dernier ne peut se maintenir comme tel que s'il a ses racines dans la formation de conseils d'usine. Ainsi, une fois démontrée la nécessite de la construction d'un pouvoir politique, on peut s'interroger sur la forme que revêtira ce pouvoir prolétarien, sur la manière dont il intègre la société et dont il s'exprime à partir des usines. Supposons que les ouvriers des principales zones industrielles, par exemple en Europe, prennent le pouvoir et écrasent ainsi quasiment la puissance militaire de la bourgeoisie. La menace extérieure la plus grave pour la révolution se trouverait donc écartée Mais comment les ouvriers, en tant que propriétaires collectifs des ateliers doivent-ils remettre la production en marche pour satisfaire les besoins de la société? Pour cela, on a besoin de matières premières; mais d'où viennent-elles? Une fois le produit fabriqué, ou doit-on l'envoyer? Et qui en a besoin? On ne pourrait résoudre aucun de ces problèmes si chaque usine devait fonctionner isolément. Les matières premières destinées aux usines viennent de toutes les parties du monde, et les produits résultant de ces matières sont consommés dans le monde entier. Comment les ouvriers vont-ils savoir où se procurer ces matières premières? Comment vont-ils trouver des consommateurs pour leurs produits? Les produits ne peuvent pas être fabriqués au hasard. Les ouvriers ne peuvent livrer des produits et des matières premières sans savoir si les deux vont être utilisés d'une façon appropriée. Pour que la vie économique ne s'arrête pas immédiatement, il faut mettre au point une méthode pour organiser la circulation des marchandises.
C'est là que réside la difficulté. Dans le capitalisme, cette tâche est accomplie par le marché libre et au moyen de l'argent. Sur le marché, les capitalistes, en tant que propriétaires des produits, s'affrontent les uns aux autres; c'est là que sont déterminés les besoins de la société: l'argent est la mesure de ces besoins. Les prix expriment la valeur approximative des produits. Dans le communisme, ces formes économiques, qui découlent de la propriété privée et y sont liées, disparaitront. La question qui se pose est donc: comment doit-on fixer, déterminer les besoins de la société sous le communisme?
Nous savons que le marché libre ne peut remplir son rôle que dans certaines limites. Les besoins qu'il mesure ne sont pas déterminés par les besoins réels des gens mais par le pouvoir d'achat des possesseurs et par les salaires que reçoivent les ouvriers. Sous le communisme, par contre, ce qui comptera, ce seront les besoins réels des masses et non le contenu des portefeuilles.
Il est clair maintenant que les besoins réels des masses ne peuvent être déterminés par aucune sorte d'appareil bureaucratique, mais par les ouvriers eux-mêmes. La première question que cette constatation soulève est, non pas de savoir si les ouvriers sont capables de réaliser cette tâche, mais qui dispose des produits de la société. Si l'on permet à un appareil bureaucratique de déterminer les besoins des masses, il se créera un nouvel instrument de domination sur la classe ouvrière. C'est pourquoi il est essentiel que les ouvriers s'unissent dans des coopératives de consommateurs et créent ainsi l'organisme qui exprimera leurs besoins. Le même principe vaut pour les usines; les ouvriers, unis dans les organisations d'usine, établissent la quantité de matières premières dont ils ont besoin pour les produits qu'ils doivent fabriquer. Il n'y a donc qu'un moyen sous le communisme pour établir les besoins réels des masses; l'organisation des producteurs et des consommateurs en conseils d'usine et conseils de consommateurs.
Cependant, il ne suffit pas aux ouvriers de savoir de quoi ils ont besoin pour leur subsistance, ni aux ateliers de connaître la quantité nécessaire de matières premières. Les usines échangent leurs produits; ceux-ci doivent passer par différentes phases, par plusieurs usines avant d'entrer dans la sphère de consommation. Pour rendre possible ce procés, il est nécessaire, non seulement d'établir des quantités, mais aussi de les gèrer. Ainsi, nous en venons à la deuxième partie du mécanisme qui doit se substituer au marché libre; c'est-à-dire la « comptabilité » sociale générale. Cette comptabilité doit inclure la situation de chaque usine et conseil de consommateurs, pour donner un tableau clair qui permette d'avoir une connaissanœ complète des besoins et des possibilités de la société.
Si l'on ne peut pas rassembler et centraliser ces données, alors toute la production sera plongée dans le chaos quand sera abolie la propriété privée et, avec elle, le marché libre. Seuls l'organisation de la production et de la distribution par des conseils de producteurs et de consornmateurs, et l'établissement d'une comptabilité centralisée permettront d'abolir le marché libre.
Nous avons vu qu'en Russie, le « marché libre » s'est maintenu, malgré toutes les mesures de suppression décrétées par les bolcheviks, parce que les organes qui étaient supposés le remplacer ne fonctionnèrent pas. En Espagne, l'impuissance des organisations à bâtir une production communiste est clairement démontrée par l'existence du marché libre. L'ancienne forme de propriété a maintenant un autre visage. A la place de la propriété personnelle des moyens de production, les syndicats jouent en partie le rôle des anciens propriétaires, sous une forme légèrement modifiée. La forme est changée, mais le système demeure. La propriété en tant que telle n'est pas abolie. L'échange des marchandises ne disparaît pas. Voici le grand danger qu'affronte à l'intérieur la révolution espagnole.
Les ouvriers doivent trouver une nouvelle forme de distribution des biens. S'ils maintiennent les formes actuelles, ils ouvrent la voie à une restauration complète du capitalisme. Si jamais les ouvriers établissaient une distribution centrale des biens ils devraient garder cet appareil central sous leur contrôle, car, créé dans le simple but d'établir des registres et des statistiques, il aurait la possibilité de s'approprier le pouvoir et de se transformer en instrument de coercition contre les ouvriers. Ce processus serait le premier pas vers un capitalisme d'État.
LA PRISE EN CHARGE DE LA PRODUCTION PAR LES SYNDICATS
Cette tendance a été clairement discernée en Espagne. Les permanents syndicaux peuvent disposer de l'appareil de production. Ils ont aussi une influence décisive sur les affaires militaires. L'influence des ouvriers dans la vie économique ne va pas plus loin que l'influence qu'ont leurs syndicats; et le fait que les mesures syndicales n'aient pas réussi à menacer sérieusement la propriété privée, illustre bien les limites de cette influence. Si les ouvriers prennent en charge l'organisation de la vie économique, un de leurs premiers actes sera dirigé contre les parasites. Le pouvoir magique de l'argent, qui ouvre toutes les portes, qui réduit tout à l'état de marchandises, disparaîtra. Un des premiers actes des travailleurs sera donc, sans doute, la création d'une sorte de bons de travail. Ces bons ne pourront être obtenus que par ceux qui accomplissent un travail utile (Des mesures spéciales concernant les vieillards, les malades, les enfants, etc., s'imposeront certainement.)
