lundi 4 février 2013

Circonstances…par Jorge Valadas

Les animateurs du cercle Vosstanie  - dont certains sont liés à l’histoire sociale du Portugal par l’expérience de l’émigration en France – ont mis en ligne [http://vosstanie.blogspot.fr/] les textes de la revue Cadernos de Circonstância (Paris, 1967-1970).

A leur demande, ces quelques notes…
 

J’ai demandé à Fernando Medeiros, un des initiateurs des Cadernos de Circonstância quelques remarques sur mes propos. Il a bien voulu écrire un court texte qui revient sur les circonstances historiques (encore…) qui ont vu naître le projet de la revue.  Bien plus qu’une annexe, son texte complète et enrichit celui que j’ai pu écrire *.     
                                      

 Circonstances… 






                                                                                    
                                                                                      Texto em português
                                                                           

  I

Le 5 juillet 2012, Antonio Vilarigues, figure importante du parti communiste portugais, publie dans le journal du parti, Avante, le texte, « Algumas notas sobre o obvio » (Quelques notes sur l’évidence) où il critique « quelques radicaux petits-bourgeois (qui) ont découvert deux thèses étonnantes : les partis communistes sont « nationalistes de gauche », donc ils sont incapables de mener des politiques internationalistes. ». Selon l’auteur, ces « radicaux petits-bourgeois » « parlent de contradictions insolubles entre le national et l’international dans la lutte des travailleurs ». A.V. rappelle que « les progrès réalisés par les peuples de l’Union Soviétique et des autres pays socialistes prouvent la supériorité du mode de production socialiste par rapport à celui du capitalisme ». « Dans tous les pays où se sont produites des révolutions socialistes, le développement des forces productives fut impressionnant, en particulier dans l’industrie et dans l’agriculture. Les évolutions négatives vérifiées, fruits d’erreurs internes et de l’action externe du capital et de l’impérialisme (…) ne contredisent pas ces faits. Même si cela dérange « nos » radicaux petit-bourgeois. ».

Ainsi, de tels propos baroques, sont à nouveau audibles en 2012. Des partis communistes européens – dont le cas le plus exemplaire est celui du parti communiste grec, le KKE - affaiblis par l’effondrement du bloc capitaliste d’Etat, trouvent un nouveau souffle dans ce nationalisme anti-européen charrié par la décomposition sociale des sociétés en crise.

Avec sa diatribe contre les « radicaux petits-bourgeois » Antonio Vilarigues règle probablement des comptes à l’intérieur de sa propre organisation. Plus généralement, il répond à la critique qui est faite au parti communiste de dériver vers la défense de positions nationalistes pouvant aboutir à une convergence avec les courants de la droite patriotique. Tendance observée depuis des années en Russie avec l’émergence du national-bolchevisme et plus récemment en Grèce. La rhétorique marxisante, le culte du progrès économique, du productivisme et des forces productives, cette vulgate bolchevik qui perçoit l’internationalisme comme une addition de socialismes nationaux, habillent la revendication d’un hypothétique retour du pays de Camoes à l’« indépendance nationale », concrétisée par une sortie unilatérale de l’Euro. Idée de repli national qui contamine l’ensemble de la vieille gauche impuissante devant la crise. Dans l’esprit des chefs néo-staliniens, il s’agirait d’une étape bénéfique à leur renforcement. Il ne leur viendrait même pas à l’idée que le seul chemin vers une émancipation des exploités au Portugal réside peut-être dans une union avec les autres révoltés européennes et ibériques avant tout. A contre courant d’un retour à la soi disante « indépendance nationale » et au culte du patriotisme.

Antonio Vilarigues et ses camarades risquent bien de se retrouver hors de la zone Euro, non à la suite d’une improbable action de masses sous la direction du parti, mais par le simple mouvement de la crise du capitalisme et des décisions de ses gestionnaires. Avec tout son cortège d’horreurs, d’autoritarisme politique, de violences et de nationalismes exacerbés.

Pour soutenir ses propos, A.V. a recours à un texte qu’Alvaro Cunhal publia en 1970, « O Radicalismo Pequeno Burguês de Fachada Socialista » (La radicalité petite-bourgeoise de façade socialiste). Le chef historique du PCP avait le don pour les titres accrocheurs. En 2012, A.V. remet le texte au goût du jour, « Comme a souligné le camarade Alvaro Cunhal (…), la radicalisation politique de la petite bourgeoisie, fruit du développement du capitalisme, est un phénomène positif. Cependant, cette radicalisation s’accompagne aussi de phénomènes négatifs ». Lesquels sont, précise A.V., « hésitations », « contradictions », « déviations de droite et de gauche », « manifestations d’impatience et de désespoir ». Symptômes de grave maladie, dont seraient protégés celles et ceux qui suivent les positions du parti, lesquelles peuvent varier selon les oscillations de la ligne, toujours dans le but d’un développement harmonieux des forces productives nationales.

Aujourd’hui, le parti communiste portugais et la centrale syndicale dirigée par ses partisans, la CGTP, rencontrent des difficultés pour retrouver un poids politique dans une société assommée par les effets de la crise, par les mesures d’austérité et de récession mises en œuvre par les successifs gouvernements, de gauche et de droite. Leur base est abattue par un sentiment d’impuissance, désorientée par l’inefficacité de l’action partidaire et syndicale auxquelles elle était habituée. A croire que les symptômes qu’A.V. attribue au « radicalisme petit-bourgeois » sont finalement ceux dont souffre aujourd’hui le peuple communiste. En même temps, on constate une radicalisation de secteurs de la société, tentés par les nouvelles formes de mobilisations indépendantes, d’où monte une critique de la « démocratie réellement inexistante » et de la décadence de la vie politique traditionnelle. Chez la jeunesse on remarque un intérêt pour la démocratie de base, voire pour les idées de l’anticapitalisme. A tel point que le service d’ordre  du syndicat majoritaire se voit obligé de « protéger » ses cortèges du contact avec ces jeunes anti-capitalistes qui donnent de la voix et proposent une réflexion sur l’état du monde dépassant les frontières du petit pays en ruine. Plus grave, voici que des franges des exploités, habitués à défiler docilement derrière les chefs, se lassent des manifs traîne savate, des grèves générales peu suivies et les incantations répétitives des parlementaires communistes, et se mettent à agir de façon directe et fort peu raisonnable. S’attaquant verbalement, voire physiquement, à des ministres en déplacement et même au corrompu président de la république. Créant la peur chez cette noblesse démocratique qui redoute  l’incontrôlable. Les gigantesques manifestations du 15 septembre 2012, qui ont failli se terminer par l’invasion du parlement à Lisbonne aux cris : « Le peuple uni, n’a pas besoin de partis ! ».  Bref, le parti communiste est paralysé, forcé de suivre la colère de la rue, face à une situation qui ne cesse de se dégrader. D’où ce cri du cœur d’Antonio Vilarigues qui tente de tranquilliser ses troupes en nommant un danger, invoquant à ce propos la formule creuse du « radicalisme petit-bourgeois ».

