lundi 25 septembre 2017

L'objectivation, une forme d'extériorisa­tion qui ne peut être dépassée. Matériaux pour une émission (15)

L'objectivation, une forme d'extériorisa­tion qui ne peut être dépassée.*
Matériaux pour une émission (15)

Extrait de la Postface (1967) à Histoire et conscience de classe : Essais de dialectique marxiste de György Lukács p. 398-402



Nous publions ici un document qui viendra alimenter notre émission sur la Conscience de classe. Si l'étude philosophique de ce texte reste encore en débat,  il nous parait nécessaire de réfléchir profondément et politiquement sur ce que celui-ci implique. Il est donc à la base de notre réflexion actuelle sur l'aliénation, la réification (débat et limite du concept) et la conscience de classe.

À propos de son  ouvrage Histoire et conscience de classe, György Lukács précise:

Il est impossible, dans cet aperçu nécessairement sommaire, d'exercer une critique concrète sur tel ou tel détail du livre, de montrer par exemple quelle interprétation de Hegel était positive et quelle interprétation semait la confusion. Le lecteur d'aujourd'hui, s'il est capable de critique, trouvera sûrement bien des exemples de ces deux types. Mais pour l'influence que ce livre exerça à l'époque, comme pour son éventuelle actualité, un problème, au-delà de toutes les considérations de détail, est d'une importance décisive : c'est celui de l'aliénation, qui est traitée ici, pour la première fois depuis Marx, comme la question centrale de la critique révolutionnaire du capitalisme et dont les racines, tant du point de vue de l'histoire de la théorie que de la méthode, sont ramenées à la dialectique de Hegel. Naturellement, le problème était dans l'air. Quelques années plus tard, en 1927, L’Être et le temps de Heidegger allait en faire le centre des discussions philosophiques et il l'est aujourd'hui encore, essentiellement sous l'influence de Sartre et de ses disciples comme de ses adversaires. On peut se dispenser ici de répondre à la question de philologie, posée notamment par Lucien Goldmann qui voyait dans l'ouvrage de Heidegger une réplique polémique à mon livre, bien qu'il n'y fût pas mentionné. La constatation que le problème était dans l'air suffit parfaitement aujourd'hui, surtout lorsque les fondements ontiques de ce fait sont analysés en détail — ce qui n'est pas possible ici — pour mettre à jour l'influence ultérieure, le mélange de motifs marxistes et existentialistes surtout en France, immédiatement après la deuxième guerre mondiale. Les priorités, les « influences », etc., ne sont d'ailleurs en cela pas très intéressantes. Ce qui reste important, c'est que l'aliénation de l'homme a été reconnue par les penseurs tant bourgeois que prolétariens, tant de droite que de gauche, comme un problème central de l'époque où nous vivons. Histoire et conscience de classe a ainsi eu une action profonde dans les cercles de la jeune intelligentsia ; je connais toute une série de bons communistes qui furent gagnés au mouvement par là. Sans aucun doute, la nouvelle prise en considération de ce problème hégéliano-marxiste de la part d'un communiste a été une des raisons de l'action exercée par ce livre, bien au-delà des frontières du parti.

Le problème lui-même est traité, il est aujourd'hui assez facile de le voir, dans le plus pur esprit hégélien. Avant tout, son fondement philosophique dernier est constitué par le sujet-objet identique se réalisant dans le processus historique. Il est vrai que chez Hegel lui-même le sujet-objet naît d'une manière logico-philosophique, l'esprit absolu atteignant le degré suprême dans la philosophie, avec la reprise de l'aliénation, avec le retour à soi-même de la conscience de soi, réalisant ainsi le sujet-objet iden­tique. Pour Histoire et conscience de classe, au contraire, ce processus doit être social et historique, il culmine dans le fait que le prolétariat réalise ce degré dans sa cons­cience de classe, en devenant sujet-objet identique de l'histoire. Ainsi Hegel semble être effectivement « mis sur ses pieds » ; il apparaît que la construction logico-métaphysique de La Phénoménologie de l'esprit a trouvé une réalisation ontologiquement authentique dans l'être et la conscience du prolétariat, ce qui semble à son tour donner une justification philosophique au tournant histo­rique apporté par le prolétariat : fonder par sa révolution la société sans classes, clore la « préhistoire » de l'huma­nité. Mais le sujet-objet identique est-il en vérité plus qu'une construction purement métaphysique ? Le sujet-objet identique peut-il réellement être produit par une connaissance de soi, aussi adéquate soit-elle, même si celle-ci a pour base une connaissance adéquate du monde social ? autrement dit, peut-il être produit dans une conscience de soi, aussi achevée soit-elle ? Il suffit de poser cette question précise pour y répondre par la négative. Car le contenu de la connaissance peut bien être rapporté au sujet connaissant, l'acte de connaissance n'en conserve pas moins son caractère aliéné. C'est à juste titre que, précisément dans La Phénoménologie de l'esprit, Hegel a refusé l'« intuition intellectuelle » de Schelling, réalisation mystique irrationnelle du sujet-objet identique, et a exigé une solution philosophiquement rationnelle du problème. Son solide sens de la réalité maintenait cette exigence ; sa construction universelle la plus générale culmine certes dans la perspective de sa réalisation, mais il ne montre jamais concrètement à l'intérieur de son système comment cette exigence pourrait parvenir à s'accomplir. Le prolé­tariat comme sujet-objet identique de l'histoire humaine réelle n'est donc pas une réalisation matérialiste qui sur­monte les constructions intellectuelles idéalistes, c'est bien plutôt du super-hégélianisme, c'est une construction qui vise objectivement à dépasser le maître lui-même en s'élevant encore plus au-dessus de toute réalité.

Cette prudence de Hegel a son fondement intellectuel dans le caractère téméraire de sa conception de base. Car chez Hegel, pour la première fois, apparaît le problème de l'aliénation comme question fondamentale de la position de l'homme dans le monde, envers le monde. Mais elle est en même temps chez lui, sous le terme de Entäusserung (extériorisation), la position de toute objectivité. C'est pourquoi l'aliénation, pensée jusqu'au bout, est identique avec le fait de poser l'objectivité. C'est pourquoi il faut que le sujet-objet identique, en supprimant l'aliénation, supprime aussi l'objectivité. Mais, comme l'objet, la chose n'existent chez Hegel que comme extériorisation de la conscience de soi, la reprise de ceux-ci dans le sujet serait la fin de la réalité objective, de toute réalité par conséquent. Or Histoire et conscience de classe suit Hegel dans la mesure où l'aliénation y est identifiée avec l'objec­tivation (pour reprendre la terminologie des Manuscrits économico-philosophiques de Marx). Cette grossière erreur fondamentale a certainement beaucoup contribué au succès d'Histoire et conscience de classe. Démasquer en pensée l'aliénation était dans l'air à l'époque, nous l'avons dit ; cela devint bientôt la question centrale pour la cri­tique de la civilisation qui étudiait la situation de l'homme dans le capitalisme d'aujourd'hui. Pour la critique philo­sophique bourgeoise — que l'on pense seulement à Heidegger —, il était très tentant de sublimer la critique sociale en une critique purement philosophique, de faire de l'aliénation, sociale par essence, une aliénation éter­nelle liée à la « condition humaine (1) », pour employer un terme né ultérieurement. Il est clair que le mode d'exposition d'Histoire et conscience de classe répondait tout à fait à une telle attitude, quoique le livre eût des intentions autres, et même opposées. L'aliénation identi­fiée avec l'objectivation était certes conçue comme une catégorie sociale — le socialisme devait supprimer l'aliénation — mais son existence insurmontable dans les sociétés de classes et surtout sa justification philosophique la rapprochaient de la « condition humaine ».

Cela résulte directement de la fausse identification, soulignée à maintes reprises, entre les concepts fonda­mentaux opposés. Car l'objectivation est effectivement, dans la vie sociale des hommes, une forme d'extériorisa­tion qui ne peut être dépassée. Si l'on se rend compte que, dans la praxis, surtout dans le travail même, il y a sans cesse objectivation, que toute forme d'expression humaine, par exemple le langage, objective les pensées et les senti­ments humains, etc., il devient évident que nous avons affaire ici à une forme humaine générale du commerce des hommes entre eux. En tant que telle, l'objectivation n'est évidemment ni bonne ni mauvaise : ce qui est juste est tout autant objectivation que ce qui est faux, la libération tout autant que l'asservissement. Le rapport objectivement social d'aliénation et toutes les marques subjectives de l'aliénation intérieure qui en sont la conséquence nécessaire ne surgissent que lorsque les formes objecti­vées assument dans la société des fonctions qui mettent l'essence de l'homme en opposition avec son être, qui oppriment, déforment, défigurent, etc., l'essence de l'homme par l'être social. Or cette dualité n'a pas été vue dans Histoire et conscience de classe. D'où ce qu'il y a de faux et de bancal dans sa conception fondamentale de la philosophie de l'histoire. (On notera en passant que le phénomène de la réification, étroitement apparenté à l'aliénation, sans lui être identique ni socialement ni conceptuellement, a été également employé comme son synonyme.)