En Catalogne, cela ne s'est pas produit. L'argent demeure le moyen d'échange des biens. On a introduit un certain contrôle sur la circulation des marchandises, qui n'a profité en rien aux travailleurs: ils se sont vus contraints d'apporter leurs maigres possessions au mont-de-piété, pendant que les propriétaires fonciers, par exemple, touchaient des rentes qui se montaient à environ 4 % de Sur capital (« L'Espagne antifasciste », 10 octobre).
Évidemment, les syndicats ne pouvaient pas prendre d'autres mesures sans menacer l'unité du front antifasciste. On peut aussi penser, comme y incite le caractère libertaire de la C. N. T., que les syndicats regagneront œrtainement le terrain perdu, une fois qu'ils auront vaincu les antifascistes et accompli toutes les réformes néœssaires. Mais raisonner de cette façon, c'est commettre les mêmes erreurs que les différentes variétés de bolcheviks, qu'elles soient de gauche ou de droite. Les mesures accomplies jusqu'à présent prouvent clairement que les ouvriers n'ont pas le pouvoir. Qui prétendra que le même appareil qui aujourd'hui domine les ouvriers, leur donnera volontairement le pouvoir le jour où le fascisme aura été écrasé?
Sans doute, la C. N. T. est libertaire. Même si nous supposons que les permanents de cette organisation sont prêts à abandonner leur pouvoir dés que la situation militaire le permettra, qu'est-œ que cela changera réellement? Le pouvoir, en effet, n'est pas aux mains d'un quelconque leader, il appartient au grand appareil, composé d'innombrables « chefaillons » qui détiennent les positions clés et les postes secondaires. Ils sont capables, si on les chasse de leurs postes privilégiés, de bouleverser complètement la production. Voici soulevé le problème qui eut un rôle si important dans la révolution russe. L'appareil bureaucratique sabota la vie éconornique entière tant que les ouvriers eurent le contrôle des usines. Il en est de même pour l'Espagne.
Tout l'enthousiasme que manifeste la C. N. T. en faveur du droit à l'autogestion dans les usines, n'empêche pas que ce sont les comités syndicaux qui, en fait, assument la fonction de l'employeur et qui, par conséquent, doivent jouer le rôle d'exploiteurs du travail. Le système salarial est maintenu en Espagne. Seul l'aspect en a changé: auparavant au service des capitalistes, le travail salarié est maintenant au service des syndicats. en voici comme preuve quelques citations extraites d'un article de « I'Espagne antifasciste », n° 24, 28 novembre 1936, intitulé « La Révolution s'organise elle-même »:
« Le plenum provincial de Grenade s'est réuni à Cadix, du 2 octobre au 4 octobre 1936; et a adopté les résolutions suivantes:
5) Le comité d'union des syndicats contrôlera la production dans son ensemble d'agriculture comprise). Dans ce but, tout le matériel nécessaire aux semailles et à la moisson sera mis à sa disposition.
6) Comme point de départ de la coordination entre régions, chaque commission doit rendre possible l'échange des marchandises en comparant leurs valeurs sur la base des prix en cours.
7) Pour faciliter le travail, le comité doit établir le relevé statistique de ceux qui sont aptes au travail afin de savoir sur quel potentiel il peut compter et comment doit étre rationnée la nourriture en fonction de la taille des familles.
8) La terre confisquée est déclarée propriété collective. Par ailleurs, la terre de ceux qui ont des capacités physiques et professionnelles suffisantes, ne peut être saisie. Ceci pour obtenir une rentabilité maximale. » (En outre, la terre des petits propriétaires ne peut pas être confisque La saisie doit être accomplie en présence des organes de la C. N. T. et de l'U. G. T.)
Ces résolutions doivent être comprises comme une sorte de plan d'après lequel le comité d'union des syndicats organisera la production. Mais en même temps, nous devons faire remarquer que la direction des petites exploitations, aussi bien que celle des grandes où doit être garantie une rentabilité maximale, restera aux mains des anciens propriétaires. Le reste de la terre doit servir à des buts communautaires. En d'autres termes, elle doit être placée sous le contrôle des commissions du syndicat. De plus, le comité d'union des syndicats obtient le contrôle sur la production dans sa totalité. Mais pas un mot n'indique le rôle que doivent jouer les producteurs eux-mêmes dans ce nouveau type de production. Ce problème ne semble pas exister pour I'U.G. T. Pour eux, il ne S'agit au que de l'établissement d'une autre direction, à savoir la direction du comité de i'union des syndicats qui fonctionne encore sur la base du travail salarié. C'est la question du maintien du salariat qui détermine le cours de la révolution prolétarienne. Si les ouvriers demeurent des ouvriers salariés comme auparavant, même au service d'un comité établi par leur propre syndicat, leur position dans le système de production demeure inchangée. Et la révolution s'écartera de son orientation prolétarienne à cause de la rivalité inévitable qui surgira entre les partis ou les syndicats pour s'assurer le contrôle de l'économie. On peut donc alors se demander jusqu'à quel point les syndicats peuvent être considérés comme les représentants authentiques des travailleurs; ou, en d'autres termes, quelle influence ont les ouvriers sur les comités centraux des syndicats qui dominent la vie économique tout entière.
La réalité nous enseigne que les ouvriers perdent toute influence ou tout pouvoir sur ces organisations, même si, dans le meilleur des cas, tous les ouvriers sont organisés dans la C. N. T. ou l'U. G. T. et s'ils élisent leurs comités eux-mêmes.
Car les syndicats se transforment graduellement dés qu'ils fonctionnent en tant qu'organes autonomes du pouvoir. Ce sont les comités qui déterminent toutes les normes de production et de distribution sans en être responsables devant les ouvriers qui les ont élevés à ces postes, mais qui n'ont en aucun cas la possibilité de les révoquer à leur gré. Les comités obtiennent le droit de disposer de tous les moyens de production nécessaires au travail, et de tous les produits finis, tandis que le travailleur ne reçoit que le montant du salaire défini d'après le travail accompli. Le problème pour les ouvriers: espagnols consiste donc, jusqu'à présent, à préserver leur pouvoir sur les comités syndicaux qui règlent la production et la distribution. Or, on voit que la propagande anarcho-syndicaliste s'exprime dans un sens tout à fait contraire; elle maintient que tous les obstacles seront surmontés quand les syndicats auront en mains la direction totale de la production. Pour les anarcho-syndicalistes, le danger de formation d'une bureaucratie existe au niveau des organes de l'Etat, mais non des syndicats. Ils croient que les idées libertaires rendent impossible un tel processus.
