mercredi 12 septembre 2018

Ce que signifie privilégier l'action d’une avant-garde au détriment de l'action de classe - Matériaux pour une émission (18)

Ce que signifie privilégier l'action d’une
avant-garde au détriment 
de l'action de classe



Extrait de Qu'est-ce que l'autonomie ouvrière ? de Lucia Bruno - VOSSTANIE Éditions


La conception de l’avant-garde développée par Kautsky et reprise par Lénine dans son fameux livre Que faire ? Se fonde sur la négation d'une pratique prolétarienne anticapitaliste.
En d'autres termes, le prolétariat n’est perçu que comme un « agent de production » dont la pratique est réduite à la création de profit, ce qui implique la reproduction sans fin du capitalisme comme un tout.

Mais, si la classe ouvrière par elle seule n’est pas capable de lutter contre le capitalisme, elle n’est pas non plus en mesure de penser ce combat. Selon Lénine, la conscience révolutionnaire dépend de la connaissance des lois de l'histoire, de l'économie et de la philosophie ; connaissances auxquelles la classe ouvrière n'a pas accès.

En partant de ce schéma logique, il est légitime de formuler une vision globale critique extérieure à la pratique du prolétariat - la théorie, le socialisme scientifique - fruit de l’effort des intellectuels appartenant à la petite bourgeoisie. On justifie alors la nécessité d'introduire de l’extérieur la théorie du mouvement ouvrier, en attribuant au parti un rôle prépondérant dans ce processus.

Le Parti apparaît comme le gardien de la vérité ouvrière. Celui qui doit la diriger et l’organiser et qui a pour but de faire comprendre au prolétaire sa « mission historique » - la construction du socialisme.

C’est de là que vient la prétention des avant-gardistes à diriger les masses, selon les principes doctrinaux du parti.

Mais aussi de vouloir subordonner la pratique prolétarienne à ce que le parti définit comme étant le bon chemin.

Comme cela est très difficile, ces partis sont toujours minoritaires. Ceux qui ont encore une certaine audience ouvrière fonctionnent plus comme des partis inter-classistes que comme spécifiquement ouvriers. Tel est le cas des partis socialistes et communistes européens, qui ont éliminé de leurs programmes la révolution sociale.

Par ailleurs, dans la mesure où ces organisations exigent une homogénéisation de la pensée parmi ses militants, les constantes auto-critiques et purges caractérisent tous les partis qui se revendiquent du léninisme.

Privilégier l'action d’une avant-garde au détriment de l'action de classe, c’est nier le potentiel révolutionnaire du prolétariat. C’est renforcer l'idée que la société doit nécessairement être divisée entre dirigeants et dirigés. Que la classe ouvrière sans une tutelle ne peut rien faire.
Si l’on considère l'histoire, on constate que ces idées ont toujours été utilisées pour justifier toutes les formes d'exploitation/domination, de l'esclavage jusqu’à l'oppression des femmes.

Quand on met en doute la capacité de la classe ouvrière à s’émanciper par elle-même, on met alors immédiatement en doute sa capacité à gérer l'économie dans la société que l’on prétend construire. Dans cette perspective, le socialisme devient très difficile, voire impossible.

Souvent, on identifie l'autonomie ouvrière avec le spontanéisme, ceci comprit comme ligne politique et non comme action de classe.

Parler de spontanéisme, c’est reconnaître que le prolétariat lutte indépendamment des partis politiques et des avant-gardes. Il lutte parce qu'il est impossible de ne pas se battre. Il sait que s’il ne le fait pas, il peut être rongé par la pauvreté. Nous avons eu la tragédie de Vila Socó à Cubatão pour le confirmer, où des centaines de personnes sont mortes en raison de la précarité des installations d’Oléoducs de Petrobras.

En fait, spontanéisme ou organisation est un débat inutile et déjà dépassé. Il n'y a pas de lutte sans organisation.