Cette critique des concepts de base ne saurait être complète. Mais même si on se limite strictement aux questions centrales, il faut parler brièvement du refus de la connaissance-reflet. Ce refus avait deux sources. La première était une aversion profonde pour le fatalisme mécaniste qui recourait d'habitude à cette théorie dans le matérialisme mécanique et contre lequel mon utopisme messia­nique d'alors, la prédominance de la praxis dans ma pensée, protestaient passionnément — et là aussi ce n'était pas entièrement injustifié. Le second motif provenait encore de ce que la praxis était reconnue avoir son origine et s'ancrer dans le travail. Le travail le plus primitif, le ramassage de pierres par l'homme préhistorique, pré­suppose que la réalité immédiatement concernée est correctement reflétée. Car une visée téléologique ne peut s'accomplir avec succès sans une reproduction de la réalité pratiquement visée, aussi primitivement immédiate que soit cette reproduction. La praxis ne peut être accomplissement et critère de la théorie que parce qu'elle prend pour fondement ontologique, présupposition réelle de toute visée téléologique réelle, une reproduction tenue pour correcte de la réalité. Il ne vaut pas la peine d'entrer ici dans les détails de la polémique surgie à ce sujet, ni de revenir sur la justification d'un refus du caractère photographique du reflet dans les théories courantes.

Il n'y a, je crois, pas de contradiction à ne parler que des aspects négatifs d'Histoire et conscience de classe et à penser quand même que l'ouvrage a eu à son époque et à sa façon une certaine importance. Déjà le fait que les erreurs énumérées ici sont dues moins aux particu­larités de l'auteur qu'aux grandes tendances souvent objectivement fausses de la période, confère au livre un certain caractère représentatif. Une grande période de transition, à l'échelle de l'histoire universelle, cherchait alors son expression théorique. Quand une théorie exprimait, non certes l'essence objective de cette grande crise, mais simplement une prise de position typique face aux problèmes fondamentaux soulevés par elle, elle pouvait acquérir historiquement une certaine importance. Et je crois aujourd'hui que c'était le cas pour Histoire et cons­cience de classe.

* Le titre est de notre initiative.

(1) En français dans le texte (N. d. T.).

Extrait de la Postface (1967) à Histoire et conscience de classe : Essais de dialectique marxiste de György Lukács p. 398-402.

Guerre de classe (Version Youtube)



Voir aussi
Émission du 13 avril 2013


Version web-radiophonique de

  Guerre de classe 

 Travail • Communauté • Politique • Guerre

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  Connaissez-vous Josef Dietzgen ? (Son du 2/01/16)

Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ? (Son  du 1/08/17)

 

vendredi 22 septembre 2017

Autogestion ouvrière et marché capitaliste (6)

Autogestion ouvrière et marché capitaliste
Extrait de : Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ? (1985) 
Traduction modifiée 2017.

Quand les travailleurs d'une entreprise commencent à gérer la production, un des premiers obstacles auxquels ils sont confrontés touche à l’approvisionnement en matières premières. La question s’aggrave quand les matériaux sont importés. L'expérience a montré qu’ils subissent immédiatement le boycott des capitalistes, qui ne leur fournissent pas les matériaux nécessaires.

En plus de cela il existe le problème du manque d'argent pour les acquérir. Quand cela arrive, les travailleurs sont forcés de faire appel à l'État pour tenter d’obtenir des fonds. C’est la première étape vers la perte d’autonomie conquise par l'action d'occupation de l'entreprise.

En se servant de cette nécessité de l’argent, le gouvernement ou les propriétaires du capital, vont chercher à encadrer et contrôler les ouvriers en leur imposant des restrictions, des buts et des objectifs.

Un autre problème non moins difficile à résoudre est celui de la distribution des produits de ces entreprises autogérées. De très nombreuses fois elles n’arrivent pas être aussi compétitives que les entreprises capitalistes du marché.

S’il existe une situation révolutionnaire généralisée dans le pays, il est possible d'établir un système d'échange direct entre les usines en autogestion et entre l'industrie et l'agriculture.

Mais si les luttes sont isolées, cela n’est possible qu’au moyen du marché capitaliste. La pression qu'il exerce force l’usine à revêtir des formes capitalistes de gestion, pour restaurer la rentabilité et la compétitivité nécessaires.

A ce moment-là s’imposent les critères capitalistes fondés sur les indices de productivité et d’efficacité.

Le retour de ces critères aboutit par engendrer l'apathie entre les travailleurs, et donc la bureaucratisation des comités d'usine est inévitable. Quand les comités d’usine bureaucratisés ne disparaissent pas, ils deviennent les nouveaux managers du capital. C’est ce qui est arrivé au Portugal par exemple, avec diverses entreprises industrielles et agricoles qui se mirent en autogestion après la chute du régime salazariste en 1974.

En août 1975, on estimait à 308 environ le nombre d’entreprises en autogestion dans le secteur urbain. Dans le sud, région des latifundiaires, de vastes espaces ont été occupés et collectivisés par des salariés agricoles, donnant naissance aux Unités Collectives de Production (UCP).

Dans tous les cas ce fut une solution trouvée par les travailleurs pour éviter le chômage. A cette époque de nombreuses entreprises fermaient parce que déficitaires, ou parce que le patron s’enfuyait à l’étranger avec l’argent par peur du “communisme”.

Ces pratiques autogestionnaires auraient été une grande menace pour le capitalisme portugais si elles ne s’étaient pas limitées à des secteurs relativement périphériques de l'économie. Elles se sont produites principalement dans l'industrie textile, graphique, l'hôtellerie et le tourisme. Les initiatives qui ont émergé dans l’agriculture sont restées isolées du reste du pays et n'ont pas eu d'autre choix que de faire appel à l'État.

La liaison entre les différents secteurs de l’économie était fondamentale pour créer une réelle autonomie de ces entreprises dépendantes du capitalisme portugais, cela aurait permis l’expansion vers d’autres niveaux de la société et bien plus, par-delà les frontières portugaises.

Cependant, comme le capitalisme portugais se réorganisait avec le reflux du mouvement révolutionnaire, la situation de ces entreprises était devenue de plus en plus difficile. La dépendance qu’elles avaient vis-à-vis des institutions capitalistes correspondait à la fragilité du mouvement qui s’était généralisé mais pas unifié, au point de créer un réseau de relations sociales fondé sur des critères de lutte prolétariens qui pouvaient être imposés pour la réorganisation globale de la société dans une perspective socialiste.

L'expérience portugaise, parce que contemporaine, est d'une grande importance. Elle nous permet de voir que l'un des plus grands obstacles du processus révolutionnaire est aujourd'hui le marché capitaliste.

Lorsque les luttes restent isolées, les expériences autogestionnaires finissent par être encerclées de tous les côtés ; par le marché de capitaux, le crédit, de produits finis et aussi par le marché des moyens de production (machines, semences, engrais, etc.).

L’internationalisme des luttes se pose dans ce contexte comme un impératif pratique et non comme un slogan que l’on lance au moment des grandes dates commémoratives. L'internationalisation de la révolution n’est pas une nécessité à long terme, mais une question de survie immédiate.

L’autogestion comme expression de l’autonomie de la classe ouvrière face au capitalisme ne peut être vue comme une particularité de telle ou telle usine. Elle ne peut être réduite non plus à une solution provisoire pour des temps de crise.

Autogérer ne signifie pas seulement gérer d’une manière différente un capital productif afin que son produit soit distribué de manière plus équitable entre les travailleurs.

Les pratiques autogestionnaires doivent profondément modifier les relations de travail et détruire la logique de valorisation du capital.

Ce n’est pas un but à atteindre dans la société capitaliste. L'autogestion est un moyen de lutte à travers lequel les travailleurs prennent conscience qu'ils sont capables de gérer la production, de créer de nouvelles formes d'organisation du travail, et de mettre la démocratie ouvrière en pratique.

Il est nécessaire de distinguer le mouvement des travailleurs des commissions qui en surgissent mais qui se bureaucratisent à chaque fois que le cours de la lutte n’est pas ascendant. C’est la vivacité du mouvement autonome conjugué à la désagrégation des centres de pouvoir - deux aspects d’un même phénomène qui peuvent permettre la survie des pratiques autogestionnaires.


L'Autonomie ouvrière: Une pratique de classe
La lutte Autonome
Les institutions Autonomes
La dynamique du processus
Luttes revendicatives et révolution
La transformation des relations sociales dans la lutte en de nouvelles relations sociales de production.
Autogestion ouvrière et marché capitaliste.
La légalisation de la lutte
Autogestion et technologie.
Autonomie ouvrière et partis politiques
Autonomie ouvrière et syndicats
Autonomie et socialisme


Vosstanie propose une traduction d'un ouvrage de Lúcia Barreto Bruno édité en 1985 au Brésil. Elle sera le support d'une émission de la Web Radio Vosstanie et d'un débat sur la question posée. Il va de soi que nous ne sommes pas en accord avec certains propos, approches du livre (ambiguës sur la question de la "gestion" et "d'auto-gestion" ou de qui a à "gérer") qui a donc 30 ans. Ils posent néanmoins en creux de nombreuses questions, critiques (à faire), de manière très stimulante, dans un débat complexe. Il s'agit donc d'un écrit qui nous permettra de dégager pas mal de perspectives.


O que é Autonomia Operária - Lúcia Bruno. Editora Brasiliense - 1986 . 91p.