Mais au contraire, il a été démontré - et pas seulement en Espagne - que les nécessités matérielles font rapidement oublier les idées libertaires. Même les anarchistes confirment le développement d'une bureaucratie. « L'Espagne antifasciste », dans son n°1 de janvier, contient un article extrait de Tierra y Libertad (organe de la F. A. I.), dont nous citons ce qui suit:
« Le dernier plenum de la « fédération régionale » des groupes anarchistes en Catalogne a exposé clairement la position de l'anarchisme face aux exigences présentes. Nous publions toutes ces conclusions, suivies de brefs commentaires. »
L'extrait suivant est tiré de ces résolutions commentées:
« 4) Il est nécessaire d'abolir la bureaucratie parasitaire qui s'est grandement développée dans les organes de l'État, A tous les échelons
« L'État est l'éternel berceau de la bureaucratie, Aujourd'hui, cette situation devient critique au point de nous entraîner dans un courant qui menace la révolution. La collectivisation des entreprises, l'établissement de conseils et de commissions ont favorise l'épanouissement d'une nouvelle bureaucratie d'origine ouvrière. Négligeant les tâches du socialisme et n'ayant plus rien de révolutionnaire, ces éléments qui dirigent les lieux de production ou les industries en dehors du contrôle syndicat, agissent fréquemment comme des bureaucrates disposant d'une autorité absolue, et se comportent comme de nouveaux patrons. Dans les bureaux nationaux et locaux, on peut observer le pouvoir croissant de ces bureaucrates Un tel état de choses doit prendre fin. C'est la tâche des syndicats et des ouvriers que d'enrayer ce courant de bureaucratisme. C'est l'organisation syndicale qui doit résoudre ce problème. Les « parasites » doivent disparaître de la nouvelle société. Notre devoir le plus urgent est de commencer la lutte sans plus tarder avec détermination. »
Mais chasser la bureaucratie par l'intermédiaire des syndicats revient à vouloir chasser le démon par Belzébuth car ce sont les conditions dans lesquelles s'exerce le pouvoir, et non des dogmes idéalistes, qui déterminent le déroulement des événements.
L'anarcho-syndicalisme espagnol, nourri de doctrines anarchistes, se déclare lui-même pour le communisme libre et opposé à toutes les formes de pouvoir centralisé; cependant, son propre pouvoir se trouve concentré dans les syndicats et c'est donc par l'intermédiaire de ces organisations que les anarcho-syndicalistes réaliseront le communisme « libre ».
L'ANARCHO-SYNDYCALISME
Ainsi, nous avons vu que la pratique et la théorie de l'anarcho-syndicalisme différent totalement. Cela était déjà manifeste quand la C. N. T. et la F. A. I., pour consolider leur position, durent renoncer peu à peu à leur « antipolitisme » passé. Le même décalage s'observe maintenant dans la « structure économique » de la révolution.
En théorie, les anarcho-syndicalistes se prétendent l'avant-garde d'un communisme « libre ». Toutefois, pour faire fonctionner les entreprises « libres » dans l'intérêt de la révolution, ils sont contraints d'arracher leur liberté à ces entreprises et de subordonner la production à une direction centralisée. La pratique les contraint d'abandonner leur théorie ce qui prouve que cette théorie n'était pas adaptée à la pratique.
Nous trouverons l'explication de ce décalage en nous livrant à une critique radicale de ces théories du communisme « libre». qui sont, en dernière analyse, les conceptions de Proudhon, adaptées par Bakounine aux méthodes de production modernes.
Les conceptions socialistes avancées par Proudhon il y a cent ans, ne sont que les conceptions idéalistes du petit-bourgeois qui voyait dans la libre concurrence entre petites entreprises le but idéal du développement économique. La libre concurrence devait automatiquement supprimer tous les privilèges du capital financier et du capital foncier. Ainsi, toute direction centrale devenait superflue: les profits disparaîtraient et chacun recevrait le « fruit intégral de son travail », puisque, d'après Proudhon, seuls les monopoles réalisent le profit. « Je n'ai pas l'intention de supprimer la propriété privée, mais de la socialiser; c'est-à-dire, de la réduire à de petites entreprises et de la priver de son pouvoir. » Proudhon ne condamne pas les droits de propriété en tant que tels; il voit la « liberté réelle » dans la libre disposition dés fruits du travail et condamne la propriété privée seulement en tant que privilège et pouvoir, en tant que droit du maître. (Gottfried Salomon: Proudhon et le socialisme, p. 31). Par exemple, pour éliminer le monopole de l'argent, Proudhon avait imaginé l'établissement d'une banque de crédit central pour le crédit mutuel des producteurs, supprimant ainsi le coût de l'argent-crédit. Cela rappelle l'afflrmation de «L'Espagne antifasciste » du 10 octobre:
« Le syndicat C. N. T. des employés de la banque de crédit de Madrid propose la transformation immédiate de toutes les banques en institutions de crédit gratuit pour la classe ouvrière, c'est-à-dire contre une compensation annuelle de 2 %,.. »
Cependant, l'influence de Proudhon sur la conception des anarcho-syndicalistes ne se limite pas à ces questions relativement secondaires. Son socialisme constitue fondamentalement la base de la doctrine anarcho-syndicaliste, avec quelques révisions nécessitées par les conditions modernes de l'économie hautement industrialisée.
Dans sa perspective du « socialisme de libre concurrence », la C. N. T. conçoit simplement les entreprises comme des unités indépendantes. Il est vrai que les anarcho-syndicalistes ne veulent pas revenir à la petite entreprise. Ils proposent de la liquider, ou bien de la laisser mourir de mort naturelle quand elle ne fonctionne plus assez rationnellement. Pourtant, il suffit de remplacer les « petites entreprises » de Proudhon par les « grandes entreprisees » et les « artisans » par les « syndicats ouvriers », pour avoir une image du socialisme vu par la C. N. T.