Le texte cité par A.V., du dirigeant stalinien lusitanien Alvaro Cunhal, publié, deux ans après mai 68, à un moment où le parti devait aussi faire face à une contestation et une radicalisation de secteurs de la jeunesse et de la classe ouvrière. Pour la première fois dans son histoire, le parti, encore dans la clandestinité, devait répondre à une critique de gauche de sa tactique de « révolution démocratique » et d’alliance avec la bourgeoisie anti-salazariste. Les circonstances changeaient rapidement, bouleversées par un mécontentement social et une révolte de la jeunesse étudiante contre le colonialisme, nourrie par les idées de mai 68. La guerre coloniale, interminable, meurtrière et impopulaire, menée sur trois fronts africains (Guinée-Bissau, Angola, Mozambique) avait accéléré la crise politique d’un régime fascisant anachronique qui commençait à gêner des secteurs de la bourgeoisie locale et une Europe capitaliste en formation. Alors que le parti communiste continuait de défendre la nécessité pour la jeunesse de faire son service militaire (et donc la guerre) dans l’objectif tactique d’infiltrer l’institution militaire, les désertions et la résistance à la guerre devenaient un phénomène de masse et créaient un courant d’immigration politique vers l’Europe. Vers la France en premier lieu, où les réseaux de l’émigration dite économique constituaient un soutien aux nouveaux arrivants. Au Portugal, l’activismedu courant maoïste et ses propositions d’affrontement frontal avec la bourgeoisie et de la fin immédiate du colonialisme et de la guerre, rencontrait un écho dans les milieux ouvriers agités par des mouvements de grève. Des groupes à gauche du parti menaient des actions de sabotage contre la machine militaire et la jeunesse politisée échappait progressivement au contrôle du parti communiste. Dans ce nouveau contexte sont apparus des groupes et des publications se réclamant du marxisme et en rupture avec la ligne du Parti. La majorité se positionna dans l’aire d’influence du maoïsme, d’autres se revendiquèrent de l’idéologie castro-guévariste - perçue comme moins réformiste et bureaucratique - d’autres enfin s’essayèrent à la critique du marxisme-léninisme. Parmi ces derniers, la revue Cadernos de Circonstância (CC), publiée à Paris, eut une influence importante dans les milieux de l’exil et ensuite chez des secteurs de la jeunesse étudiante au Portugal. Ce qui lui a valut d’être prise pour cible du texte d’Alvaro Cunhal, en tant qu’exemple de la fameuse « radicalité petite-bourgeoise ».
                            

II

J’ai participé à la vie du groupe des CC, de 1968 jusqu’à sa dissolution en 1970. Les quelques informations et réflexions que je livre ici n’engagent que moi et, si parfois je me laisse aller à l’utilisation du « nous », il faut toujours prendre mes propos à la première personne. Je n’écris pas ces notes dans un quelconque souci de mondanité (qui fut qui et qui est devenu quoi…), ce qui serait insignifiant et sans intérêt, ni même animé par un quelconque esprit d’archiviste académique. Mais plutôt dans le but de contribuer à placer le travail de ce groupe dans la perspective de l’histoire des idées radicales des années 1960 et 1970 et d’aider le lecteur d’aujourd’hui à se réapproprier ces textes de façon active, ouverte sur le présent et ses suites.

Les textes des CC reflètent les questions que l’on se posait à cette époque. Certaines des analyses se verront confirmées par la suite, d’autres non. Ceci étant il y a une filiation entre les positions du marxisme anti-autoritaire défendues par les CC et les aspirations des mouvements qui se radicalisent aujourd’hui devant les effets dévastateurs de la crise capitaliste et la déstructuration des sociétés. Tout comme les positions et les analyses d’Alvaro Cunhal en 1970, se retrouvent dans le mode de fonctionnement du parti communiste aujourd’hui, dont les principes politiques n’ont pas varié d’un iota.

Le premier numéro des CC est paru à Paris, en novembre 1967. Il fut édité par un groupe dont faisaient partie, Alfredo Margarido, Aquiles de Oliveira, Fernando C. Medeiros, Joao Rocha, José Porto et Manuel Villaverde Cabral. Alberto Melo et José dos Santos  rejoignirent le groupe par la suite. Fuyant l’étouffement mortifère de la société salazariste, déserteur de l’armée coloniale, je suis arrivé à Paris à l’automne 1967 et  peu de jours après, je découvris la revue dans la librairie La Joie de lire. Contact pris, je fus sur le champ intégré dans la vie du groupe, dans laquelle je me suis investi pleinement et avec passion jusqu’à l’arrêt de l’aventure. Le texte « Para uma analise das Forças Armadas em Portugal » (Pour une analyse des forces armées au Portugal), réflexion de mon expérience de quatre ans dans l’institution militaire, paru dans le numéro 4/5, de novembre 1968.

A peine avais-je rejoint la vie du cercle des CC que le tourbillon du mouvement de mai 68 a bouleversé de fond en comble l’activité et les perspectives de notre travail. L’esprit des CC s’est alors affirmé comme étant dégagé de l’étroitesse provinciale et nationaliste, position qui était, avec le rejet inconditionnel du colonialisme et de sa guerre, partagée par notre petite collectivité. Je crois pouvoir utiliser le « nous » : jamais nous n’avons vécu Mai 68 de l’extérieur, avec le regard d’exilés portugais, mais plutôt comme des exilés pleinement engagés dans un mouvement émancipateur qui dépassait les préoccupations nationales. Nous avions conscience que l’issue du mouvement en cours, sa dynamique internationale, allait nécessairement accélérer la fin du régime inique et barbare portugais. Comme il dévoilait le côté timoré de l’opposition démocratique et anti-fasciste, fonds de commerce des partis de la gauche classique. Ce n’est pas un hasard si le sous titre de la revue, Analise e documentos da vida portuguesa disparut de la couverture de la revue après mai 68. Ainsi, nous ne cherchions pas à investir les diverses institutions portugaises de Paris (comme la Maison du Portugal de la Cité Universitaire, occupée par des camarades étudiants dont certains seront plus tard proches de nos positions). Nous nous sommes plutôt inséré dans le mouvement et ses organisations autonomes, de la Sorbonne aux Comité Etudiants-travailleurs de Censier. De façon individuelle, en toute indépendance et autonomie de choix, certains plus que d’autres, hors d’esprit de groupe ou sectarisme de chapelle. Car s’il y avait bien un collectif des CC, il était difficile d’y voir un groupe au sens traditionnel. Des liens personnels proches s’étaient noués entre certains d’entre nous, resserrés, bien entendu, par notre participation au mouvement de Mai 68.