VOIR AUSSI LA VERSION AUDIO DE:
 Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ? 
 (Le son de Radio Vosstanie du 1/08/17)
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Voir aussi notre émission
et la publication de la brochure.

vendredi 8 septembre 2017

Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ? (Le son de Radio Vosstanie du 1/08/17)

Son de Radio Vosstanie !

du 1 août 2017

Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ?
(O que é Autonomia Operária)

 TELECHARGER
93 minutes


Nous proposons un son (version audio de la brochure) avant la publication au format pdf/papier*. Suivra également mais plus tard une émission dont l'objet sera un commentaire critique du texte de Lúcia Bruno. Lucia Bruno interviendra / participera à cette émission ou l'on discutera de sa préface inédite, 30 ans après la première publication de l'ouvrage.

Si sur certains aspects le propos doit être critiqué car il semble même dépassé, il reste riche en débats et questionnements. Il repose quelques fondamentaux concernant l'utilisation abusive du mot Autonomie tout en restant accessible.


* Traduction (Vosstanie) du portugais du brésil de : O que é Autonomia Operária - Lúcia Bruno. Editora Brasiliense - 1986 . 91p. Titre que l'on pouvait traduire littéralement par: Ce qu'est l'autonomie ouvrière.


Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ?
-
L'Autonomie ouvrière: Une pratique de classe
La lutte Autonome
Les institutions Autonomes
La dynamique du processus
Luttes revendicatives et révolution
La transformation des relations sociales dans la lutte en de nouvelles relations sociales de production.
Autogestion ouvrière et marché capitaliste.
La légalisation de la lutte
Autogestion et technologie.
Autonomie ouvrière et partis politiques
Autonomie ouvrière et syndicats
Autonomie et socialisme



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93 minutes

- NOTE -

Pelegas : Vient de “Pelego” : Le terme a été popularisé dans les années 1930 au Brésil . Dirigeant syndical - corporatiste proche du gouvernement Getúlio Vargas - est passé dans le langage courant comme traître et allié du gouvernement et des patrons .



VOIR
 L'introduction et la première partie.
 Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ?


Transcription de l'introduction au son.

Un son comme on a l'habitude de la faire depuis quelques temps qui donne la possibilité d'accéder à un texte d'une manière différente.

Celui-ci à pour titre : Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ? il est tiré d'un ouvrage traduit du portugais du brésil par nos soins, et a été rédigé au début des années 80 par Lúcia Bruno.

Littéralement on pouvait le traduire par: Ce qu'est l'autonomie ouvrière, mais on a préféré ce titre qui relève de notre seul choix....comme en forme de Que sais-je ? en quelque sorte.

Alors pourquoi ce texte ? Malgré ce qui nous semble être certaines limites, ou même des problématiques peut-être obsolètes, et dont on discutera d'ailleurs dans une prochaine émission avec l'auteur elle-même.

On fera cette émission d'ici quelques semaines, ou on rentrera à ce moment là dans le coeur du texte pour souligner surtout et aussi ce qui fait sa force.

Car ce texte est riche, dense même, et simple d’accès, il ouvre de multiples d’interrogations, de possibles débats. C'est ce qui a motivé notre traduction, et ce son.

On publiera le texte d'une manière ou d'une autre, avec une introduction de Lúcia Bruno et probablement aussi avec notre propre critique qui sera mise en relation avec la situation du capitalisme dans notre réalité actuelle.

On a aussi voulu édité ce texte, et faire ce son parce que l'on entend beaucoup le mot Autonomie....

On décortiquera aussi ce terme dans la prochaine émission.
Car il est devenu un mot valise dont on ne sait plus trop de quoi au juste il s'agit d’être Autonome ?

On peut certainement l'entendre comme l'inverse d'hétéronomie bien sûr, L'hétéronomie étant le fait de vivre selon des règles qui lui nous sont imposées, selon une "loi" subie.

Mais est-ce que cela est suffisant....?

Ce qui est certain dans ce son, c'est que s'exprime Notre conception de l'Autonomie...qui au delà d'être ouvrière est Prolétaire. Mais surtout dont la finalité la perspective est le communisme.

Et n'a rien à voir avec:

L'Autonomie désirante et flottante...

L'Autonomie intellectualiste et léniniste ou L'Opéraïsme stalino-armé et manipulé.

Ce que Miguel Amoros en (2005) dans son texte Que fut l'autonomie ouvrière ? a qualifié de conception "retardataire et spectaculaire liée à la décomposition du bolchevisme"

Bien sûr il en va de même de:

L'Autonomie fourre tout "des luttes"...et de sa fameuse convergence des moi-je et des débats merdiques de ce que l'on a appelé les thématiques de l'extrême gauche de la saloperie et qui permet d'ailleurs mêmes aux freaks nationaux socialistes et à l'Indigente Nouvelle Droite de s'en réclamer, tant ce mot n'est jamais développé conceptuellement mais surtout pratiquement.

On a envie de conclure en laissant la parole à Benjamin Peret au travers de certains de ces mots extraits de : Toute une vie (1950).  


Il serait inutile de parler de la vérité si l’on ne lui avait
tant craché au visage
que son regard en étoile polaire obstinée à marquer le la
s’est aujourd’hui effacé comme une ville rasée par les
barbares que déjà la brousse envahit
Ils l’ont même livrée à tous les appétits de la troupe
Je nomme ici la tourbe de la steppe comme la pègre en
costume de gratte-ciel et le fouille-merde à cervelle d’eau
bénite
le chevalier des menottes
le rampant à moustaches d’épaulettes
la valise bourrée de clefs qui ne vont sur aucune serrure
et son chien l’aveugle hypnotisé par un bocal à cornichons
Tu as toujours cherché à dégager ses traits en arc-en-ciel sur
les champs de boutons d’or
des ecchymoses qui transformaient un nez en groin à hostie
la plage des lèvres découvrant le lamé des dents en corps de
garde infesté de râteliers d’armes
et écrasaient d’une bouffissure canaille le regard d’horizon
en jardin après la pluie de printemps
C’est cela André qui nous rassemble en grains d’un même épi
que ne courbe aucun équinoxe à rage de rat prisonnier dans
son égout
et ne brûle nul solstice en lance-flammes dévorant un paysage
à ramage d’oiseaux libres
répercuté par les mille échos des eaux en yeux de fée
puisque la vérité sauvage au regard d’évidence qui fait
tressaillir les ventres à gousset
ne chante que les hymnes en rafales chassant les monastères
de nuages contre les montagnes qui les éventrent
les chants en poings dressés des éternels rebelles avides de
vent toujours neuf
pour qui la liberté vit en avalanche ravageant les nids de
vipères de la terre et du ciel
ceux qui crient de tous leurs poumons ensevelissant les
Pompéi

La société communiste se passera-t-elle d'ascenseurs et de motocyclettes ?

La société communiste se passera-t-elle d'ascenseurs et de motocyclettes ?

A PROPOS DE A FABRICA DE NADA de PEDRO PINHO
(L’USINE DE RIEN) - 2017




Faire part de quelques impressions sur un objet cinématographique de 177 minutes n’est pas une tâche aisée. S’il s’agit de le faire, c’est que d’une certaine manière nous ne sommes pas restés insensibles. Même si les commentaires ne sont pas forcément que positifs. Pour autant l’objet touche son objectif à savoir interroger, se questionner jusqu’au point de se faire critique de la critique du point de vue ou des idées exprimées.

D’une certaine manière une forme de comparaison s’impose presque avec un autre film, celui de Miguel Gomes (2015) - Les Mille et Une Nuits (As Mil e Uma Noites) sur fond de cette fameuse “crise”, de poésie, de bouffonnerie nihiliste et dépressive, d’interviews d’anonymes face caméra, ou les déroulements de vies nous indiquent que derrière cette inexorable désagrégation se trouve des individus brisés par le capitalisme.

La similitude, de certains procédés entre les deux films (On pense au 1er film de la trilogie de M.Gomes L'Inquiet ( O Inquieto ) questionne donc bien au-delà de l’esthétique. Car une forme du réel s’invite donc dans la fiction. Alors que la tonalité du moment serait plutôt à ce que la fiction s’invite dans un pseudo réel.

Le film, vendu par son distributeur pendant cette première diffusion aux Forum des Images à Paris le 10 juin 2017, comme une sorte de produit quasi total ou s'entrecroiserait comédie musicale (pour les fans de La La Land ?) documentaire, film d’auteur, voir politique ou “engagé” nous a laissé perplexe pour différentes raisons qui sont principalement politiques, de par son parti-pris esthétique.

La question s’était déjà posée d’une certainement manière pour le film de M. Gomes dont le discours politique ne décollait pas de l’arrière-train social-démocrate - type Bloco de Esquerda, et lui permettait de broder une métaphore aussi grosse que viriliste sur l'absence de “couilles” des politiques pour réguler le folklore local et l’économie.

Nous ne cachons pas d’être allés voir le film de Pedro Pinho pour une raison qui a la fois relevait de notre intérêt sur la situation du Portugal contemporain mais aussi parce que la bande annonce déclarait de manière assez ouverte que ce film se plaçait sous le signe d’une démarche plutôt en rupture avec celle de M.GOMES plus particulièrement sous l’angle de la critique de la valeur. (Voir la bande annonce)

Mais son argument principal est à notre avis possiblement devenu son point de faiblesse voir même un sorte de cache misère, un mauvais alibi intello d’un cinéma d’auteur épuisé.