LA NÉCESSITÉ D'UNE PRODUCTION PLANIFIÉE
En réalité, ces théories sont utopiques. Elles sont particulièrement inapplicables à la situation espagnole. La libre concurrence, A ce stade de développement, n'est plus possible, et encore moins dans un contexte de guerre et de chaos comme en Catalogne. Là où un certain nombre d'entreprises ou de communautés entières se sont libérées et sont devenues indépendantes du reste du système de production - en réalité avec pour seul résultat d'exploiter leurs consommateurs - la C. N. T. et la F. A. l. doivent maintenant subir les conséquences de leurs théories économiques. Elles y sont contraintes pour éviter l'éclatement du front uni antifasciste, qui serait très dangereux en un moment où la guerre civile exige l'union de toutes les forces. Les anarcho-syndicalistes n'ont d'autre issue que celle déjà adoptée par les bolcheviks et les sociaux-démocrates, à savoir: l'abolition de l'indépendance des entreprises et leur subordination à une direction économique centrale. Que cette direction soit assumée par leurs propres syndicats ne diminue en rien la portée d'une telle mesure. Un système centralisé de production où les ouvriers ne sont que des salariés, reste, n'en déplaise à la C. N. T., un système fonctionnant sur les principes capitalistes.
Cette contradiction entre la théorie des anarcho-syndicalistes et leur pratique est due en partie à leur incapacité à résoudre les problèmes les plus importants que pose la révolution prolétarienne dans le domaine de l'organisation économique, à savoir: comment, et sur quelle base, sera déterminée la répartition de la production sociale totale entre tous les producteurs? D'après la théorie anarcho-syndicaliste cette répartition devrait être déterminée par les entreprises indépendantes formées d'individus libres, grâce à l'intervention du « capital libre », le marché restituant par l'intermédiaire de l'échange la valeur intégrale de la production mise en circulation. Ce principe fut maintenu alors que la nécessité d'une production planifiée - et par conséquent d'une comptabilité centrale - s'imposait depuis longtemps. Les anarcho-syndicalistes reconnaisent la nécessité de planifier la vie économique et pensent que cela est irréalisable sans une centralisation comptable impliquant un recensement statistique des facteurs productifs et des besoins sociaux. Cependant, ils omettent de donner une base effective à ces nécessités statistiques. Or, on sait que la production ne peut être comptabilisée statistiquement ni planifiée sans une unité de mesure applicable aux produis
MODE DE PRODUCTI0N BOLCHEVISTE CONTRE MODE DE PRODUCTION COMMUNISTE
Le communisme règle sa production sur les besoins des larges masses. Le problème de la consommation individuelle et de la répartition des matières premières et des produits semi-finis entre les diverses entreprises ne peut être résolu gràce à l'argent, comme dans le système capitaliste. L'argent est l'expression de certains rapports de propriété privée. L'argent assure une certaine part du produit social à son possesseur. Cela vaut pour les individus comme pour les entreprises. Il n'y a pas de propriété privée des moyens de production dans le communisme; néanmoins, chaque individu aura droit à une certaine part de la richesse sociale pour sa consommation et chaque usine devra pouvoir disposer des matières premières et des moyens de production nécessaires. Comment cela doit-il s'accomplir? Les anarcho-syndicalistes répondent vaguement en se référant aux méthodes statistiques. Nous touchons là un problème très important pour la révolution prolétarienne. Si les ouvriers se fiaient simplement à un « bureau statistique » pour déterminer leur part, ils créeraient ainsi un pouvoir qu'ils ne pourraient plus contrôler.
Nous abordons ici la question suivante: comment est il possible d'unir, d'accorder ces deux principes qui semblent contradictoires à première vue, à savoir: tout le pouvoir aux ouvriers, ce qui implique un fédéralisme - (concentré) et la planification de l'économie, qui revient à une centralisation extrême? Nous ne pouvons résoudre ce paradoxe qu'en considérant les fondements réels de la production sociale dans sa totalité. Les travailleurs ne donnent à la société que leur force de travail. Dans une société sans exploitation, comme la société communiste, le seul étalon pour déterminer la consommation individuelle sera Ia force de travail fournie par chacun à la société.
Dans le procés de production, les matières premières sont converties en biens de consommation par la force de travail qui vient s'y ajouter. Un bureau statistique serait complètement incapable de déterminer la quantité de travail incorporée dans un produit donné Le produit est passé par de multiples stades, en outre, un nombre immense de machines, outils, matières premières et produits semi-finis ont servi à sa fabrication. S'il est possible à un bureau statistique central d'assembler toutes les données nécessaires en un tableau clair, comprenant toutes les branches du procès de production, les entreprises ou les usines sont bien mieux placées pour déterminer la quantité de travail cristallisée dans les produits finis, en calculant le temps de travail compris dans les matières premières et celui qui est nécessaire la production de nouveaux produits. A partir du moment où toutes les entreprises sont reliées entre elles dans le procès de production, il est facile à une entreprise donnée de déterminer la quantité totale de temps de travail nécessaire pour un produit fini, en se basant sur les données disponibles. Mieux encore, il est très facile de calculer le temps de travail moyen social en divisant la quantité de temps de travail employé par la quantité de produits. Cette moyenne représente le facteur final déterminant pour le consommateur. Pour avoir droit à un objet d'usage, il devra simplement prouver qu'il a donné à la société, sous une forme différente, la quantité de temps de travail cristallisée dans le produit qu'il désire. Ainsi se trouve supprimée l'exploitation. chacun reçoit ce qu'il a donné, chacun donne ce qu'il reçoit: c'est-à-dire, la même quantité de temps de travail moyen social. Dans la société communiste il n'y a pas de place pour un bureau statistique central, ayant le pouvoir d'établir « la part » reversant aux différentes catégories de salariés.
La consommation de chaque travailleur n'est pas déterminée « d'en haut »; chacun détermine lui-même par son travail combien il peut demander à la société. Il n'y a pas d'autre choix dans la société communiste, tout au moins pendant le premier stade. Des bureaux statistiques ne peuvent servir qu'à des fins administratives. Ces bureaux peuvent, par exemple, calculer les valeurs moyennes sociales en accord avec les données obtenues à partir des usines; mais ils sont des entreprises au même titre que les autres. Ils ne détiennent pas de privilèges. Il est absurde d'imaginer qu'une société communiste pourrait tolérer un bureau central doté d'un pouvoir exécutif; en effet, dans de telles conditions, il ne peut exister que l'exploitation, l'oppression, le capitalisme.
Nous voulons mettre ici l'accent sur deux points:
1. S'il en résultait une autre dictature, celle-ci ne ferait que refléter les rapports fondamentaux de production et de distribution dominant dans la société.
2. Si le temps de travail n'est pas la mesure directe de la production et de la distribution, si l'activité économique est seulement dirigée par un « bureau de statistiques » établissant la ration des travailleurs, alors cette situation conduit à un système d'exploitation.