Avant mai 68, les membres des CC s’intéressaient aux courants dissidents du marxisme, lisaient et discutaient des revues comme Socialisme ou Barbarie, Arguments, ou L’Homme et la Société. Ils étaient également attentifs aux écrits de Guy Debord et de la revue Internationale Situationniste. Quelques exilés du Portugal et des colonies portugaises accompagnaient aussi l’activité de groupes comme Pouvoir Ouvrier, issu de Socialisme ou Barbarie. Le petit milieu était aussi sensible au courant surréaliste qui élargissait le champ de la pensée radicale. Alfredo Margarido en particulier, maintenait des contacts avec le groupe surréaliste portugais. Il y avait, je parle pour moi mais je crois que c’était partagé, une curiosité sans bornes, un sentiment enthousiasmant de découvrir un monde d’idées et d’expériences qui nous avait été occulté et qui nous portait vers l’avenir. Avant mon arrivé à Paris, j’avais lu le Manifeste communiste et l’Etat et la révolution dans de mauvaises traductions brésiliennes. En tout et pour tout ! Je me trouvais plongé dans un univers d’idées et de lectures à rattraper. Il y avait alors à Paris, la librairie La Vieille Taupe, sorte de caverne antédiluvienne remplie de livres poussiéreux, où on pouvait trouver les textes maudits du marxisme et bien d’autres encore. A peine avait-on passé la porte qu’on tombait sur des gens qui exposaient, argumentaient, débattaient, de façon exaltée sur des questions politiques que chacun s’accordait à considérer comme essentielles. Villaverde Cabral était, de nous tous, celui qui le plus facilement approchait ces milieux et il nous faisait partager ce foisonnement d’idées et de débats. Pour ma part, du haut de mes 22 ans et malgré la fierté de mon acte de liberté qui avait changé ma vie et m’avait projeté dans le monde, je me voyais tout petit devant tant de richesse et d’enthousiasme. Je suivais, j’absorbais et je réfléchissais. Soulignons au passage que la grande majorité de ceux qui fréquentaient alors cette librairie n’aura rien à voir avec l’évolution postérieure du propriétaire des lieux et de quelques uns de ses acolytes vers le crétinisme révisionniste et négationniste. Une autre histoire…   


III

Mai 68, le mouvement étudiant et la grève générale, furent un ouragan, un tremblement de terre. Encore plus bouleversant pour ceux comme nous qui vivaient la politique de façon autonome et indépendante, hors des organisations traditionnelles. Très vite, je me suis trouvé, avec Villaverde Cabral et Fernando Medeiros, dans le brouhaha des Comités d’action travailleurs-étudiants qui avaient élu domicile dans les étages du triste bâtiment de la faculté de Censier, devenus véritables ruches subversives. Au hasard des commissions, réunions, rencontres et actions, me voilà engagé comme traducteur en Portugais des tracts du comité d’action du bâtiment. Nous maintenions le contact entre nous, nous nous voyions entre les manifs, les affrontements de rue, les distributions de tracts ou les prises de parole devant telle ou telle usine. Mais on peut dire que, pendant ce mois-là, chaque membre (si le mot a ici un sens) des CC s’est fondu dans l’agitation politique du mouvement,. Et ce ne fut qu’après la retombée du mouvement que nous avons repris le contact de façon plus régulière pour faire paraître, jusqu’en 1970, quatre numéros de la revue.

Tentative insolite que de revenir sur ces mois où la vie s’était radicalement transformée. Au-delà de la richesse des rencontres et des discussions, des désirs de révolution, de la fraternité, des amours et de l’intensité des moments, si je devais condenser l’expérience de Mai 68 dans une idée je dirais que c’est le sentiment unique et exaltant d’avoir vécu un temps différent qui m’a le plus marqué. Un temps intense et lent à la fois, où le présent n’était pas séparé du futur, au cours duquel nous avons, les uns et les autres, croisé, connu, échangé, avec des centaines d’autres êtres tout aussi transformés que nous l’étions nous-mêmes.

C’est tout naturellement que nous avions confirmé notre présence du côté des courants révolutionnaires anti-bolcheviks, laissant définitivement de côté, guevarismes, maoïsmes et même trotskismes (curieusement absents dans les milieux de l’exil portugais que j’ai croisé, même si Trotski y était pris au sérieux). J’ai découvert la révolution allemande de 1918 et les écrits de Rosa Luxemburg, ceux des communistes de conseils, la révolution hongroise de 1956 et les premières fissures dans le bloc soviétique. J’ai vécu pour la première fois la fraternité des copains anars, un anarchisme qui faisait un lien non conflictuel avec le marxisme hétérodoxe que je fréquentais. Le milieu où nous circulions était celui des copains du 22 Mars, de la revue Noir et Rouge, d’Informations et Correspondance ouvrières, du Groupe de Liaison et Action des Travailleurs, de la revue Révolution Internationale. Tous ces contacts et échanges se sont bien évidemment retrouvés ensuite dans le contenu des textes des CC.

Dès les premiers numéros de la revue, les analyses de Fernando Medeiros et de Villaverde Cabral sur la société portugaise s’étaient démarquées de la prose idéologique et rigide des courants du communisme orthodoxe et du maoïsme. Partant de l’étude de l’économie portugaise et de son intégration progressive dans le capitalisme européen,  des « deux tactiques de la bourgeoisie portugaise », la revue avait permis de dépasser les visions moralisantes et manichéennes du fascisme portugais, d’entrevoir ses failles et ses limites. Elle plaçait le microscopique cas portugais dans le mouvement du capitalisme, analysant à partir de là les formes nouvelles des luttes de classe qui émergeaient depuis les années 1960. Après Mai 68, les articles des CC furent encore plus marqués par une vision internationaliste, plaçant la situation portugaise dans une perspective plus large et complexe à la fois. C’est cette fraîcheur et l’originalité du travail du groupe qui, à mon avis, expliquent l’attrait qu’il a exercé et son écho.