Qui lui permet d’ailleurs de ne pas interroger la “politique” c’est à dire les politiciens comme l’escroquerie / racket du Bloco par exemple, ou même l’intervention consciente de classe.

Notre première impression en sortant de la salle aura été de se demander ce qu’il s’était passé depuis Ossos de Pedro Costa, sorti en (1997) ? ou de Os Mutantes (1998) de Teresa Villaverde voire même depuis la mort de João César Monteiro.

Que peut bien nous apprendre ce type de production qui se présente comme collective ? Est-ce le signe de la décomposition ou de transformation d’un pays ?

A notre avis ce que nous avons pu noter est surtout marqué par une forme d'extériorité qui frise d’ailleurs, pendant une certaine scène qui se veut “conviviale” le tragi-comique. (Voir plus loin)

Pour ce qui est des thématiques ou pourra dire que tout est effleuré mais que l’on reste trop longuement (à notre goût)  au niveau de l’écume. Du “plan social” à la critique du travail et de son sens, d’Avril 74 et de ses illusions, de l’anomie sociale jusqu’au nihilisme consubstantiel au capitalisme.

On s’interroge quelque peu sur cette désindustrialisation filmée explicitement et comme ligne de force du film qui ne date pas vraiment de ces dernières années. En effet la crise du textile et de la chaussure a des racines bien plus anciennes par exemple. Mais finalement ce propos même s’il a peu d’importance n’a presque plus d'intérêt puisqu’il vient alimenter la problématique de fond, celle de la “crise” du travail, de la valorisation, et de l'obsolescence de l’homme comme “capital variable”.

Le temps du A cantiga é uma arma (1) est fort loin on le constatera et on ne s’en désespère pas. Pas pour la pugnacité et la rage des chansons. Mais pour l’état d’esprit que cela accompagnait, c’est à dire un certain dogmatisme aboyeur, matrice des autoritarismes, et qui ne se revendiquait pas forcément des théories de l’Avant-garde en politique.

C’est pourquoi on accordera facilement à ce film une forme de tonalité apaisée qui ne consiste pas à asséner mais à mettre en regard des problématiques avec une certaine honnêteté même si l’on entend bien le parti pris, évidement, qui est celui de la critique de la valeur. Cette dernière étant écartelée entre un radical-mécanisme théorique mâtinée de psychanalysme et par cette vieille critique moralisante du consumérisme modernisée sous la religion de la décroissance. Qui n’a pu déboucher ces dernières années que sur une forme de militance pédago-alternativiste "critique", aux velléités crypto-intersectionnelles.

De La scène à la Cène

C’est autour de ce vieux débat sur l’autogestion qu’a lieu une scène d’un vrai ? repas qui suscite chez nous donc un vrai problème d’ordre esthétique et qui n’est rien de moins qu’éminemment politique.

En effet au milieu du film (?) a donc lieu un repas, policé entre individus manifestement “éduqués” pouvant discuter sans cris, un verre de vin à la main et sans ce regard vide que l’on connait tous après une journée de labeur. Ils échangent tranquillement des propos sur ce que peut et doit faire la classe ouvrière. L’autogestion...ou pas ? Limites et possibilités. Ceci sans ce fameux problème de la barrière de la de langue que tous comprennent par on ne sait quelle “magie”.... L’internationalisme de salon à ses secrets…la réalisation aussi.

On y aperçoit le pape du rien-de-nouveau-sous-le-soleil-critique-de-la-valeur, filmé en gros plan de profil (pour éviter le côté énième conférence probablement) avec d’autres, dont un pseudo inconnu argentin ? de son état et protagoniste du film, et dont le rôle étrange, si extérieur pourrait donner lieu à de nombreux commentaires. Se joint à cette table d’autres inconnus dont une qui l’est moins peut-être pour des familiers du pays et qui n’est autre qu’Isabel do Carmo ancienne dirigeante du PRP ( Partido Revolucionário do Proletariado ) formation d’inspiration guevariste, active un peu avant pendant et après la dite “révolution des œillets”. Senhora Doutora, Isabel Do Carmo reconvertie depuis 20 ans dans la publication de très nombreux d’ouvrages à destination des personnes en surcharge pondérale.

C’est autour de ces personnages “extérieurs” de par leurs statuts finalement si étrangers à celui de la condition ouvrière, qu’a lieu une discussion où une forme de débat aussi dérangeant qu’aliéné, sur les limites et possibilités de l’autogestion. Celui-ci a d’ailleurs toujours été longuement discuté dans le mouvement révolutionnaire même s’il fut minoritaire. Mais cette séquence vient à notre avis souligner le fossé entre la théorie et la pratique. D’un côté les “théoriciens”, pour certains ayant fricoté problématiquement avec l’avant-gardisme, des pédagogues de la radicalité critique, séminarisant professionnellement ou pas, ici et là et même Debout, de l’autre les prolétaires dont la mise en lumière oscille entre accablement et misérabilisme, bouffonnades et interrogations.

Un monde si “extérieur” ou l’on frise très clairement le moralisme (dans cette scène) et le sous-baudrillard(isme), ou les ouvriers sont encore accusés de ne vouloir que “consommer” ! on se demande toujours avec quel non-salaire… Voilà les prolétaires sans idées, pratiques, combats propres, dont les perspectives finalement ne seraient que “pragmatiques”, le prolétaire ne penserait qu’avec son bide.

A la suite est égrené le chapelet de thématiques propre au courant de la valeur, débat sur le capital fictif, crise du travail, collapsus du capitalisme, ou la vieille thèse catastrophiste de l’effondrement, c’est à dire toute la panoplie plutôt anxiogène, avec une lucide et juste critique de l’autogestion certes, mais pour finalement nous inviter à la gestion des “jardins communs” (sic) ! Autant dire ici que la proposition peut paraitre presque survivaliste.

Toujours est -il que le projet n’en reste pas moins interclassiste et romantique et il permet d’évacuer bien des débats. Surtout celui de l’affrontement de classe. Notamment grâce à quelques pirouettes mécanistes ou l'immanence du capital donne la possibilité d’évacuer les individus (et individualités) et les groupes qui n’existent plus vraiment ! et bien sûr cela est dit très doctement et tranquillement et quasi explicitement d’un point de vue qui est celui d’une certaine hauteur sans mépris mais avec tellement de distance...

On attendra donc tous les convaincus par la démonstration, dans l’arrière-pays de la région du Minho ou sont disponibles les forêts et les terres en friches, mais aussi de vieilles maisons de paysans à retaper. A moins que le feu ne s'en occupe...

Le pragmatisme pro-autogestion s’il n’est bien sûr absolument pas satisfaisant pose malgré lui quelques questions à notre avis fondamentales. Pour le cas du film, ou il s’agit d'auto-gérer une usine de fabrication d'ascenseurs, il va de soi que la concurrence, le marché se chargera toujours de régler le débat en dernière instance, aussi utopique et même pratique-réaliste soit la démarche. En revanche elle pose une vraie question et fort sérieuse à notre avis : la société communiste, libertaire - se passera-t-elle d'ascenseurs ? Question qui n'est point travaillée dans le film et les débats. Cette usine ne fabrique-t-elle vraiment rien d’utile ? est-elle vraiment “l’usine de rien” ? L’ascenseur est-il bourgeois ou capitaliste ?

Si le débat sur l’autogestion reste encore accessible on se demande quand même ce que le spectateur moyen peut bien comprendre sur celui de la critique de la valeur, ou il faut le dire, A.Jappe reste inaudible voir même incompréhensible. Les thèses en voix off qui parsèment le film n’ajoutent qu’une forme d’intellectualité plutôt factice comme un mauvais collage, dont le film pouvait clairement se passer. Mais il en perdrait alors sa particularité marchande jusqu’au point de se noyer dans le magma du cinéma pour dépressifs qu’il n’est pas interdit d'apprécier à très petite dose.

Si la fin du film se termine sur une tonalité d’espoir, et qu’elle ressemble à une forme de “choix”, elle n’est pourtant pas sans ambiguïtés.

Le personnage qui se veut central se trouve être comme “convaincu” par cet individu argentin venu d’on ne sait ou pour tisser des relations inter-autogestionnaires dans un monde de marché, ceci comme une aventure possible. Cette extériorité n’est pas sans poser quelques interrogations. On laissera ceux qui verront le film y réfléchir pour se questionner sur son rôle mais aussi sur son “projet”.

Mais ce n’est pas la seule ambiguïté dans cette toute fin de film. Alors qu’il acte pour continuer “l’aventure”, peut-être la seule alternative finalement avec celle de quitter le pays, (entre 2011 et 2013, 300.000 portugais sont allés chercher leur “salut” à l'étranger. (2)) notre protagoniste principal qui roule à moto fait le choix de laisser celle-ci bord de la route. Est-ce par conviction ? (serait-elle en panne ?) Ceci pour rejoindre l'arrêt de bus et faire le choix du commun transport avec d’autres prolétaires.

Mais ce geste, s’il se révèle à nos yeux comme écolo-décroissant, par on ne sait qu’elle illumination, ferait presque écho à une imprégnation du discours sur l'austérité. Il serait son versant intégré et puritain. Puritanisme qui traverse tous les projets d’émancipation en crise parce que dévitalisés de perspectives. C’est bien le risque quand la morale (ou de l’éthique que l’on tente d’universalisée) s’invite dans le champ du politique, et qu’elle se substitue à la pratique collective de classe ou que la transformation radicale du monde devient une histoire de comportement personnel.