Les syndicalistes sont incapables de résoudre le problème de la distribution. Ce point n'est abordé qu'en une seule occasion, dans la discussion sur la reconstruction économique parue dans « L'Espagne antifasciste » du 11 décembre 1936:
« Au cas où on introduirait un moyen d'échange qui n'aurait aucune ressemblance avec l'argent actuel et qui ne servirait qu'à simplifier l'échange, ce moyen d'échange serait administré par un « conseil du crédit ». »
Les ouvriers doivent trouver une nouvelle forme de distribution des biens. S'ils maintiennent les formes actuelles, ils ouvrent la voie à une restauration complète du capitalisme. Si jamais les ouvriers établissaient une distribution centrale des biens ils devraient garder cet appareil central sous leur contrôle, car, créé dans le simple but d'établir des registres et des statistiques, il aurait la possibilité de s'approprier le pouvoir et de se transformer en instrument de coercition contre les ouvriers. Ce processus serait le premier pas vers un capitalisme d'État.
LA PRISE EN CHARGE DE LA PRODUCTION PAR LES SYNDICATS
Cette tendance a été clairement discernée en Espagne. Les permanents syndicaux peuvent disposer de l'appareil de production. Ils ont aussi une influence décisive sur les affaires militaires. L'influence des ouvriers dans la vie économique ne va pas plus loin que l'influence qu'ont leurs syndicats; et le fait que les mesures syndicales n'aient pas réussi à menacer sérieusement la propriété privée, illustre bien les limites de cette influence. Si les ouvriers prennent en charge l'organisation de la vie économique, un de leurs premiers actes sera dirigé contre les parasites. Le pouvoir magique de l'argent, qui ouvre toutes les portes, qui réduit tout à l'état de marchandises, disparaîtra. Un des premiers actes des travailleurs sera donc, sans doute, la création d'une sorte de bons de travail. Ces bons ne pourront être obtenus que par ceux qui accomplissent un travail utile (Des mesures spéciales concernant les vieillards, les malades, les enfants, etc., s'imposeront certainement.)
En Catalogne, cela ne s'est pas produit. L'argent demeure le moyen d'échange des biens. On a introduit un certain contrôle sur la circulation des marchandises, qui n'a profité en rien aux travailleurs: ils se sont vus contraints d'apporter leurs maigres possessions au mont-de-piété, pendant que les propriétaires fonciers, par exemple, touchaient des rentes qui se montaient à environ 4 % de Sur capital (« L'Espagne antifasciste », 10 octobre).
Évidemment, les syndicats ne pouvaient pas prendre d'autres mesures sans menacer l'unité du front antifasciste. On peut aussi penser, comme y incite le caractère libertaire de la C. N. T., que les syndicats regagneront œrtainement le terrain perdu, une fois qu'ils auront vaincu les antifascistes et accompli toutes les réformes néœssaires. Mais raisonner de cette façon, c'est commettre les mêmes erreurs que les différentes variétés de bolcheviks, qu'elles soient de gauche ou de droite. Les mesures accomplies jusqu'à présent prouvent clairement que les ouvriers n'ont pas le pouvoir. Qui prétendra que le même appareil qui aujourd'hui domine les ouvriers, leur donnera volontairement le pouvoir le jour où le fascisme aura été écrasé?
Sans doute, la C. N. T. est libertaire. Même si nous supposons que les permanents de cette organisation sont prêts à abandonner leur pouvoir dés que la situation militaire le permettra, qu'est-œ que cela changera réellement? Le pouvoir, en effet, n'est pas aux mains d'un quelconque leader, il appartient au grand appareil, composé d'innombrables « chefaillons » qui détiennent les positions clés et les postes secondaires. Ils sont capables, si on les chasse de leurs postes privilégiés, de bouleverser complètement la production. Voici soulevé le problème qui eut un rôle si important dans la révolution russe. L'appareil bureaucratique sabota la vie éconornique entière tant que les ouvriers eurent le contrôle des usines. Il en est de même pour l'Espagne.
Tout l'enthousiasme que manifeste la C. N. T. en faveur du droit à l'autogestion dans les usines, n'empêche pas que ce sont les comités syndicaux qui, en fait, assument la fonction de l'employeur et qui, par conséquent, doivent jouer le rôle d'exploiteurs du travail. Le système salarial est maintenu en Espagne. Seul l'aspect en a changé: auparavant au service des capitalistes, le travail salarié est maintenant au service des syndicats. en voici comme preuve quelques citations extraites d'un article de « I'Espagne antifasciste », n° 24, 28 novembre 1936, intitulé « La Révolution s'organise elle-même »:
« Le plenum provincial de Grenade s'est réuni à Cadix, du 2 octobre au 4 octobre 1936; et a adopté les résolutions suivantes:
5) Le comité d'union des syndicats contrôlera la production dans son ensemble d'agriculture comprise). Dans ce but, tout le matériel nécessaire aux semailles et à la moisson sera mis à sa disposition.
6) Comme point de départ de la coordination entre régions, chaque commission doit rendre possible l'échange des marchandises en comparant leurs valeurs sur la base des prix en cours.
7) Pour faciliter le travail, le comité doit établir le relevé statistique de ceux qui sont aptes au travail afin de savoir sur quel potentiel il peut compter et comment doit étre rationnée la nourriture en fonction de la taille des familles.
8) La terre confisquée est déclarée propriété collective. Par ailleurs, la terre de ceux qui ont des capacités physiques et professionnelles suffisantes, ne peut être saisie. Ceci pour obtenir une rentabilité maximale. » (En outre, la terre des petits propriétaires ne peut pas être confisque La saisie doit être accomplie en présence des organes de la C. N. T. et de l'U. G. T.)
Ces résolutions doivent être comprises comme une sorte de plan d'après lequel le comité d'union des syndicats organisera la production. Mais en même temps, nous devons faire remarquer que la direction des petites exploitations, aussi bien que celle des grandes où doit être garantie une rentabilité maximale, restera aux mains des anciens propriétaires. Le reste de la terre doit servir à des buts communautaires. En d'autres termes, elle doit être placée sous le contrôle des commissions du syndicat. De plus, le comité d'union des syndicats obtient le contrôle sur la production dans sa totalité. Mais pas un mot n'indique le rôle que doivent jouer les producteurs eux-mêmes dans ce nouveau type de production. Ce problème ne semble pas exister pour I'U.G. T. Pour eux, il ne S'agit au que de l'établissement d'une autre direction, à savoir la direction du comité de i'union des syndicats qui fonctionne encore sur la base du travail salarié. C'est la question du maintien du salariat qui détermine le cours de la révolution prolétarienne. Si les ouvriers demeurent des ouvriers salariés comme auparavant, même au service d'un comité établi par leur propre syndicat, leur position dans le système de production demeure inchangée. Et la révolution s'écartera de son orientation prolétarienne à cause de la rivalité inévitable qui surgira entre les partis ou les syndicats pour s'assurer le contrôle de l'économie. On peut donc alors se demander jusqu'à quel point les syndicats peuvent être considérés comme les représentants authentiques des travailleurs; ou, en d'autres termes, quelle influence ont les ouvriers sur les comités centraux des syndicats qui dominent la vie économique tout entière.
