Quand est brisée
la croûte du conformisme quotidien*
Dans le permanent effort de découverte des problèmes
sociaux, dans le constant bouillonnement d’idées cernant les événements
et cherchant à les pénétrer, il est possible de retrouver des constantes
libertaires, des fils parfois ténus mais rarement rompus, même quand
les appellations changent, même quand leur permanence se trouve masquée
par l’infinie variété des jeux de tendances, par la vivacité des
querelles, par les rivalités internes. Dans le creuset libertaire, les
résidus des décompositions marxistes rejoignent les rebelles
individualistes et les sous-produits des décantations rapides des
multiples écoles révolutionnaires. Leur commun dénominateur est la
recherche d’une démocratie directe, leur méfiance envers les appareils
en place, y compris ceux qui se disent ouvriers ou se proclament
révolutionnaires. De Socialisme ou Barbarie, de la
tradition des « communistes de conseil », de la persistance
anarcho-syndicaliste, l’alimentation en petites publications, en
dévouements, assure une continuité sans faille alors que groupes et
groupuscules proches se mènent une guerre d’influence ou affectent de se
mépriser.
L’erreur serait de voir en ces militants des
créateurs de mouvements populaires quand ils sont des mainteneurs de
conceptions, convaincus que les vérités dont ils sont détenteurs et
qu’ils entretiennent en chambre éclateront tôt ou tard dans les faits,
dans les usines et dans la rue, et point désespérés quand, après une
évidente manifestation de l’événement tel qu’ils l’annonçaient,
reviennent les époques où apparemment rien ne se passe et où la lucidité
ne peut plus espérer mordre sur les phénomènes sociaux.
Les rapports entre militants, groupes de propagande,
organisations anarchistes d’une part - en classant sous ces étiquettes
tout ce qui est effectivement de caractère antiautoritaire - et
l’éclosion de mouvements révolutionnaires d’esprit libertaire d’autre
part, ne sont pas aussi faciles à établir que le croient les partisans
du simplisme de cause à effet. Entre la propagande et l’explosion
sociale on ne rencontre pas seulement des problèmes de dimension -
modestie des moyens d’agitation en regard de l’énormité sociétaire - et
des conjonctures complexes - où entrent d’innombrables facteurs
économiques, de pouvoir, de tradition, de structures organisationnelles -
mais aussi des images, des tabous et des espoirs dont le subconscient
est encombré et qui font surface quand est brisée la croûte du
conformisme quotidien ou que les circonstances autorisent l’action.
* Titre Vosstanie