Le chemin n’est pas l’horizon sauf à considérer qu’être ensemble serait suffisant. Suffisant pourquoi faire au juste ? Le mythe du commun ou de la communauté comme possible qui viendrait résoudre toute une série d’interrogations est une approche trop mystique (3). Cette forme de parade contre l’Avoir par l'Être-ensemble, côtoie trop à notre goût une forme de cette morale des liens qui libèrent et qui se change trop vite quand elle devient une thèse, en oppression du collectif. C’est la seule que puisse nous proposer les apôtres de la simplicité volontaire (forcée pour les autres) de salle à manger, et qui fantasment la communauté des bonnes volontés par leurs isolements et leur mode de vie individualiste, réellement vécu et probablement coupable.

La société communiste pourrait bien nous permettre de rouler seuls en motocyclettes ...et si cela l’était pas le cas en vaudrait-elle seulement la peine ? Le communisme ne sera pas la fausse abondance capitaliste c’est certain, pas plus la pénurie joyeuse, mais encore moins un cours de botanique autogéré dans les jardins obligatoirement communs.

Au-delà d’un fantasme d’urbains, il serait intéressant d’interroger d’une manière plus générale pourquoi l’idéologie “ambientaliste” raisonne de cette manière dans ce pays ? Qu’annonce-t-elle ? que dit-elle ?

Malgré lui ce film qui se veut “collectif” reproduit ce qui devait être politiquement critiqué. Critiqué puisqu’il s’annonçait “critique”.

Rien sur la critique de la séparation au sens large. Séparation entre “intellectuels” et “ouvriers”, séparés par cette scène du repas (qui coupe le film en deux) jusqu’au point d’y retrouver une vieille figure de l’avant-gardisme portugais des années 70. - Il en va de même du questionnement sur la séparation d’avec les moyens de production. Cette catégorie devait également être mise en débat au risque de reproduire ce que l’on combat ou dénonce.

C’est aussi le regard du réalisateur ( de ceux qui ont participé à cette œuvre, mais pas forcement...)  qui doit aussi être questionné peut-être comme inconscient de classe, tempérament de groupie, peut-être même comme une forme de fascination théoriciste "critique".

La montagne a-t-elle encore accouchée d’une souris ? c’est bien possible.


Notes.

(Version du texte révisée le 29/6/2017)


Peut-être que le problème touche à cette manière de faire rentrer la critique de l'économie politique dans la création artistique ....

(1) A Cantiga é Uma Arma (1975) Interpretação: Grupo de Ação Cultural (GAC) – Vozes na Luta Letra: José Mário Branco

(2) http://www.lexpress.fr/actualites/1/actualite/en-depit-de-la-reprise-l-exode-des-jeunes-portugais-continue_1555581.html

(3) Par extension voir aussi l'étymologie du mot religion (religio)


Voir aussi


dimanche 9 juillet 2017

Que fut l'autonomie ouvrière ? par Miguel Amoros (2005)

Que fut l'autonomie ouvrière ?
Miguel Amoros 
(2005)


Note Vosstanie : Nous publions un texte en vu de notre émission sur l'Autonomie Ouvrière (pour juillet 2017 ? ). On y trouvera une réflexion importante même si nous ne partageons pas toutes les analyses et perspectives comme par exemple ce propos "Le mouvement ouvrier s’est volatilisé" ah bon ? On partage bien su-r toutes les critiques concernant l"autonomie" retardataire et spectaculaire liée à la décomposition du bolchevisme ...Ce texte nous permettra donc d'alimenter notre son.


Le mot « autonomie » a été lié à la cause du prolétariat dès ses premières interventions comme classe. Dans le Manifeste communiste, Marx définissait le mouvement ouvrier comme « le mouvement autonome de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité ». Plus tard, mais en se basant sur l’expérience de 1848, dans De la capacité politique de la classe ouvrière (1865), Proudhon affirmait que pour que la classe ouvrière agisse d’une manière spécifique, il fallait qu’elle remplisse les trois exigences de l’autonomie : qu’elle ait conscience d’elle-même, que par conséquent elle affirme « son idée », c’est-à-dire, qu’elle connaisse « la loi de son être », qu’elle sache « [la] traduire par la parole, [l’]expliquer par la raison », et qu’elle tire de cette idée des conclusions pratiques. Aussi bien Marx que Proudhon avaient été témoins de l’influence de la bourgeoisie radicale dans les rangs ouvriers et essayaient de faire en sorte que le prolétariat se sépare d’elle politiquement. L’autonomie ouvrière fut exprimée définitivement dans la formule de la Première Internationale : « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».

Dans l’étape qui suit l’insurrection de la Commune de Paris et dans la double polémique entre légalistes et clandestins, collectivistes et communistes, qui divisait le mouvement anarchiste, la question de l’autonomie dérivait vers le problème de l’organisation. Dans des conditions de recul révolutionnaire et de répression croissante, la publication anarchiste de Séville L’Autonomie défendait en 1883 l’indépendance absolue des Fédérations locales et leur organisation secrète. Les communistes libertaires élevaient au rang de principe la négation de l’organisation de masses. Les collectivistes catalans écrivaient dans la Revue Sociale que « les communistes anarchiques n’acceptent que l’organisation de groupes et n’ont pas de sections organisées par métiers, de fédérations locales ou régionales […] La constitution de groupes isolés, aussi complètement autonomes que leurs individus, qui souvent, n’étant pas d’accord avec l’opinion de la majorité, quittent un groupe pour en constituer un autre… » (n°12, 1885, Sants). Le concept d’autonomie se déplaçait vers l’organisation révolutionnaire.

En 1890, il existait à Londres un groupe anarchiste d’exilés allemands dont l’organe d’expression L’Autonomie soulignait effectivement la liberté individuelle et l’indépendance des groupes. Face au réformisme de la politique socialiste et à l’aventurisme de la propagande par le fait qui caractérisa une période concrète de l’anarchisme, la question de l’autonomie ouvrière, c’est-à-dire, du mouvement indépendant des travailleurs, se posa à nouveau. C’est ainsi que surgit le syndicalisme révolutionnaire, théorie qui défendait l’auto-organisation ouvrière à travers les syndicats, libres de toute tutelle idéologique ou politique. Moyennant la tactique de la grève générale, les syndicats révolutionnaires aspiraient à être des organes insurrectionnels et d’émancipation sociale.

D’un autre coté, les révolutions russes et allemandes érigèrent un système d’autogouvernement ouvrier, les conseils d’ouvriers et de soldats. Aussi bien les syndicats que les conseils étaient des organismes unitaires de classe, mais les premiers étaient plus appropriés à la défense et les seconds à l’attaque, quoique les uns et les autres exercèrent les deux fonctions. Tous deux connurent leurs limites historiques et tous deux succombèrent à la bureaucratisation et à la récupération. La question de l’autonomie toucha aussi les modes d’expropriation de la bourgeoisie dans la période révolutionnaire. En 1920, le marxiste conseilliste Karl Korsch désignait l’« autonomie industrielle » comme une forme supérieure de socialisation qui correspondrait plus ou moins à la « collectivisation » anarcho-syndicaliste et à ce qu’on appela l’« autogestion » dans les années soixante.

La pensée bourgeoise, elle aussi, eut recours au concept. Kant parlait d’autonomie se référant à l’individu conscient. L’« Autonome » était le bourgeois idéalisé, comme l’est aujourd’hui l’homme de Castoriadis. Cet idéologue gélatineux appelle « autonome » (comme les dictionnaires) le citoyen responsable d’une société capable de se doter de ses propres lois. En outre, les mots « autonomie » ou « autonome » peuvent sortir de la bouche d’un citoyenniste ou d’un nationaliste, peuvent être prononcés par un universitaire negriste ou par un squatteur… Ils définissent donc des réalités différentes et correspondent à des concepts distincts. Les Comandos Autónomos Anticapitalistas se dénommèrent ainsi en 1976 pour souligner leur caractère non hiérarchique et leurs distances d’avec ETA, mais dans d’autres milieux, « autonome » est celui qui refuse de s’appeler anarchiste pour éviter le réductionnisme qu’implique cette étiquette, et « autonome » est encore l’enthousiaste Hakim Bey ou l’adhérent à une mode italienne dont il existe des versions différentes et très changeantes, dont la pire de toutes fut inventée par le professeur Negri en 1977 quand il était léniniste créatif… Cependant, l’autonomie ouvrière a une signification non équivoque qui se manifeste durant une période concrète de l’histoire : elle apparaît comme telle dans la péninsule ibérique au début des années soixante en tant que conclusion fondamentale de la lutte des classes de la décade antérieure.

Les années préautonomiques

Ce n’est pas par hasard que les ouvriers, quand ils commençaient à radicaliser leur mouvement, revendiquaient leur « autonomie », c’est-à-dire, l’indépendance par rapport à des représentations extérieures, qu’il s’agisse de la bureaucratie verticale de l’Etat, des partis d’opposition ou des groupes syndicaux clandestins. En effet, pour eux c’est de ça qu’il était question : d’agir ensemble, de s’occuper directement de leurs affaires selon leurs propres normes, de prendre leurs propres décisions et de définir leur stratégie et leur tactique de lutte : en somme, de se constituer comme classe révolutionnaire. Le mouvement ouvrier moderne, c’est-à-dire, celui qui est apparu après la Guerre Civile, commença dans les années soixante, une fois épuisé celui que représentaient les centrales CNT et UGT. Il fut formé majoritairement par des ouvriers d’extraction paysanne, émigrés en ville et logés dans des quartiers périphériques d’« habitations à bon marché », HLM et bidonvilles.