La réalité nous enseigne que les ouvriers perdent toute influence ou tout pouvoir sur ces organisations, même si, dans le meilleur des cas, tous les ouvriers sont organisés dans la C. N. T. ou l'U. G. T. et s'ils élisent leurs comités eux-mêmes.
Car les syndicats se transforment graduellement dés qu'ils fonctionnent en tant qu'organes autonomes du pouvoir. Ce sont les comités qui déterminent toutes les normes de production et de distribution sans en être responsables devant les ouvriers qui les ont élevés à ces postes, mais qui n'ont en aucun cas la possibilité de les révoquer à leur gré. Les comités obtiennent le droit de disposer de tous les moyens de production nécessaires au travail, et de tous les produits finis, tandis que le travailleur ne reçoit que le montant du salaire défini d'après le travail accompli. Le problème pour les ouvriers: espagnols consiste donc, jusqu'à présent, à préserver leur pouvoir sur les comités syndicaux qui règlent la production et la distribution. Or, on voit que la propagande anarcho-syndicaliste s'exprime dans un sens tout à fait contraire; elle maintient que tous les obstacles seront surmontés quand les syndicats auront en mains la direction totale de la production. Pour les anarcho-syndicalistes, le danger de formation d'une bureaucratie existe au niveau des organes de l'Etat, mais non des syndicats. Ils croient que les idées libertaires rendent impossible un tel processus.
Mais au contraire, il a été démontré - et pas seulement en Espagne - que les nécessités matérielles font rapidement oublier les idées libertaires. Même les anarchistes confirment le développement d'une bureaucratie. « L'Espagne antifasciste », dans son n°1 de janvier, contient un article extrait de Tierra y Libertad (organe de la F. A. I.), dont nous citons ce qui suit:
« Le dernier plenum de la « fédération régionale » des groupes anarchistes en Catalogne a exposé clairement la position de l'anarchisme face aux exigences présentes. Nous publions toutes ces conclusions, suivies de brefs commentaires. »
L'extrait suivant est tiré de ces résolutions commentées:
« 4) Il est nécessaire d'abolir la bureaucratie parasitaire qui s'est grandement développée dans les organes de l'État, A tous les échelons
« L'État est l'éternel berceau de la bureaucratie, Aujourd'hui, cette situation devient critique au point de nous entraîner dans un courant qui menace la révolution. La collectivisation des entreprises, l'établissement de conseils et de commissions ont favorise l'épanouissement d'une nouvelle bureaucratie d'origine ouvrière. Négligeant les tâches du socialisme et n'ayant plus rien de révolutionnaire, ces éléments qui dirigent les lieux de production ou les industries en dehors du contrôle syndicat, agissent fréquemment comme des bureaucrates disposant d'une autorité absolue, et se comportent comme de nouveaux patrons. Dans les bureaux nationaux et locaux, on peut observer le pouvoir croissant de ces bureaucrates Un tel état de choses doit prendre fin. C'est la tâche des syndicats et des ouvriers que d'enrayer ce courant de bureaucratisme. C'est l'organisation syndicale qui doit résoudre ce problème. Les « parasites » doivent disparaître de la nouvelle société. Notre devoir le plus urgent est de commencer la lutte sans plus tarder avec détermination. »
Mais chasser la bureaucratie par l'intermédiaire des syndicats revient à vouloir chasser le démon par Belzébuth car ce sont les conditions dans lesquelles s'exerce le pouvoir, et non des dogmes idéalistes, qui déterminent le déroulement des événements.
L'anarcho-syndicalisme espagnol, nourri de doctrines anarchistes, se déclare lui-même pour le communisme libre et opposé à toutes les formes de pouvoir centralisé; cependant, son propre pouvoir se trouve concentré dans les syndicats et c'est donc par l'intermédiaire de ces organisations que les anarcho-syndicalistes réaliseront le communisme « libre ».
L'ANARCHO-SYNDYCALISME
Ainsi, nous avons vu que la pratique et la théorie de l'anarcho-syndicalisme différent totalement. Cela était déjà manifeste quand la C. N. T. et la F. A. I., pour consolider leur position, durent renoncer peu à peu à leur « antipolitisme » passé. Le même décalage s'observe maintenant dans la « structure économique » de la révolution.
En théorie, les anarcho-syndicalistes se prétendent l'avant-garde d'un communisme « libre ». Toutefois, pour faire fonctionner les entreprises « libres » dans l'intérêt de la révolution, ils sont contraints d'arracher leur liberté à ces entreprises et de subordonner la production à une direction centralisée. La pratique les contraint d'abandonner leur théorie ce qui prouve que cette théorie n'était pas adaptée à la pratique.
Nous trouverons l'explication de ce décalage en nous livrant à une critique radicale de ces théories du communisme « libre». qui sont, en dernière analyse, les conceptions de Proudhon, adaptées par Bakounine aux méthodes de production modernes.
Les conceptions socialistes avancées par Proudhon il y a cent ans, ne sont que les conceptions idéalistes du petit-bourgeois qui voyait dans la libre concurrence entre petites entreprises le but idéal du développement économique. La libre concurrence devait automatiquement supprimer tous les privilèges du capital financier et du capital foncier. Ainsi, toute direction centrale devenait superflue: les profits disparaîtraient et chacun recevrait le « fruit intégral de son travail », puisque, d'après Proudhon, seuls les monopoles réalisent le profit. « Je n'ai pas l'intention de supprimer la propriété privée, mais de la socialiser; c'est-à-dire, de la réduire à de petites entreprises et de la priver de son pouvoir. » Proudhon ne condamne pas les droits de propriété en tant que tels; il voit la « liberté réelle » dans la libre disposition dés fruits du travail et condamne la propriété privée seulement en tant que privilège et pouvoir, en tant que droit du maître. (Gottfried Salomon: Proudhon et le socialisme, p. 31). Par exemple, pour éliminer le monopole de l'argent, Proudhon avait imaginé l'établissement d'une banque de crédit central pour le crédit mutuel des producteurs, supprimant ainsi le coût de l'argent-crédit. Cela rappelle l'afflrmation de «L'Espagne antifasciste » du 10 octobre:
« Le syndicat C. N. T. des employés de la banque de crédit de Madrid propose la transformation immédiate de toutes les banques en institutions de crédit gratuit pour la classe ouvrière, c'est-à-dire contre une compensation annuelle de 2 %,.. »
Cependant, l'influence de Proudhon sur la conception des anarcho-syndicalistes ne se limite pas à ces questions relativement secondaires. Son socialisme constitue fondamentalement la base de la doctrine anarcho-syndicaliste, avec quelques révisions nécessitées par les conditions modernes de l'économie hautement industrialisée.
