Les «aides» des éléments
les plus «conscients» ou le
« socialisme des intellectuels »
Il est donc nécessaire de rappeler et préciser derechef la signification exacte du « socialisme des intellectuels » : un système idéologique né au XIXe siècle voulant éliminer l'exploitation de l'homme par l'homme, c'est-à-dire le pouvoir des capitalistes propriétaires des moyens de production, pour y substituer la classe ouvrière, porteuse du progrès social, dont l'avènement devait préluder à une société libre de producteurs. Cela au moyen de la conquête du pouvoir politique d'État par le parti regroupant les éléments les plus conscients du prolétariat industriel, son avant-garde. Les intellectuels devaient aider cette dernière à mener cette délicate mission. En fait, cette «aide» n'était pas désintéressée et dissimulait l'ambition propre des «travailleurs intellectuels » à se substituer aux anciens possédants, pour faire perdurer le régime d'exploitation en leur faveur. Telle a été l'analyse de Jan Waclav Makhaïski du socialisme et de ceux que nous avons désignés en tant que « capitalistes du savoir », utilisant leurs compétences pour assumer des fonctions de direction et de gestion, dans la société actuelle, comme un capital dont ils touchent des dividendes toute leur vie et qu'ils peuvent en outre transmettre héréditairement. La société capitaliste se dissocie, par voie de conséquence, entre deux pôles antagonistes du travail : les tâches complexes et intellectuelles sont concentrées dans les cerveaux d'un petit nombre, tandis qu'à l'opposé, elles sont simplifiées à l'extrême, manuelles, dépossédées de toute initiative. Soit d'un côté, le commandement de ceux qui « savent », de l'autre, l'obéissance mécanique des « ignorants ». Il ne s'agit donc pas seulement des intellectuels germanopratins, des « pétitionnaires » professionnels, ayant souvent couvert, emportés par leur élan de « bonnes âmes », les pires crimes au nom du bonheur de l'humanité, mais de tous ceux qui se mettent au service du pouvoir, quel qu'il soit, du moment que « leurs connaissances et capacités particulières » soient reconnues et appréciées. Rappelons la définition qu'en donne Georges Sorel « Les intellectuels ne sont pas, comme on le dit souvent, les hommes qui pensent ce sont les gens qui font profession de penser et qui prélèvent un salaire aristocratique en raison de la noblesse de cette profession 1». En plus d'un revenu substantiel, ils bénéficient d'un statut social d'« intouchables », puisqu'ils œuvrent pour le bien commun, en affichant une nette prédilection pour le sacro-saint « service public ». Il faut bien évidemment distinguer l'activité intellectuelle, dont tout un chacun est capable, de sa pratique séparée, c'est-à-dire de sa professionnalisation dans le cadre économique, social et politique.
Les diplômes et les formations spécifiques remplacent les charges nobiliaires et vénales d'antan. Le capitaliste du savoir, devenu « capitaliste de l'avoir », serait-il synonyme d'être intelligent?
Cela se saurait, hélas, car sorti de son créneau, où il a déjà parfois atteint son « seuil d'incompétence », il bannit toute curiosité et n'a que sa suffisance bardée de certitudes pour comprendre la vie réelle des hommes. Quant à son idéal politique, il aspire au contrôle social généralisé, incarné par l'État, et au mieux par le socialisme d’État, avoué ou non, pourvu qu'il soit le garant de ses mérites et situations acquises. L'analyse makhaïévskienne visait donc dans le mille et dans le tas — de cette nouvelle classe ascendante et dominante des travailleurs intellectuels, qu'ils soient décideurs, gérants, directeurs de ceci ou de cela, voire énarques, « X », etc., — soit les élites dirigeantes — ainsi que l'ensemble de ceux qui se chargent d'appliquer leurs décisions et de faire fonctionner le système.
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En 1978, nous constations un « développement des sciences dites humaines qui forment une profusion de « travailleurs sociaux », dont la vocation est de pallier les défaillances du système : des bataillons de sociologues, psychologues, urbanistes et autres spécialistes du conditionnements ». Nous pouvons désormais corriger cette dernière estimation il ne s'agit plus de « bataillons », ni même de régiments, mais de divisions entières, d'une véritable armée de travailleurs intellectuels, chargés de colmater les brèches du système des « facilitateurs » d'avant l'heure en quelque sorte.
Note 1. G.Sorel, Réflexions sur la violence, Paris, 1908.
Extrait: Avant propos de Alexandre Skirda à Le socialisme des intellectuels - Jan Waclav Makhaïski, Les éditions de PARIS - MAX CHALEIL, 2001.