À partir de 1958, début du premier Plan de développement franquiste, l’industrie et les services connurent une forte expansion qui se traduisit par une offre d’emploi généralisée. Les zones rurales se dépeuplèrent et l’agriculture traditionnelle disparut ; dans les centres urbains, des quartiers ouvriers modernes apparurent. Les conditions d’exploitation de la population ouvrière d’alors – bas salaires, horaires prolongés, mauvais logements, lieux de travail éloignés, infrastructures déficientes, analphabétisme, habitudes de servitude – faisaient d’elle une classe abandonnée et marginale qui put néanmoins faire son chemin et défendre bec et ongles sa dignité.

La protestation se faufila dans les églises et dans les brèches du Syndicat vertical qui se révélèrent bientôt étroites et sans issues. À Madrid, à Vizcaya, en Asturies, à Barcelone et ailleurs, les ouvriers accompagnés de leurs représentants élus conformément à la loi sur les jurés, commencèrent à se réunir en assemblées pour traiter des questions du travail, établissant un réseau informel de contacts qui fut à l’origine des premières « Commissions Ouvrières ». Ces commissions se mouvaient dans le cadre de la légalité, quoique, étant donné ses limites, elles le débordaient fréquemment ou l’enfreignaient si nécessaire. La structure informelle des Commissions Ouvrières, leur autolimitation revendicative et leur couverture catholico-verticale, durant une époque intensément répressive, furent efficaces dans un premier temps ; à l’ombre de la loi des conventions collectives, les Commissions menèrent à bien d’importantes grèves, qui générèrent une nouvelle conscience de classe. À mesure que cette conscience gagnait en solidité, la lutte ouvrière était envisagée non plus seulement contre le patron, mais contre le Capital et l’État incarné par la dictature de Franco. L’objectif final de la lutte n’était autre que le « socialisme », à savoir, l’appropriation des moyens de production par les travailleurs eux-mêmes. Après Mai 68, on commença à parler d’« autogestion ». Les Commissions Ouvrières devaient assumer cet objectif et radicaliser leurs méthodes en s’ouvrant à tous les travailleurs. Le régime franquiste se rendit bientôt compte du danger et les réprima ; les partis comptant des militants ouvriers – le PCE et le FLP (1) – démontrèrent bientôt leur utilité d’instrument politique et les récupérèrent.

L’unique possibilité de syndicalisme était celle offerte par le régime, c’est pourquoi le PCE et ses alliés catholiques profitèrent de l’occasion en construisant un syndicat à l’intérieur d’un autre, officiel. La montée de l’influence du PCE à partir de 1968 établit le réformisme et conjura la radicalisation des Commissions. Les conséquences auraient pu être graves si l’incrustation du PCE n’avait été relative : d’un coté la représentation ouvrière se séparait des assemblées et échappait au contrôle de la base. Le rôle principal revint exclusivement aux soi-disant leaders. D’un autre coté, le mouvement ouvrier s’en tenait à une pratique légaliste, évitant autant que possible le recours à la grève, employée uniquement comme démonstration de force des dirigeants. La lutte ouvrière perdait le caractère anticapitaliste qu’elle avait récemment acquis. Finalement, comme l’orientation du mouvement était sous la tutelle des communistes, la lutte se dépolitisait. Les objectifs politiques cessaient d’être ceux du « socialisme » pour devenir ceux de la démocratie bourgeoise. Le coup était clair ; les « Commissions Ouvrières » s’érigeaient en interlocuteurs uniques du patronat dans les négociations, au mépris des travailleurs. Ce prétendu dialogue syndical n’était que le reflet du dialogue politico-institutionnel recherché par le PCE. Le réformisme stalinien ne triompha pas mais provoqua la division du mouvement ouvrier, entraînant la fraction la plus modérée et portée à l’embourgeoisement ; cependant, la conscience de classe s’était développée suffisamment pour que les secteurs ouvriers les plus avancés défendent tout d’abord à l’intérieur, et ensuite à l’extérieur des Commissions, des tactiques plus appropriées, donnant lieu à des organisations de base plus combatives appelées selon les endroits « commissions autonomes d’usine », « plateformes de commissions », « comités ouvriers » ou « groupes ouvriers autonomes ». Pour la première fois le mot « autonome » apparaissait dans la région de Barcelone pour sou­ligner l’indépendance d’un groupe partisan de la démocratie directe des travailleurs face aux partis et à toute organisation avant-gardiste. En outre, les lacunes d’une loi ayant permis la création d’associations de riverains, la lutte se déplaça aux quartiers et entra dans la sphère de la vie quotidienne. De la même manière, dans les quartiers des faubourgs et les villages, l’alternative se posa entre rester dans le cadre institutionnel des associations ou organiser des comités de quartiers et aller à l’assemblée de quartier comme organe représentatif.

Le moment de l’autonomie

La résistance du régime franquiste à toute velléité réformiste fit que les grèves à partir de celle du secteur de la construction à Grenade, en 1969,furent toujours sauvages et dures, dans l’impossibilité de se dérouler dans la légalité où voulaient les maintenir les staliniens. Les ouvriers anticapitalistes comprenaient, qu’au lieu de s’entasser aux portes de la CNS (2) en attendant les résultats des démarches des représentants légaux, il fallait tenir des assemblées dans les usines mêmes, sur le chantier ou dans le quartier, et élire là leurs délégués, qui ne devaient pas être permanents, mais révocables à tout moment. Ne serait-ce que pour résister à la répression, un délégué devait durer entre deux assemblées, et un comité de grève, le temps d’une grève. L’assemblée était souveraine parce qu’elle représentait tous les travailleurs. La vieille tactique d’obliger le patron à négocier avec des délégués d’assemblées « illégaux », en étendant la lutte à toute la branche productive ou en transformant la grève en une grève générale grâce aux « piquets », c’est-à-dire, l’« action directe », faisait de plus en plus d’adeptes. Avec la solidarité, la conscience de classe progressait, tandis que les manifestations confirmaient ce progrès de plus en plus scandaleux. Les ouvriers n’avaient plus peur de la répression et l’affrontaient dans la rue. Chaque manifestation était non seulement une protestation contre le patronat, mais, prenant la forme d’une altération de l’ordre public, c’était une remise en cause politique de l’État, de son pouvoir et de son autorité. Maintenant, le prolétariat s’il voulait avancer, devait se séparer de tous ceux qui parlaient en son nom – qui avec l’apparition des groupes et partis à la gauche du PCE étaient légion – et cherchaient à le contrôler. Il devait « s’auto-organiser », à savoir, « conquérir son autonomie », comme on disait en Mai 68 et rejeter les prétentions dirigeantes que s’attribuaient le PCE et le reste des organisations léninistes. On commença alors à parler de l’« autonomie prolétaire », de « luttes autonomes », en entendant par là les luttes réalisées en marge des partis et syndicats, et celles de « groupes autonomes », des groupes de travailleurs révolutionnaires menant une activité pratique autonome au sein de la classe ouvrière dont l’objectif évident était de contribuer à sa « prise de conscience ». Mises à part les distances historiques et idéologiques, les groupes autonomes ne pouvaient que ressembler aux groupes d’« affinité » de l’ancienne FAI, celle d’avant 1937. Sauf que les « syndicats uniques » dans lesquels ceux-ci agissaient alors n’étaient ni possibles, ni désirables.

Au début des années soixante-dix, le processus d’industrialisation entrepris par les technocrates franquistes s’acheva avec pour résultat non désiré la cristallisation d’une nouvelle classe ouvrière de plus en plus convaincue de ses possibilités historiques et disposée à se battre. Sa peur du prolétariat poussait le régime franquiste à l’autoritarisme perpétuel contre lequel conspiraient même les nouvelles valeurs bourgeoises et religieuses. La mort du dictateur relâcha la répression juste assez pour que se déclenche un processus imparable de grèves dans tout le pays. Le réformisme syndical stalinien fut complètement débordé. Les assemblées tenues continuellement dans le but de résoudre les problèmes réels des travailleurs dans l’entreprise, le quartier et même chez eux en accord avec leurs intérêts de classe les plus élémentaires, n’avaient devant elles aucun appareil bureaucratique qui les freine. Les délégués de Commissions et les responsables communistes n’étaient tolérés que dans la mesure où ils ne gênaient pas, se voyant obligés à fomenter les assemblées s’ils voulaient exercer le moindre contrôle. Les masses travailleuses commençaient à être conscientes de leur rôle de sujet principal dans le déroulement des événements et rejetaient une réglementation politico-syndicale des problèmes qui concernaient leur vie réelle. En 1976, les idées d’auto-organisation, d’autogestion généralisée et de révolution sociale pouvaient facilement revêtir une expression de masses immédiate. Aussi, les voies qui conduisaient à celles-ci restaient ouvertes. La dynamique sociale des assemblées poussait les ouvriers à prendre en main toutes les affaires qui les concernaient, en commençant par celle de l’autonomie. De nombreux conseils d’usines se constituèrent, connectés aux quartiers. Ce mode d’action autonome qui poussait les masses à sortir du milieu du travail et à fouler des terres qui paraissaient jusqu’alors étrangères dût causer une véritable panique dans la classe dominante, étant donné qu’elle mitrailla les ouvriers à Vitoria, liquida le processus de réforme continuiste du franquisme, supprima le syndicat vertical avec les Commissions à l’intérieur et légalisa les partis et syndicats. Le Pacte de La Moncloa de tous les partis et syndicats fut un pacte contre les assemblées. Nous ne nous attarderons pas à narrer les péripéties du mouvement assembléiste, ni à compter le nombre d’ouvriers tombés ; il suffit d’affirmer que le mouvement fut vaincu en 1978 après trois années d’âpres combats. Le statut des travailleurs promulgué par le nouveau régime « démocratique » en 1980 condamna légalement les assemblées. Les élections syndicales fournirent un contingent de professionnels de la représentation qui avec l’aide d’assembléistes accommodants se saisirent de la direction des luttes. Cela ne veut pas dire que les assemblées disparurent, ce qui disparut réellement ce fut leur indépendance et leur capacité défensive, et cet égarement fut suivit d’une dégradation irréversible de la conscience de classe que même la résistance à la restructuration économique des années quatre-vingt ne put arrêter.

