Dans la préface au livre de Tommaso Di Ciaula, "Tuta blu" (bleu de travail) (1) édité en 1982 chez Actes Sud, le traducteur Jean Guichard indique que Di Ciaula est "un personnage contradictoire qui se dessine donc peu à peu. il dit "nous: les ouvriers", expression d'une conscience de classe très aiguë et d'un sens profond de la solidarité ouvrière, mais, loin de tout ouvriérisme, il dit aussi que les ouvriers sont des cons aliénés par la voiture et le football ; il dit sa nostalgie de la campagne, sa tristesse déchirante de la voir disparaître, mais il ne prêche pas pour autant le retour à la terre. II ne prêche rien, d'ailleurs, il regrette que les ouvriers ne participent pas plus, et de façon moins simiesque, à la lutte politique, mais il explique quelques pages plus loin avec autant de conviction qu'il n'a rien à foutre de cette politique où tout le monde putasse avec n'importe qui pourvu que ça rapporte des voix".
Grace à ce bon vieux marque page qu'on avait oublié ou parce qu'on avait envie de noter quelques lignes on rapporte ici un passage sur les "prolétarisés" contre les "privilèges bourgeois".
Extrait
Spécialistes du mouvement ouvrier, partis de gauche, tonnes de livres sur le mouvement ouvrier qui finalement sont de l'ostrogoth incompréhensible précisément pour les ouvriers. Conférences, débats, tables rondes, etc. Les résultats ? Les résultats sont que les ouvriers sont plus dans la merde qu'avant. La vérité, c'est que tous s'en foutent de la vie réelle que mène l'ouvrier, chacun pense à ses affaires et nous sommes leurs rampes de lancement.
Il est maintenant temps de parler clair, tous doivent parler clair, il y en a assez des langages à double sens, celui qui a un langage difficile, qu'il aille se faire foutre, quel qu'il soit : député, président, docteur, avocat, spécialiste, communiste, socialiste, syndicaliste..., se méfier des langages hermétiques et bourgeois, à mort les bavardages, nous voulons des faits. Nous voulons de vrais ouvriers, ceux qui l'ont dans le cul du matin au soir directement à la production, ceux-là et seulement ceux-là peuvent parler des problèmes de la classe ouvrière, parce que celui qui n'éprouve pas la dureté de la pioche et du marteau ne pourra jamais se rendre compte des problèmes réels des travailleurs, même si on le tue.
Ils ont le droit de parler de leurs problèmes, tous, même les sans licence, les sans diplôme et autres conneries, qu'ils s'expriment tous même avec leurs gros mots, leurs erreurs, leurs horreurs, en dialecte, mais tous doivent faire entendre leur voix, surtout quand on discute de leurs problèmes. Tandis qu'aujourd'hui ce qui se produit, c'est que celui qui veut parler de ses problèmes, s'il n'est pas cultivé il n'écrit pas, il a peur, il a honte, il est intimidé, tandis que celui qui est cultivé et qui écrit bien se sent le droit d'écrire, même au nom des autres.