Quelques mois après Mai 68, lors de mon infructueuse tentative de poursuivre des études universitaires -vite abandonnée pour des raisons de survie matérielle mais aussi à cause de mon inadaptation à l’encadrement scolaire -, j’avais rencontré Joao Freire, un autre déserteur de la marine portugaise. Nous sommes vite devenus proches et Joao Freire intégra, lui aussi, la revue où il deviendra un nouveau pilier de l’activité du groupe. Avec lui, nous avons conçu le projet d’une collection de textes (Luta de classes), peu connus ou ignorés, du mouvement révolutionnaire. Deux publications  ont vu le jour. Tout d’abord, Marxismo contra ditadura , probablement un des premiers textes de Rosa Luxemburg publiés et diffusés en portugais. Puis, Textos Révolutionarios, choix de tracts, extraits et proclamations de mouvements, allant de la Russie de 1905 à Mai 1968 en France, en passant par la Révolution Hongroise de 1956.

Hipolito dos Santos a aussi rejoint les CC après Mai 68. Sous sa discrétion apparente et sa tranquille réserve, il cachait ses expériences conspiratives (dont celle de la révolte de Beja en 1961), ainsi que ses contacts avec des milieux activistes passés et présents. Il connaissait des survivants du syndicalisme révolutionnaire mais avait aussi ses entrées chez les groupes qui, fatigués du ronronnement des compromis politiques des forces de gauche, avaient  engagé des actions directes contre un régime aux abois (tels la LUAR, Liga de Uniao e Acçao Revolucionaria). Ainsi, ce fut dans le hall de l’hôtel où Joao Freire travaillait comme gardien de nuit, que nous avons fait la connaissance de Reis Sequeira, vieux militant anarcho-syndicaliste du syndicat du liège qui vivait alors à Paris et qui avait accompagné mai 68  avec émotion. Il nous apportait une pièce manquante dans le puzzle de notre parcours, donnait une continuité plus cohérente à notre regard sur la société portugaise.

Enfin, d’autres jeunes exilés, étudiants ou pas, en France mais aussi en Allemagne, en Belgique, en Suède et en Angleterre, avaient découvert la revue et pris contact. De même que des individus isolés, ayant quitté les vieilles organisations et que nous avions rencontré dans la rue, et aux portes des usines, dans les discussions et les débats qui abondaient. Y compris quelques maoïstes dont l’orthodoxie avait été temporairement été ébranlée par Mai 68. Tout un petit milieu existait ainsi en dehors de la zone d’influence du marxisme-léninisme, dans lequel circulaient des nouvelles idées, bouillonnant d’initiatives et d’activités. Sans oublier les liens avec celles et ceux qui nous lisaient, nous écrivaient et nous diffusaient à Lisbonne.

Le nationalisme et un patriotisme folklorique imprégnaient l’activité de la quasi-totalité des courants politiques dans l’exil. Dans les années post mai 68, deux groupes rejetaient avec intransigeance ces positions de repli et de renfermement, les CC et un cercle proche des idées situationnistes, Américo Nunes, Antonio José Forte et Carlos da Fonseca. Les deux cercles entretenaient des liens informels, à la fois proches et conflictuels, qui passaient souvent par des animosités personnelles, des histoires d’ego. Au cours de l’hiver de 1968, une liste fut présentée aux élections pour la direction de l’UEPF (Union des Etudiants Portugais en France) contrôlée jusqu’alors par le parti communiste. Avec pour seul programme, la proposition de dissoudre tout simplement cette ridicule structure bureaucratique. Signe des temps, la liste menée par José dos Santos, a battu celle des maos et celle des communistes. A peine élus, nous avons proclamé  la dissolution de la dite association, dans un remake de ce que les situationnistes avaient fait à Strasbourg avec l’UNEF. A la consternation des groupes et groupuscules spécialisés dans l’activité politique responsable et raisonnable qui voyaient dans cette structure un tremplin pour leurs futures carrières politicardes

Vers 1970, l’arrivée de jeunes prolétaires mus par une révolte de classe intuitive redonna de l’élan à l’activité du groupe des CC. Je pense à l’ami Mauricio Martins, qui nous a quittés brutalement en février 1970, et à José Maria Carvalho Ferreira, dont l’énergie débordante et le refus du compromis entraînait le collectif de la revue.

Porté par les idées de Mai 68, l’élargissement des contacts et l’écho que les idées de la revue suscitaient au Portugal où l’état de crise du régime portugais était de plus en plus manifeste, le groupe des CC a redoublé d’énergie et d’initiatives, dont certaines assez originales. Utilisant les contacts que Joao Freire et moi nous avions gardé dans la marine, nous avons pu ainsi envoyer à Lisbonne, vers 1971, des valises pleines à craquer de propagande politique… transportées à bord d’un sous-marin acheté par le régime salazariste à la France démocratique ! Malgré les moyens limités et l’impact réduit de la diffusion, essentiellement concentrée dans le milieu étudiant, les idées faisaient son chemin et commençaient à inquiéter le parti communiste. Lequel, malgré le soutien de la « patrie du socialisme », n’avait pas accès à des sous-marins.

                                                                             IV

Mai 68 avait  propulsé l’activité de la revue vers une perspective internationaliste qui allait, tout naturellement, faire éclater le cadre qui avait été celui de ses débuts. Les membres les plus actifs du collectif s’engageaient aux côtés de camarades extérieurs aux CC dans des projets sans lien direct, immédiat, avec la situation portugaise. Un exemple parmi d’autres, la réalisation d’une collection de brochures, « Lutte de classe internationale ». La première, Classe ouvrière et capital en Belgique, sur la grève des mineurs du Limbourg, suivie de Etats-Unis : luttes ouvrières en 1970 et Portugal : lutte de classe et guerre coloniale. Les trois publiées en 1970. Inversement, nos analyses de la situation portugaise furent reprises dans d’autres publications. La nécessité d’une publication spécifiquement orientée vers le Portugal n’était  pour autant mise de côté, comme en témoigne la parution, Os proletarios nao têm patria, dont José Carvalho Ferreira publia le premier numéro en février 1974.

Mais, après Mai 68, ce qui a le plus interpellé les membres des CC fut le mouvement social en Italie, ses courants et les groupes les plus radicaux, Potere operaio et Lotta continua. La lecture novatrice que ces groupes faisaient de Marx et de Lénine, leur analyse politique de la question de la violence, semblaient  apporter des éléments nouveaux. Villaverde Cabral et Freire, en particulier, avaient établi des contacts suivis avec certains militants et théoriciens de ce qu’on a appelait « l’autonomie italienne », avec lesquels un débat s’installa. Vers 1970, la revue pouvait même être considérée comme plutôt proche de ce courant. Pour ma part, je m’étais rapproché des groupes français des courants du marxisme anti-autoritaire, du communisme anti-bolchevik, que j’avais découvert en Mai 68. Par des copains d’ICO, j’avais  découvert l’oeuvre de Paul Mattick et d’autres théoriciens communistes de conseils, courant qui me semblait le plus cohérent avec mon parcours passé et le rejet du volontarisme et dirigisme de la politique léniniste.