En réalité, ce qu’on importa ne furent pas les pratiques du mouvement de 1977 dans plusieurs villes italiennes baptisé Autonomia Operaia, mais la partie la plus retardataire et spectaculaire de cette « autonomie », celle qui correspondait à la décomposition du bolchevisme milanais – Potere Operaio – et particulièrement les masturbations littéraires de ceux qui furent désignés par la presse comme les leaders, à savoir, Negri, Piperno, Scalzone… En résumé, très peu de groupes furent conséquents dans la défense active de l’autonomie ouvrière mis à part les Travailleurs pour l’Auto­nomie Prolétaire (conseillistes libertaires), quelques collectifs d’usine (par exemple, ceux de FASA-Renault, ceux de Roca radiateurs, les arrimeurs du port de Barcelone…) et les Groupes Autonomes. Attardons-nous sur ces derniers.

L’autonomie armée

L’organisation « 1000 » ou « MIL » (Mouvement Ibérique de Libération) pionnière à bien des égards, se dénomma elle-même « Groupes Autonomes de Combats » (GAC) en 1972. La lutte armée débuta dans l’intention de soutenir la classe ouvrière pour la radicaliser, et non pas pour s’y substituer. C’est aussi en ce sens que se considérèrent « autonomes » les groupes qui se coordonnèrent en 1974 pour soutenir et libérer les prisonniers du MIL – que la police dénomma OLLA – ainsi que les groupes qui continuèrent en 1976, et après un débat dans la prison de Ségovie adoptèrent le nom de « Groupes Autonomes » ou GGAA (en 1979). Sans vouloir donner de leçon après coup, nous ferons cependant remarquer que le fait de se considérer comme une partie de l’embryon de la future « armée de la révolution » ou comme la « fraction armée du prolétariat révolutionnaire » était quelque chose non seulement de critiquable, mais aussi de faux en soi.Tous les groupes, qu’ils pratiquent ou non la lutte armée, étaient des groupes séparés qui ne représentaient personne d’autre qu’eux-mêmes, c’est ce que signifie réellement être « autonomes ». Une autonomie qui, soit dit en passant, devait être mise en doute puisqu’il existait au sein du MIL une spécialisation des tâches qui divisait ses membres en théoriciens et activistes. Le prolétariat se représente lui-même comme classe à travers ses propres organes. Et il ne s’arme jamais que quand cela lui est nécessaire, quand il se dispose à détruire l’État. Par contre, ce n’est alors pas une fraction qui s’arme mais toute la classe, formant ses milices, « le prolétariat en armes ». L’existence de groupes armés, y compris au service des grèves sauvages, n’apportait rien à l’autonomie de la lutte dans la mesure où il s’agissait de gens en marge de la décision collective et hors du contrôle des assemblées. Ils constituaient un pouvoir séparé et, plutôt qu’une aide, un danger s’ils étaient infiltrés par quelque indicateur ou provocateur. Dans la phase où en était la lutte, les piquets étaient suffisants. L’identification entre lutte armée et radicalisation était abusive. La pratique la plus radicale de la lutte des classes n’était pas les expropriations ou les pétards dans les entreprises ou les bureaux d’organismes officiels. Ce qui était réellement radical, c’était ce qui aidait le prolétariat à passer à l’offensive : la généralisation de l’insubordination contre toute hiérarchie, le sabotage de la production et de la consommation capitaliste, les grèves sauvages, les délégués révocables, la coordination des luttes, leur autodéfense, la création de moyens d’information spécifiquement ouvriers, le rejet du nationalisme et du syndicalisme, les occupations d’usines et de bâtiments publiques, les barricades… La contribution des groupes mentionnés à l’autonomie du prolétariat était limitée par leur position volontariste dans la question des armes.

Dans le cas particulier des Groupes Autonomes, il est certain qu’ils désiraient se placer à l’intérieur des masses et qu’ils recherchaient leur radicalisation maximale, mais les conditions de clandestinité qu’imposait la lutte armée les éloignaient de celles-ci. Ils étaient pleinement lucides quant à ce qui pouvait servir à l’extension de la lutte des classes, c’est-à-dire, quant à l’autonomie prolétaire. Ils connaissaient l’héritage de Mai 68 et condamnaient toute idéologie comme élément de séparation, y compris l’idéologie de l’autonomie, puisque dans les périodes ascendantes les ennemis de l’autonomie sont les premiers à se déclarer pour l’autonomie. D’après un de leurs communiqués, l’autonomie du groupe était simplement « une pratique commune fondée sur un accord minimum pour passer à l’action, mais aussi une théorie autonome correspondant à notre manière de vivre, de lutter, et à nos besoins concrets ». Ils en arrivèrent au point de s’enlever le L de libertaires (3) pour éviter d’être étiquetés et de tomber dans l’opposition spectaculaire anarchisme-marxisme. Ainsi que pour ne pas être récupérés en tant qu’anarchistes par la CNT, une organisation qu’ils considéraient, parce quelle était syndicale, comme bureaucratique, intégratrice et favorable à l’existence du travail salarié et par conséquent, du capital. Ils n’avaient pas vocation à la permanence comme les partis parce qu’ils rejetaient le pouvoir ; tout groupe réellement autonome s’organisait pour des tâches concrètes et se dissolvait quand ces tâches s’achevaient. La répression mit brutalement fin à leur existence mais leur pratique s’avère exemplaire, tant par ses succès que par ses erreurs, et par conséquent, pédagogique.

La technique autonome

Il y a un abîme entre les milieux prolétariens des années soixante et soixante-dix et le monde technicisé et globalisé. Nous vivons une réalité historique radicalement différente créée sur les ruines de l’antérieure. Le mouvement ouvrier s’est volatilisé, et pour cela parler d’« autonomie », ibérique ou non, n’a pas de sens si nous essayons par là de nous rallier à une figure inexistante du prolétariat et d’édifier sur celle-ci un programme d’action fantasmagorique, basé sur une idéologie faite de bribes d’autres. Dans le pire des cas, cela signifierait la résurrection du cadavre léniniste et de l’idée d’« avant-garde », ce qu’il y a de plus contraire à l’autonomie. Il ne s’agit pas non plus de se distraire dans le cyber-espace, ni dans le « mouvement des mouvements », en exigeant la démocratisation de l’ordre établi moyennant la participation à ses institutions des prétendus représentants de la société civile. Il n’y a pas de société civile ; cette « société » se trouve divisée en ses composants de base, les individus, et ceux-ci ne sont plus seulement séparés des résultats et des produits de leur activité, mais les uns des autres. Toute la liberté que la société capitaliste puisse offrir repose non pas sur l’association entre individus autonomes mais sur leur séparation et dépossession la plus complète, de façon à ce qu’un individu ne découvre pas chez un autre un soutien à sa liberté mais un concurrent et un obstacle. Cette séparation finit par être consommée par la technique digitale en tant que communication virtuelle. Les individus dépendent alors absolument des moyens techniques pour se mettre en rapport. Cependant, ce qu’ils obtiennent n’est pas un contact réel mais une relation éthérée. À la limite, les individus accros aux appareils sont incapables d’avoir des rapports directs avec leurs semblables. Les technologies de l’information et de la communication ont mené à bien le vieux projet bourgeois de la séparation totale des individus entre eux. Elles ont alors créé l’illusion d’une autonomie individuelle grâce au fonctionnement en réseau qu’elles ont permis. D’un côté, elles créent un individu totalement dépendant des machines, et par conséquent, parfaitement contrôlable ; d’un autre elles imposent les conditions dans lesquelles se déroule toute activité sociale, dont elles marquent les rythmes, et exigent une adaptation permanente aux changements. Ce n’est donc pas l’individu mais la technique qui a conquis l’autonomie. Malgré tout, si l’autonomie individuelle est impossible dans les conditions actuelles, la lutte pour l’autonomie ne l’est pas, même si elle ne devra pas se réduire à un décrochage du mode de survie capitaliste techniquement équipé. Refuser de travailler, de consommer, d’utiliser des appareils, de rouler dans un véhicule privé, de vivre dans des villes, etc., constitue en soi un vaste programme, mais la survie sous le capitalisme impose ses règles. L’autonomie personnelle n’est pas la simple autosuffisance dont le prix est l’isolement et la marginalisation auxquels on échappe grâce à la téléphonie mobile et au courrier électronique. La lutte contre ces règles et contraintes est aujourd’hui le B.A.-BA de l’autonomie individuelle et elle a devant elle beaucoup de voies, toutes légitimes. Le sabotage sera complémentaire de l’apprentissage d’un métier éteint ou de la pratique du troc. Ce qui définit l’autonomie de quelqu’un par rapport au Pouvoir dominant, c’est sa capacité de défense face à celui-ci. Quant à l’action collective, les mouvements conscients de masses sont aujourd’hui impossibles, parce qu’il n’y a pas de conscience de classe. Les masses sont exactement le contraire des classes. En l’absence de classe ouvrière, il est absurde de parler d’« autonomie ouvrière », mais pas de parler de groupes autonomes.