Dans sa perspective du « socialisme de libre concurrence », la C. N. T. conçoit simplement les entreprises comme des unités indépendantes. Il est vrai que les anarcho-syndicalistes ne veulent pas revenir à la petite entreprise. Ils proposent de la liquider, ou bien de la laisser mourir de mort naturelle quand elle ne fonctionne plus assez rationnellement. Pourtant, il suffit de remplacer les « petites entreprises » de Proudhon par les « grandes entreprisees » et les « artisans » par les « syndicats ouvriers », pour avoir une image du socialisme vu par la C. N. T.
LA NÉCESSITÉ D'UNE PRODUCTION PLANIFIÉE
En réalité, ces théories sont utopiques. Elles sont particulièrement inapplicables à la situation espagnole. La libre concurrence, A ce stade de développement, n'est plus possible, et encore moins dans un contexte de guerre et de chaos comme en Catalogne. Là où un certain nombre d'entreprises ou de communautés entières se sont libérées et sont devenues indépendantes du reste du système de production - en réalité avec pour seul résultat d'exploiter leurs consommateurs - la C. N. T. et la F. A. l. doivent maintenant subir les conséquences de leurs théories économiques. Elles y sont contraintes pour éviter l'éclatement du front uni antifasciste, qui serait très dangereux en un moment où la guerre civile exige l'union de toutes les forces. Les anarcho-syndicalistes n'ont d'autre issue que celle déjà adoptée par les bolcheviks et les sociaux-démocrates, à savoir: l'abolition de l'indépendance des entreprises et leur subordination à une direction économique centrale. Que cette direction soit assumée par leurs propres syndicats ne diminue en rien la portée d'une telle mesure. Un système centralisé de production où les ouvriers ne sont que des salariés, reste, n'en déplaise à la C. N. T., un système fonctionnant sur les principes capitalistes.
Cette contradiction entre la théorie des anarcho-syndicalistes et leur pratique est due en partie à leur incapacité à résoudre les problèmes les plus importants que pose la révolution prolétarienne dans le domaine de l'organisation économique, à savoir: comment, et sur quelle base, sera déterminée la répartition de la production sociale totale entre tous les producteurs? D'après la théorie anarcho-syndicaliste cette répartition devrait être déterminée par les entreprises indépendantes formées d'individus libres, grâce à l'intervention du « capital libre », le marché restituant par l'intermédiaire de l'échange la valeur intégrale de la production mise en circulation. Ce principe fut maintenu alors que la nécessité d'une production planifiée - et par conséquent d'une comptabilité centrale - s'imposait depuis longtemps. Les anarcho-syndicalistes reconnaisent la nécessité de planifier la vie économique et pensent que cela est irréalisable sans une centralisation comptable impliquant un recensement statistique des facteurs productifs et des besoins sociaux. Cependant, ils omettent de donner une base effective à ces nécessités statistiques. Or, on sait que la production ne peut être comptabilisée statistiquement ni planifiée sans une unité de mesure applicable aux produis
MODE DE PRODUCTI0N BOLCHEVISTE CONTRE MODE DE PRODUCTION COMMUNISTE
Le communisme règle sa production sur les besoins des larges masses. Le problème de la consommation individuelle et de la répartition des matières premières et des produits semi-finis entre les diverses entreprises ne peut être résolu gràce à l'argent, comme dans le système capitaliste. L'argent est l'expression de certains rapports de propriété privée. L'argent assure une certaine part du produit social à son possesseur. Cela vaut pour les individus comme pour les entreprises. Il n'y a pas de propriété privée des moyens de production dans le communisme; néanmoins, chaque individu aura droit à une certaine part de la richesse sociale pour sa consommation et chaque usine devra pouvoir disposer des matières premières et des moyens de production nécessaires. Comment cela doit-il s'accomplir? Les anarcho-syndicalistes répondent vaguement en se référant aux méthodes statistiques. Nous touchons là un problème très important pour la révolution prolétarienne. Si les ouvriers se fiaient simplement à un « bureau statistique » pour déterminer leur part, ils créeraient ainsi un pouvoir qu'ils ne pourraient plus contrôler.
Nous abordons ici la question suivante: comment est il possible d'unir, d'accorder ces deux principes qui semblent contradictoires à première vue, à savoir: tout le pouvoir aux ouvriers, ce qui implique un fédéralisme - (concentré) et la planification de l'économie, qui revient à une centralisation extrême? Nous ne pouvons résoudre ce paradoxe qu'en considérant les fondements réels de la production sociale dans sa totalité. Les travailleurs ne donnent à la société que leur force de travail. Dans une société sans exploitation, comme la société communiste, le seul étalon pour déterminer la consommation individuelle sera Ia force de travail fournie par chacun à la société.
Dans le procés de production, les matières premières sont converties en biens de consommation par la force de travail qui vient s'y ajouter. Un bureau statistique serait complètement incapable de déterminer la quantité de travail incorporée dans un produit donné Le produit est passé par de multiples stades, en outre, un nombre immense de machines, outils, matières premières et produits semi-finis ont servi à sa fabrication. S'il est possible à un bureau statistique central d'assembler toutes les données nécessaires en un tableau clair, comprenant toutes les branches du procès de production, les entreprises ou les usines sont bien mieux placées pour déterminer la quantité de travail cristallisée dans les produits finis, en calculant le temps de travail compris dans les matières premières et celui qui est nécessaire la production de nouveaux produits. A partir du moment où toutes les entreprises sont reliées entre elles dans le procès de production, il est facile à une entreprise donnée de déterminer la quantité totale de temps de travail nécessaire pour un produit fini, en se basant sur les données disponibles. Mieux encore, il est très facile de calculer le temps de travail moyen social en divisant la quantité de temps de travail employé par la quantité de produits. Cette moyenne représente le facteur final déterminant pour le consommateur. Pour avoir droit à un objet d'usage, il devra simplement prouver qu'il a donné à la société, sous une forme différente, la quantité de temps de travail cristallisée dans le produit qu'il désire. Ainsi se trouve supprimée l'exploitation. chacun reçoit ce qu'il a donné, chacun donne ce qu'il reçoit: c'est-à-dire, la même quantité de temps de travail moyen social. Dans la société communiste il n'y a pas de place pour un bureau statistique central, ayant le pouvoir d'établir « la part » reversant aux différentes catégories de salariés.