Lors de l’avènement de la Révolution des oeillets, le groupe de la revue n’existait déjà plus**. Les liens ne se sont jamais rompus avec Fernando Medeiros, Alfredo Margarido, José dos Santos et Alberto Melo, qui avaient pourtant pris de la distance avec l’activisme du noyau dont je faisais partie. Certains de ces liens se sont d’ailleurs réactivés pendant les deux années d’agitation sociale et politique au Portugal. Autour de José Maria Carvalho Ferreira et de ses innombrables contacts au sein du monde ouvrier dans la région de Lisbonne et avec Joao Freire également. Celui-ci, ayant affirmé progressivement son engagement du côté du courant anarchiste, a joué un rôle essentiel dans la réapparition de publications anarchistes après le 25 Avril. Enfin, les choix des uns et des autres, entre ceux, minoritaires, qui décidèrent de rester en France, et ceux qui optèrent pour un retour au Portugal, jouèrent aussi un rôle dans le relâchement des contacts.

Les circonstances avaient donc changé. Et si nous avions participé au changement des circonstances les nouvelles circonstances nous avaient également changés…

Les membres des CC ont évolué en accord avec leurs respectifs choix de vie. Certains ont pris leur distance avec l’activité politique, d’autres furent, au contraire, attirés et avalés par la petitesse de la politique institutionnelle. Qu’ils avaient pourtant durement critiqué auparavant… Certains restèrent fidèles à leurs passions d’émancipation sociale, d’autres se sont orientés vers d’autres activités et d’autres priorités.

Les textes des CC retrouvent, quarante six ans plus tard, de nouveaux lecteurs preuve qu’il reste de cette aventure le travail critique produit par un petit groupe d’individus, qui, à un moment donné, se sont trouvés à la croisée de différents  chemins.

Nous étions le produit d’une société traversant une longue nuit totalitaire et marquée par le système inique du colonialisme et de ses guerres. L’exil nous avait émancipé de la stagnation étouffante. Les membres des CC avaient alors entrepris d’analyser les signes de décomposition et de rupture qui pointaient dans la société portugaise. Loin du Portugal ils ont pu s’affranchir du choix restreint fascisme-antifascisme, qui paralysait l’arme de la critique. Pour se débarrasser de la langue de bois marxiste-léniniste, les CC devaient entamer sa critique et celle des régimes qui s’en réclamaient. A peine le collectif de la revue s’engagea dans ce chemin escarpé qu’il s’est trouvé projeté dans le tourbillon révolutionnaire de mai 68, où la subversion de la vie et du monde était à l’ordre du jour. Et alors toutes ces questions se sont clarifiées.

Notre optimisme suite à cette expérience a sans doute brouillé notre capacité à mesurer combien le système pouvait s’auto-transformer et survivre. Ceci fut confirmé, entre autres, par les lendemains d’Avril 1974 au Portugal, où la victoire de l’aliénation marchande a masqué l’enlisement du pays dans une stagnation d’un autre type, celui de la médiocrité et du cynisme de la démocratie parlementaire, qui nous a amené tout droit au désastre qui se déploie devant nos yeux.

On le voit aujourd’hui, la consolidation du système n’était qu’apparente et cachait sa fragilité et sa nature mortifère. La promesse du bien-être marchand s’est muée en menace d’appauvrissement généralisé. Dans le cadre du capitalisme globalisé, où Fukushima et  Guantanamo sont des visages inattendus du progrès démocratique

                                                       


  Jorge Valadas, Novembre 2012
 

* Dans un livre autobiographique, Joao Freire revient longuement sur sa participation aux activités du collectif de la revue, (Pessoa Comum no seu Tempo, Memorias de um médio-burguês de Lisboa na segunda metade do século XX, Ediçoes Afrontamento, Capitulo 4, « O exilio e o meio operario »). 


Dans la préface du livre O Operariado nas Vésperas da Républica,  Manuel Villaverde Cabral donne quelques éléments sur son parcours politique et l’expérience des Cadernos de Ciorconstância. 
** Entre fin 1967 et mars 1970, paraîtront sept numéros de la revue.                                                                 




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         Les débuts des Cadernos de Circunstância (1965/1966)

C’est au cours de l’hiver 1965/66 que commença à prendre corps, parmi les jeunes portugais exilés de la région parisienne, le projet de faire paraître une revue consacrée à la publication de matériaux d’enquêtes militantes et d’informations sur les luttes sociales et actions de résistance contre la dictature de Salazar et les guerres coloniales. La proposition de départ venait de Emilio Aquiles de Oliveira qui commença à m’en parler, en 1965, quand nous faisions tous les deux partie d’une liste candidate à la direction de l’Union des Etudiants Portugais en France (UEPF), une association qui avait été crée en 1963/64 par des militants portugais à Paris sous les auspices de l’UNEF. La dite candidature était en concurrence avec une liste appuyée par le PCP. Ce point de départ est important car c’est cette bagarre politique et tous les enjeux qu’elle comportait – y compris les enjeux symboliques – qui allaient déclencher une grande effervescence  dans le microcosme des exilés portugais en France et en Belgique et lancer le processus de prise de conscience duquel participait la gestation et la maturation du projet des Cadernos de Circunstância. C’est pourquoi il importe que l’on s’y attarde.