Les conditions actuelles ne sont pas si désastreuses qu’elles ne permettent plus l’organisation de groupes en vue d’actions défensives concrètes. L’avancée du capitalisme spectaculaire s’effectue toujours comme une agression, à laquelle il faut répondre là où c’est possible : contre le TGV, les parcs éoliens, les incinérateurs, les terrains de golf, les plans hydrologiques, les ports de plaisance, les autoroutes, les lignes à haute tension, les résidences secondaires, les pistes de ski, les centres commerciaux, la spéculation immobilière, la précarité, les produits transgéniques… Il s’agit d’établir des lignes de résistance à partir desquelles reconstruire un milieu réfractaire au capital dans lequel se cristallise à nouveau la conscience révolutionnaire. Si le monde n’est pas prêt pour de grandes stratégies, il l’est par contre pour des actions de guérilla, et la formule organisationnelle la plus opportune c’est les groupes autonomes. Voilà l’autonomie qui nous intéresse.


NOTES

(1) Parti Communiste Espagnol et Front de Libération Populaire. [NdT]

(2) Centrale Nationale de Syndicats (Central Naciónal de Sindicatos), le syndicat vertical franquiste. [NdT]
(3) En 1978, suite à une série d’arrestations à Madrid, Barcelone et Valence de personnes accusées de braquages, d’attentats et de détention d’armes et d’explosifs, la police créa pour l’occasion le nom de Groupes Autonomes Libertaires (GAL). Ces prisonniers reprirent ensuite ce nom avant de le transformer en 1979 en Groupes Autonomes (GA). [NdT]

samedi 8 juillet 2017

« LOI TRAVAILLE ! » - Émissions des 8 et 14 Mai 2017 de Radio Vosstanie !

« LOI  TRAVAILLE ! »
Chronique d’une offensive antisociale annoncée.

Prochaine très longue émission de 
Radio Vosstanie !

Avec le Garap, Zones subversives, Vosstanie
et différentes interventions de Dieppe, Marseille, Paris.


Les 8 et 14 mai à 14h.
puis en re-Diffusion (Pendant deux mois )

ou

TÉLÉCHARGEMENT


durée 9h52 minutes



Quelques liens et textes pour alimenter le propos.





PLAN DE L’ÉMISSION


I) Le contexte historique : la crise de reproduction du capital social total se confond avec la caducité de la loi de la valeur, qui se traduit en crise de reproduction sociale globale.



A) « la crise dans la crise » qui s’épanche depuis 2008 : la loi de la valeur menacée en son cœur.
- La gravité du krach de 2008 est proportionnelle à la victoire éclatante de l’offensive capitaliste unitaire des 30 années écoulées : le cycle historique en crise est celui d’une recette de quête à la survaleur faite des ingrédients suivants : mise en concurrence universelle, globalisation des marchés, compression des salaires (du travail productif et improductif), financiarisation de l’économie mondiale, privatisation et endettement de l’Etat, pillage des moyens de production.

- La réelle cause du nécessaire encastrement du capital productif au capital fictif depuis le milieu des années 1970 : la menace de dévalorisation des titres à la plus-value est esquivée en dévalorisant systématiquement V et une partie de C. Résultat : L’accumulation du capital social total se réalise contre la reproduction sociale. la loi de la valeur étouffe les forces productives et est caduque car la productivité du capital est devenu trop importante pour que la richesse soit mesurée par le temps de travail humain socialement nécessaire.

- La crise enclenchée en 2008 est grosse d’un effondrement du capitalisme puisqu’elle révèle un degré de fictivité si développé du capital à l’échelle mondiale que c’est l’existence même du capital qui fait doute, autrement dit la valeur (et sa loi d’échange d’équivalents) qui jusque là était essentiellement dépassée est visiblement remise en question. L’argent est en passe de ne plus rien valoir : crise de la liquidité, menace d’interruption des échanges (et d’abord entre les banques), effondrement du commerce.


B) « Sauve qui peut » ! : des remèdes capitalistes en forme de piétinement de l’humanité

- La fuite en avant coordonnée par le donjon du capital, c'est-à-dire l’Etat, est l’unique solution pour sauver à court terme le capitalisme d’un écroulement. L’Etat sauve le capital en appliquant au centre de l’économie mondiale les remèdes de cheval qu’il avait imposés soit partiellement dans les pays riches soit à leur périphérie ces 30 dernières années : socialisation des pertes par l’endettement public et la guerre ouverte au prolétariat, c'est-à-dire programme de pillage illimité de V. La solution à la chute du capitalisme est de creuser dans les fondations de la reproduction de l’espèce.

- La logique de reproduction du capital social total se pose en absurdité assumée : les politiques « néolibérales » se voient non seulement confirmées mais aussi systématisées et aggravées.

- De quelques formes qu’a prises la guerre idéologique pour maintenir la conscience du prolétariat en deçà des exigences du temps : confusionnisme, abrutissement marchand, systématisation de la peur, glorioles bourgeoises.

C) Une offensive de classe illimitée : urgence de l’état du capitalisme à l’Etat d’urgence du capital

- L’Etat prêteur en dernier ressort est bel et bien le cerbère du capitalisme. Les tendances déjà à l’œuvre par lesquelles l’Etat capitaliste, depuis le milieu de la décennie 1970, se contractait sur ses fonctions les plus brutales se systématisent autant qu’elle s’intensifient.

- La violence de l’Etat est toujours plus crûment l’unique cariatide sur laquelle repose le capitalisme mondial : dans ses fonctions défensives (répression des populations) et offensive (guerre).

- Le droit bourgeois, cette réification régulatrice des rapports de valeur, se trouve fortement modifié - au point d’en perdre sa consistance – conséquence de l’effondrement avéré de la loi de la valeur. La force (la loi du plus fort) en son sein pressurise au point de menacer le consensus minimal et l’égalité de traitement (reflet de l’échange d’équivalents) indispensables à son fonctionnement. L’Etat d’urgence permanent comme illustration de ce phénomène : démocratie bourgeoise s’éclipse au profit d’un Etat totalitaire frère du marché totalitaire.


II) « Loi travaille ! », bataille décisive pour faire de la surexploitation une norme


A) De quelques spécificités intolérables de la force de travail hexagonale 
- Un salaire réel (direct et différé) en forme d’insulte à la prédation capitaliste. 
- Ce Welfare State et son droit du travail « exorbitants » : spécificité historique et lutte des classes (après guerre jusqu’en 1976). 
- Les fameuses « résistances » françaises : sur l’obstinée lutte des classes du salariat en France depuis les années 1990.

B) La crise comme dynamiseur du fanatisme patronal
- Qu’est-ce que le projet de refondation sociale du MEDEF ? : un retour aux normes salariales du 19ème siècle. 
- Briser les « obstacles » à la croissance. 
- Une vraie destruction des droits individuels et collectifs : produit dans la souffrance, consomme à crédit, et ferme-là !


C) La mise en conformité du capital variable aux normes européennes de dépouillage 
- Stratégie de Lisbonne, Pacte de Stabilité et de Croissance, « Europe 2020 » : Le marché aux esclaves européens c’est pour maintenant ! 
- Bref inventaire du vandalisme en cours ailleurs en Europe : des plans de sauvetage de l’Euro group (en Grèce, Italie, Espagne, au Portugal) aux différentes réformes du marché du travail dans ces mêmes pays, en passant par les « zones économiques spéciales ». 
- Pauvreté galopante, démantèlement des droits sociaux, santé au rabais, chômage de masse, précarisation générale : la « tiersmondisation » du prolétariat « occidental ».

III) A défaut d’éviter l’affrontement, ce sera classe contre masse

A) La désarticulation en actes de la classe prolétarienne   
(1) : les coups dans le dos 
- l’Action psychologique de la gauche 
- l’électoralisme de Nuit Debout 
- le sabotage syndical

B) La désarticulation de la classe prolétarienne (2) : l’Etat patronal 
- Attentats, Etat d’urgence et stratégie de la tension 
- Nouveau paradigme répressif à l’œuvre 
- La démocratie c’est bien la dictature de la bourgeoisie : 49-3

C) La désarticulation de la classe prolétarienne (3) : la masse en résistance  
- Les réelles formes de résistance à l’œuvre 
- La farce de l’autonomie affinitaire 
- L’autonomie prolétarienne en germe 
Conclusion : Une nouvelle débâcle en guise de creuset à une renaissance de la classe pour soi?