La consommation de chaque travailleur n'est pas déterminée « d'en haut »; chacun détermine lui-même par son travail combien il peut demander à la société. Il n'y a pas d'autre choix dans la société communiste, tout au moins pendant le premier stade. Des bureaux statistiques ne peuvent servir qu'à des fins administratives. Ces bureaux peuvent, par exemple, calculer les valeurs moyennes sociales en accord avec les données obtenues à partir des usines; mais ils sont des entreprises au même titre que les autres. Ils ne détiennent pas de privilèges. Il est absurde d'imaginer qu'une société communiste pourrait tolérer un bureau central doté d'un pouvoir exécutif; en effet, dans de telles conditions, il ne peut exister que l'exploitation, l'oppression, le capitalisme.
Nous voulons mettre ici l'accent sur deux points:
1. S'il en résultait une autre dictature, celle-ci ne ferait que refléter les rapports fondamentaux de production et de distribution dominant dans la société.
2. Si le temps de travail n'est pas la mesure directe de la production et de la distribution, si l'activité économique est seulement dirigée par un « bureau de statistiques » établissant la ration des travailleurs, alors cette situation conduit à un système d'exploitation.
Les syndicalistes sont incapables de résoudre le problème de la distribution. Ce point n'est abordé qu'en une seule occasion, dans la discussion sur la reconstruction économique parue dans « L'Espagne antifasciste » du 11 décembre 1936:
« Au cas où on introduirait un moyen d'échange qui n'aurait aucune ressemblance avec l'argent actuel et qui ne servirait qu'à simplifier l'échange, ce moyen d'échange serait administré par un « conseil du crédit ». »
On ignore complètement la nécessité d'une unité comptable qui permette l'évaluation des besoins sociaux, et, par là même, la mesure de la consommation et de la production. Dans ce cas, le moyen d'échange a pour seule fonction de simplifier le procès d'échange. Comment cela se réalise, reste un mystère.
On ne nous dit rien non plus sur la manière de calculer la valeur des produits à partir d'un tel moyen d'échange; on n'établit aucun critère pour évaluer les besoins des masses; on ne sait si la répartition sera déterminée par des conseils d'usines ou des organisations de consommateurs, ou bien par les techniciens des bureaux administratifs. Par contre, l'équipement technique de l'appareil productif est décrit avec force détail. C'est ainsi que les syndicalistes ramènent tous les problèmes économiques à de simples problèmes techniques.
Il existe dans ce domaine une étroite ressemblance entre les syndicalistes et les bolcheviks; le point central pour eux, c'est l'organisation technique de la production. La seule différence entre les deux conceptions est que celle des syndicats est plus naïve. Mais toutes les deux essaient d'éluder la question de l'élaboration de nouvelles lois de fonctionnement économique. Les bolcheviks sont seulement capables de répondre concrètement à la question de l'organisation technique, en prônant une centralisation absolue sous la direction d'un appareil dictatorial. les syndicalistes, de leur côté, dans leur désir « d'indépendance des petites entreprises », ne peuvent même pas résoudre ce problème. Lorsqu'ils s'efforcent de le faire, ils sacrifient en réalité le droit à l'autodétermination des ouvriers Le droit à l'autodétermination des ouvriers dans les usines est incompatible avec une direction centralisée et ce, tant que les fondements du capitalisme, l'argent et la production de marchandises, ne seront pas abolis et qu'un nouveau mode de production, fondé sur le temps de travail moyen social ne viendra pas s'y substituer. Pour accomplir cette tâche, les ouvriers ne doivent pas compter sur l'aide des partis, mais seulement sur leur action autonome.
Tiré de Raetekorrespondenz N°21. Avril 1937.
On ne nous dit rien non plus sur la manière de calculer la valeur des produits à partir d'un tel moyen d'échange; on n'établit aucun critère pour évaluer les besoins des masses; on ne sait si la répartition sera déterminée par des conseils d'usines ou des organisations de consommateurs, ou bien par les techniciens des bureaux administratifs. Par contre, l'équipement technique de l'appareil productif est décrit avec force détail. C'est ainsi que les syndicalistes ramènent tous les problèmes économiques à de simples problèmes techniques.
Il existe dans ce domaine une étroite ressemblance entre les syndicalistes et les bolcheviks; le point central pour eux, c'est l'organisation technique de la production. La seule différence entre les deux conceptions est que celle des syndicats est plus naïve. Mais toutes les deux essaient d'éluder la question de l'élaboration de nouvelles lois de fonctionnement économique. Les bolcheviks sont seulement capables de répondre concrètement à la question de l'organisation technique, en prônant une centralisation absolue sous la direction d'un appareil dictatorial. les syndicalistes, de leur côté, dans leur désir « d'indépendance des petites entreprises », ne peuvent même pas résoudre ce problème. Lorsqu'ils s'efforcent de le faire, ils sacrifient en réalité le droit à l'autodétermination des ouvriers Le droit à l'autodétermination des ouvriers dans les usines est incompatible avec une direction centralisée et ce, tant que les fondements du capitalisme, l'argent et la production de marchandises, ne seront pas abolis et qu'un nouveau mode de production, fondé sur le temps de travail moyen social ne viendra pas s'y substituer. Pour accomplir cette tâche, les ouvriers ne doivent pas compter sur l'aide des partis, mais seulement sur leur action autonome.
Tiré de Raetekorrespondenz N°21. Avril 1937.
notes
(1) "Gauche républicaine". Principal parti catalan. Représentant de la petite bourgeoisie.
(2) Parti ouvrier d'unification marxiste, organisation assez proche du trotskysme, principale victime des exactions staliniennes.
(3)"La généralidad" gouvernement de la Catalogne.
(4) "Que sont la C.N.T. et la F.A.I.?", traduit dans Catalogne libertaire 1936-1937, A. et D PRUDHOMMEAUX, Cahiers Spartacus n°11, novembre 1940.
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