Pour l’épisode de l’UEPF, il s’agissait d’une liste de candidature menée par J. Rodrigues qui, en tant que militant et membre fondateur de la FAP (Frente de Acção Popular »), œuvrait pour l’élargissement des bases et des alliances de cette  nouvelle organisation lancée après la scission « marxiste-léniniste » du PCP (la grande scission incarnée  par deux figures militantes de prestige : Francisco Martins et Pulido Valente). Le binôme PCML –  FAP  s’érigeait ainsi en adversaire idéologique et en alternative de combat face au  « frontisme » anti-fasciste organisé et dominé de longue date  par le PCP, une ligne politique promue par les vielles tactiques staliniennes du temps du puissant Kominterm.  Cette nouvelle mouvance d’obédience pro-maoïste visait,  par la conquête de l’UEPF, à attirer à elle les « réfractaires » à l’incorporation militaire les plus politisés qui, de plus en plus nombreux, choisissaient l’exil plutôt que suivre la consigne du PCP pour intégrer l’armée. La consigne en question visait l’entrisme dans les Forces Armées afin d’y développer les activités militantes clandestines et (se) préparer/promouvoir le « soulèvement national », point d’orgue de la stratégie « frontiste » défendue par le PCP et à laquelle, il faut le dire, s’était rallié pratiquement toute l’opposition au régime depuis le déclenchement de la guerre coloniale, en 1961. Dans cette perspective, la bagarre pour la direction de l’UEPF revêtait une importance stratégique pour la nouvelle « Frente ». Il s’agissait de concurrencer la ligne du PC en contrôlant  / déviant au profit de la FAP le dispositif de recrutement et de formation de cadres du PC qui utilisait l’UEPF comme instrument au moyen de l’allocation des bourses d’étude mises à disposition par / dans les pays socialistes. Ce plan de la FAP comportait aussi un volet « travailleurs » car l’UEPF, une fois conquise, devrait intégrer un plan d’ »action de masses », d’inspiration maoïste néo-populiste,  tourné vers les centaines de milliers d’émigrés portugais qui affluaient de tous les recoins du Portugal en région parisienne. Ce plan prévoyait pour cela,  après le premier objectif atteint, d’entamer l’étape intermédiaire de la conquête des leviers dirigeants  de  l’ »Association des travailleurs originaires du Portugal », l’autre branche de l’organisation du PCP en France lancée dans les années ’50 en liaison avec la PCF et la CGT (F). Comme on peut le constater, la bataille organisationnelle et idéologique liée au conflit sino-soviétique faisait feu de tout bois, parmi les exilés mais aussi et de plus en plus au Portugal ce qui aggravait d’autant plus le conflit entre les deux camps en élargissant du même coup l’espace pour les futurs C. de C. qui, en leur temps, renverront dos à dos les deux parties en dispute.

Face à de tels enjeux la mobilisation pour la conquête de la direction de l’UEPF fut intense, débordant largement du cadre français pour s’étendre pratiquement à toutes les communautés d’exilés portugais en Europe, toutes sensibilités politiques confondues. L’issue du vote, très incertaine jusqu’au dernier moment, pencha de justesse du côté de la liste pro-PCP,  62 voix contre 60 pour notre liste instrumentée par la FAP, mais cela seulement après que José Mario Branco, lui aussi lié à cette nouvelle organisation, ait remporté la présidence de l’« Assemblé Générale » de l’UEPF avec une majorité significative (une dizaine de voix, si ma mémoire est bonne) ce qui était un camouflet cuisant pour le PCP et son candidat.

C’est donc dans ce contexte et dans un paysage politique lusitanien marqué désormais par l’érosion de l’hégémonie que le PCP avait exercée jusqu’alors dans tous les domaines de  l’action anti- dictature salazariste que le projet des C. de C. a commencé à prendre forme. L’entrée en scène de nouveaux acteurs à un moment où le nombre des arrivées en exil de jeunes réfractaires explosait littéralement marque un tournant. Celui-ci signale le passage au premier plan des luttes contre les guerres coloniales alors même que la démystification  du « socialisme réel » s’amplifiait de jour en jour un peu partout en Europe et plus singulièrement en France et en Belgique. D’ailleurs, bon nombre des boursiers placés en « pays socialistes » contribuaient à leur manière à cette démystification par les récits désabusés de leurs tribulations plus ou moins tragi-cocasses en pays  « socialistes ». Plus largement, le grand virage politique  induit par l’intensification des guerres coloniales et l’explosion de l’émigration clandestine portugaise de masse, surtout vers la France, signale la fin des illusions quant aux possibilités objectives de la formation au Portugal d’un mouvement social qui aurait été susceptible de créer une nouvelle donne socio-politique. Celle-là précisément qui serait seule à même de valider la stratégie d’un « soulèvement » / mouvement de masses dans lequel le versant « social » l’emporterait sur le « national » tant prôné et défendu par le « frontisme » du PCP. Avec l’effondrement de ces illusions c’est toute la stratégie du PC  qui se dévoila brutalement.  Tout d’un coup, la nouvelle situation sociale et politique révélait comment le maintien à tout prix de l’ « anti-fascisme » comme unique et exclusive bannière de ralliement dans l’engagement politique contre la dictature salazarienne et les guerres coloniales servait aussi de paravent au PC pour asseoir et maintenir son hégémonie politique et organisationnelle sur la galaxie de l’opposition au régime et son influence de poids dans les mouvements de libération nationale dans les colonies du Portugal.

Osons, en passant, une parenthèse avec un bref  « retour dans le futur » réflexif. Rétrospectivement, on doit admettre que le déroulement de la « révolution » du 25 avril, la décolonisation et la montée du « PREC » de mars à août de 1975  suivent d’assez près le plan stratégique et l’ordre de bataille  poursuivis avec constance par le PCP. A bien y regarder il s’agit d’un plan très proche de celui éprouvé dans l’après-guerre dans les pays de l’Est européen. En tout cas c’est ce à quoi font penser les déroulements des processus de 1974-1975 et le rôle qu’y jouera un MFA que l’on voit de plus en plus embarqué dans / par des mouvements révolutionnaires. Et ces derniers, visiblement, devenaient d’autant plus influents et entreprenants qu’ils s’empressaient de dédouaner, à coups de grandes envolées de fraternité « libératrice », ces militaires pourtant directement débarqués des guerres coloniales sanglantes vieilles de plus de dix ans. Par cet échange implicite de services rendus  les F.A. de l’époque étaient ainsi délivrées des comptes à rendre au présent – et à l’avenir aussi, ne serait-ce que pour l’Histoire -  à des pouvoirs démocratiques véritables, réussissant ainsi leur métamorphose en « armée du peuple » érigée – auto-érigée, par putsch et contre-putsch successifs? - en fer de lance des « libérations nationales » et de la « révolution en marche ». Tout ceci, on le voit, se situant à des années lumière du  mouvement social de conquête des droits politiques et sociaux qui devait être au principe même du « soulèvement » populaire et, bien plus encore, placé en plein cœur du processus de l’invention collective de la vie politique démocratique de l’après dictature et à l’ère postcoloniale. D’où il ressort que le souffle révolutionnaire qui animait  par moments les « masses » s’est vite transformé en un piteux simulacre de révolution. Pas étonnant alors qu’au moment où nous écrivons ceci il ne reste pratiquement rien de tout cela pour ressourcer l’espérance ne laissant, au contraire, que les yeux pour pleurer chez tous ceux, acteurs dupeurs et dupés, qui tous ont été bien cruellement déjoués par la pente prise par les événements qui ont fait l’Histoire.

