mercredi 20 mars 2019

Quand est brisée la croûte du conformisme quotidien / Louis Mercier-Vega

Quand est brisée 
la croûte du conformisme quotidien*


Dans le permanent effort de découverte des problèmes sociaux, dans le constant bouillonnement d’idées cernant les événements et cherchant à les pénétrer, il est possible de retrouver des constantes libertaires, des fils parfois ténus mais rarement rompus, même quand les appellations changent, même quand leur permanence se trouve masquée par l’infinie variété des jeux de tendances, par la vivacité des querelles, par les rivalités internes. Dans le creuset libertaire, les résidus des décompositions marxistes rejoignent les rebelles individualistes et les sous-produits des décantations rapides des multiples écoles révolutionnaires. Leur commun dénominateur est la recherche d’une démocratie directe, leur méfiance envers les appareils en place, y compris ceux qui se disent ouvriers ou se proclament révolutionnaires. De Socialisme ou Barbarie, de la tradition des « communistes de conseil », de la persistance anarcho-syndicaliste, l’alimentation en petites publications, en dévouements, assure une continuité sans faille alors que groupes et groupuscules proches se mènent une guerre d’influence ou affectent de se mépriser.

L’erreur serait de voir en ces militants des créateurs de mouvements populaires quand ils sont des mainteneurs de conceptions, convaincus que les vérités dont ils sont détenteurs et qu’ils entretiennent en chambre éclateront tôt ou tard dans les faits, dans les usines et dans la rue, et point désespérés quand, après une évidente manifestation de l’événement tel qu’ils l’annonçaient, reviennent les époques où apparemment rien ne se passe et où la lucidité ne peut plus espérer mordre sur les phénomènes sociaux.

Les rapports entre militants, groupes de propagande, organisations anarchistes d’une part - en classant sous ces étiquettes tout ce qui est effectivement de caractère antiautoritaire - et l’éclosion de mouvements révolutionnaires d’esprit libertaire d’autre part, ne sont pas aussi faciles à établir que le croient les partisans du simplisme de cause à effet. Entre la propagande et l’explosion sociale on ne rencontre pas seulement des problèmes de dimension - modestie des moyens d’agitation en regard de l’énormité sociétaire - et des conjonctures complexes - où entrent d’innombrables facteurs économiques, de pouvoir, de tradition, de structures organisationnelles - mais aussi des images, des tabous et des espoirs dont le subconscient est encombré et qui font surface quand est brisée la croûte du conformisme quotidien ou que les circonstances autorisent l’action.


* Titre Vosstanie

Extrait de L'increvable anarchisme de Louis Mercier-Vega, Union générale d'éditions, 10-18 n°474, 1970, réédité aux Éditions Analis en 1988.