        Fermée la parenthèse, revenons à ce moment du passé qui  a vu pointer, vers l’été de 1966, les conditions favorables au lancement d’initiatives comme celle des C. de C. Ainsi, de l’idée initiale d’une revue se voulant, pour Aquiles Oliveira et moi-même, clairement engagée à gauche mais suivant un modèle de revue du genre « faits et documents » et en « toute objectivité », on est passé à un projet moins focalisé sur le Portugal et, certes, plus engagé que l’initial mais tout autant combatif et intransigeant à l’égard de la culture stalinienne qui imprégnait les pratiques de l’activisme politique sous influence des PCs de ces temps là. Ce faisant on avançait en épousant le mouvement de la dynamique politique et intellectuelle crée par le desserrement de l’étau mental de la culture de l’ »anti-fascisme » - en même temps que l’exil nous libérait de la charge  psychique de l’enfermement répressif fascisant originel. Au plan de l’idéologie les deux ou trois premiers numéros des Cadernos  recouvrent un arc polychrome qui va de l’inspiration social-démocrate toute nord-européenne - Aquiles et Alberto Melo, par exemple -, jusqu’aux sensibilités plus nettement « tiers-mondistes » comme celle de mon guévarisme de l’époque,  ou celle de la grande proximité,  mais sans aucun abandon d’un sens critique aigu et caustique,  d’Alfredo Margarido vis-à-vis les mouvements de libération africains en lutte. Ces trois pôles se tenaient solidaires par un ciment dont les ingrédients principaux étaient l’anti-autoritarisme viscéral qui nous animait et l’anti-stalinisme qui, nous le voyions bien à ce moment, érodait toute espérance de l’utopie socialiste. C’était là un combat partagé par nous tous mais auquel Manuel Villaverde Cabral se voua d’emblée plus à fond, et ce dès les premières discussions programmatiques. Plus remuant que nous tous c’est M.V. Cabral qui prit le pari risqué de se coltiner la problématique et ardue « question ouvrière », question qui  hypothéquait toute notre perception des luttes sociales à cette époque et qui serait une fois encore remise en selle par le mouvement de mai 1968 en France et plus vigoureusement encore par le  « mai rampant » italien (1968-1969).

        C’est à partir de ce socle que les C. de C. commencèrent à exercer une attraction grandissante dans les milieux des jeunes politisés, se projetant au-delà des milieux étudiants vers les gens qui désertaient de l’Armée, les milieux syndicalistes ouvriers ou pas, etc., avec le concours des nouveaux arrivants.
 

                                                  Fernando Medeiros, Janvier 2013


  
Em português



 Contribuição


Tendo perguntado ao Fernando Medeiros, um dos pioneiros dos Cadernos de Circunstância, se tinha comentários a fazer ao meu texto, ele achou por bem redigir esta pequena nota que se debruça sobre as circunstâncias (mais uma vez…) que viram nascer o projecto da revista. Mais do que um anexo, a sua contribuição vem completar e enriquecer o que escrevi. (J.V.)



Os Primórdios dos Cadernos de Circunstância (1965/1966)



Foi no Inverno de 1965/66 que começou a tomar forma, entre os jovens portugueses exilados da região parisiense, o projecto de lançar uma revista dedicada à publicação de materiais de pesquisas militantes e de informações sobre as lutas sociais e acções de resistência contra a ditadura de Salazar e as guerras coloniais. A proposta inicial veio de Emílio Aquiles de Oliveira, que me começou a falar disso em 1965, quando participámos numa lista candidata à direcção da Union des Etudiants Portugais en France (UEPF), uma associação criada em 1963/64 por militantes portugueses em Paris sob os auspícios da Union Nationale des Etudiants de France (UNEF). A referida candidatura concorria contra uma lista apoiada pelo PCP. Este ponto de partida é importante, pois foi esta contenda política e tudo o que nela estava em jogo – incluindo no plano simbólico – que iria provocar uma grande efervescência no microcosmos dos exilados portugueses em França e na Bélgica e desencadear o processo de tomada de consciência que esteve na origem da gestação e maturação do projecto dos Cadernos de Circunstância. Vale, pois, a pena que nos debrucemos sobre ele.


No que se refere ao episódio da UEPF, tratava-se de uma lista de candidatura encabeçada por J. Rodrigues que, enquanto militante e membro fundador da FAP (Frente de Acção Popular ), procurava alargar as bases e as alianças desta nova organização criada após a cisão « marxista-leninista » do PCP (a grande cisão encarnada por duas figuras militantes de prestígio: Francisco Martins e Pulido Valente). O binómio PCML–FAP  apresentava-se assim como adversário ideológico e alternativa de combate perante o «frontismo» anti-fascista organizado e dominado desde há muito pelo PCP, uma linha política promovida pelas velhas tácticas estalinistas do tempo do poderoso Komintern.  Através da conquista da UEPF, esta nova tendência pro-maoista visava atrair os refractários ao serviço militar mais politizados que, cada vez em maior número, preferiam exilar-se a seguir a orientação do PCP de integrar o exército. A orientação em causa visava o entrismo nas Forças Armadas com o objectivo de aí desenvolver actividades militantes clandestinas e preparar/promover o «levantamento nacional», ponto culminante da estratégia «frontista» defendida pelo PCP e à qual, é preciso que se diga, havia aderido toda a oposição ao regime desde o desencadear da guerra colonial, em 1961. Nesta perspectiva, para a nova «Frente», a luta pela direcção da UEPF revestia-se de uma importância estratégica. Tratava-se de fazer concorrência à linha do PC controlando/desviando, em benefício da FAP, o dispositivo de recrutamento e de formação de quadros do PC que utilizava a UEPF como instrumento por meio da atribuição de bolsas de estudo concedidas pelos países socialistas. Este plano da FAP incluía também a vertente «trabalhadores», pois a UEPF, uma vez conquistada, deveria integrar um plano de «acção de massas», de inspiração maoista neopopulista, virada para as centenas de milhares de imigrados que, vindos de todos os recantos de Portugal, afluíam à região parisiense. Para isso, este plano previa, uma vez atingido o primeiro objectivo, que se passasse 

à etapa intermédia da conquista das alavancas dirigentes da «Association des travailleurs originaires du Portugal», o outro ramo da organização do PCP em França, criado nos anos 50 em ligação com o PCF e a CGT (F). Como se vê, a batalha organizacional e ideológica ligada ao conflito sino-soviético recorria a todos os meios, não só entre os exilados mas também, cada vez mais, em Portugal, o que agravava o antagonismo entre os dois campos, abrindo ao mesmo tempo espaço ao aparecimento de futuros C. de C. que iriam rejeitar ambas as linhas em disputa. 


Perante o que estava em jogo, a mobilização para a conquista da direcção da UEPF foi intensa, superando largamente o quadro francês para se estender praticamente a todas as comunidades de exilados portugueses em França de todas as tendências políticas. O resultado da votação, muito incerto até ao último momento, acabou por ser favorável, por uma diferença mínima, à lista pro-PCP, 62 votos contra 60 para a nossa lista instrumentalizada pela FAP, mas isso só depois de José Mário Branco, que também estava ligado a esta nova organização, ter conquistado a presidência da «Assembleia Geral» da UEPF com uma maioria significativa (por uma dezena de votos, se bem me lembro), o que constituiu uma amarga humilhação para o PCP e o seu candidato. 


É, pois, neste contexto e numa paisagem política lusitana que passara a ser marcada pela erosão da hegemonia do PCP no campo da acção contra a ditadura salazarista que começa a tomar forma o projecto dos C. de C.. A entrada em cena de novos actores, num momento em que se verificava literalmente uma explosão do número de jovens exilados refractários, marca um ponto de viragem. Este assinala a passagem para o primeiro plano das lutas contra as guerras coloniais, justamente no momento em que se assistia a uma crescente desmistificação do «socialismo real » um pouco por toda a Europa e mais particularmente em França e na Bélgica. Aliás, muitos dos bolseiros colocados nos «países socialistas» contribuíam à sua maneira para esta desmistificação através de relatos desiludidos das suas atribulações mais ou menos trágico-cómicas naqueles países. De uma forma mais geral, a grande viragem política induzida pela intensificação das guerras coloniais e pelo aumento maciço da emigração clandestina portuguesa, sobretudo para França, assinala o fim das ilusões quanto às possibilidades objectivas da formação em Portugal de um movimento social susceptível de gerar um novo jogo de forças sócio-político, precisamente o único capaz de validar a estratégia de um «levantamento»/movimento de massas na qual a vertente «social» se imporia à «nacional», tão exaltada e defendida pelo « frontismo» do PCP. Com o desmoronar de todas estas ilusões, ficou bruscamente à vista toda a estratégia do PC. A nova situação social e política tornava agora patente como a manutenção a todo o custo do  «antifascismo» enquanto única e exclusiva bandeira de mobilização política contra a ditadura salazarista e as guerras coloniais servia também de biombo ao PC para firmar e manter a sua hegemonia política e organizacional sobre a galáxia da oposição ao regime e a sua influência de peso sobre os movimentos de libertação nacional nas colónias portuguesas.


Arrisquemos, à guisa de parêntesis, um breve «retorno ao futuro». Retrospectivamente, temos de admitir que o curso da «revolução» do 25 de Abril, a descolonização e a escalada do «PREC» de Março a Agosto de 1975 seguem de muito perto o plano estratégico e a ordem de batalha prosseguidos com constância pelo PCP. Se olharmos bem, trata-se de um plano muito próximo do que foi aprovado no pós-guerra nos países do Leste Europeu. Pelo menos é nisso que fazem pensar os desenvolvimentos dos processos de 1974-1975 e o papel desempenhado por um MFA cada vez mais embarcado nos movimentos revolucionários e a reboque deles. E, por sua vez, estes últimos tornavam-se visivelmente mais influentes e arrojados, ao mesmo tempo que se apressavam a reabilitar, com grandes manifestações de fraternidade «libertadora», esses mesmos militares que acabavam de desembarcar vindos de guerras coloniais sangrentas que já duravam há mais de dez anos. Com esta troca implícita de serviços prestados, as F.A. da época ficavam assim dispensadas de prestar contas no presente – e também no futuro, ou quando muito perante a História – a poderes democráticos genuínos, conseguindo assim metamorfosear-se em «exército do povo» erigido – auto-erigido, por sucessivos golpes e contragolpes? – em ferro de lança das «libertações nacionais» e da «revolução em marcha». Tudo isto, como se vê, situa-se a anos-luz do movimento social de conquista dos direitos políticos e sociais que devia estar na base do «levantamento» popular e, mais do que isso, colocado no cerne do processo de invenção colectiva da vida política democrática do pós-ditadura e na era pós-colonial. De onde resulta que o sopro revolucionário que animou por instantes as «massas» («…animar a malta», cantava J.M. Branco) se transformou rapidamente num simulacro lastimável de revolução. Não surpreende, pois, que, no momento em que escrevemos este texto, não reste praticamente nada para ressuscitar a esperança, e que, pelo contrário, apenas tenham ficado «os olhos para chorar» dos actores mistificadores e mistificados, todos eles cruelmente frustrados com o pendor adquirido pelos acontecimentos que fizeram a História. 


         Fechado o parêntesis, regressemos a esse momento do passado que viu nascer, por alturas do Verão de 1966, as condições favoráveis ao lançamento de iniciativas como os C. de C. Foi assim que, da ideia inicial de uma revista que, para Aquiles Oliveira e para mim, devia estar claramente orientada à esquerda mas seguindo um modelo do género «factos e documentos» e com «toda a objectividade», se evoluiu para um projecto menos focado em Portugal e, sem dúvida, mais empenhado do que o inicial mas igualmente combativo e intransigente para com a cultura estalinista que impregnava as práticas do activismo político sob influência dos PCs desses tempos. Ao fazê-lo, avançávamos em consonância com o movimento da dinâmica política e intelectual criada pelo aliviar do jugo mental da cultura do «antifascismo» – ao mesmo tempo que o exílio nos libertava da carga psíquica do fechamento repressivo fascizante original. No plano da ideologia, os dois ou três primeiros números dos Cadernos abarcam um arco polícromo que vai desde a inspiração social-democrata bem norte-europeia – Aquiles e Alberto Melo, por exemplo –, até sensibilidades mais claramente «terceiro-mundistas», como o meu guevarismo da época, ou à grande proximidade, mas sempre com um sentido crítico agudo e cáustico, de Alfredo Margarido relativamente aos movimentos de libertação africanos em luta. Estes três pólos mantinham-se unidos por um cimento cujos ingredientes principais eram o antiautoritarismo visceral de que estávamos imbuídos e o anti-estalinismo que, como nessa altura já era claro aos nossos olhos, corroía toda a esperança da utopia socialista. Tratava-se de um combate partilhado por todos os elementos do grupo, mas ao qual Manuel Villaverde Cabral se dedicou mais a fundo, logo desde as primeiras discussões programáticas. Mais irrequieto do que os restantes de nós, foi ele que abraçou a tarefa arriscada de enfrentar a problemática espinhosa da «questão operária», questão que hipotecava toda a nossa percepção das lutas sociais nessa época e que seria de novo posta na ordem do dia pelo movimento de Maio de 1968 em França e de uma maneira ainda mais vigorosa no «maio italiano» (1968-1969).


         É a partir desta base que os C. de C. começaram a exercer uma atracção cada vez maior entre os jovens politizados, e, com o concurso de novos exilados, a sua influência estendeu-se para além dos meios estudantis, chegando aos desertores do exército, aos meios sindicalistas operários ou não, etc.




F. Medeiros,  Janeiro de 2013



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