Les conditions d'affranchissement de la classe laborieuse
Matériaux pour une émission (CdC) (17)
Extrait de Misère de la philosophie de Karl Marx.
Matériaux pour une émission (CdC) (17)
Extrait de Misère de la philosophie de Karl Marx.
La
grande industrie agglomère dans un endroit une foule de gens
inconnus les uns aux autres. La concurrence les divise d'intérêts.
Mais le maintien du salaire, cet intérêt commun qu'ils
ont contre leur maître, les réunit dans une même
pensée de résistance - coalition. Ainsi la coalition a
toujours un double but, celui de faire cesser entre eux la
concurrence, pour pouvoir faire une concurrence générale
au capitaliste. Si le premier but de résistance n'a été
que le maintien des salaires, à mesure que les capitalistes à
leur tour se réunissent dans une pensée de répression,
les coalitions, d'abord isolées, se forment en groupes, et en
face du capital toujours réuni, le maintien de l'association
devient plus nécessaire pour eux que celui du salaire. Cela
est tellement vrai, que les économistes anglais sont tout
étonnés de voir les ouvriers sacrifier une bonne partie
du salaire en faveur des associations qui, aux yeux de ces
économistes, ne sont établies qu'en faveur du salaire.
Dans cette lutte - véritable guerre civile - se réunissent
et se développent tous les éléments nécessaires
à une bataille à venir. Une fois arrivée à
ce point-là, l'association prend un caractère
politique.
Les
conditions économiques avaient d'abord transformé la
masse du pays en travailleurs. La domination du capital a créé
à cette masse une situation commune, des intérêts
communs. Ainsi cette masse est déjà une classe
vis-à-vis du capital, mais pas encore pour elle-même.
Dans la lutte, dont nous n'avons signalé que quelques phases,
cette masse se réunit, elle se constitue en classe pour
elle-même. Les intérêts qu'elle défend
deviennent des intérêts de classe. Mais la lutte de
classe à classe est une lutte politique.
Dans
la bourgeoisie, nous avons deux phases à distinguer celle
pendant laquelle elle se constitua en classe sous le régime de
la féodalité et de la monarchie absolue, et celle où,
déjà constituée en classe, elle renversa la
féodalité et la monarchie, pour faire de la société
une société bourgeoise. La première de ces
phases fut la plus longue et nécessita les plus grands
efforts. Elle aussi avait commencé par des coalitions
partielles contre les seigneurs féodaux.
On
a fait bien des recherches pour retracer les différentes
phases historiques que la bourgeoisie a parcourues, depuis la commune
jusqu'à sa constitution comme classe.
Mais
quand il s'agit de se rendre un compte exact des grèves, des
coalitions et des autres formes dans lesquelles les prolétaires
effectuent devant nos yeux leur organisation comme classe, les uns
sont saisis d'une crainte réelle, les autres affichent un
dédain transcendantal.
Une
classe opprimée est la condition vitale de toute société
fondée sur l'antagonisme des classes. L'affranchissement de la
classe opprimée implique donc nécessairement la
création d'une société nouvelle. Pour que la
classe opprimée puisse s'affranchir, il faut que les pouvoirs
productifs déjà acquis et les rapports sociaux
existants ne puissent plus exister les uns à côté
des autres. De tous les instruments de production, le plus grand
pouvoir productif, c'est la classe révolutionnaire elle-même.
L'organisation des éléments révolutionnaires
comme classe suppose l'existence de toutes les forces productives qui
pouvaient s'engendrer dans le sein de la société
ancienne.
Est-ce
à dire qu'après la chute de l'ancienne société
il y aura une nouvelle domination de classe, se résumant dans
un nouveau pouvoir politique ? Non.
La
condition d'affranchissement de la classe laborieuse c'est
l'abolition de toute classe, de même que la condition
d'affranchissement du tiers état, de l'ordre bourgeois, fut
l'abolition de tous les états [1]
et de tous les ordres.
La
classe laborieuse substituera, dans le cours de son développement,
à l'ancienne société civile une association qui
exclura les classes et leur antagonisme, et il n'y aura plus de
pouvoir politique proprement dit, puisque le pouvoir politique est
précisément le résumé officiel de
l'antagonisme dans la société civile.
En
attendant, l'antagonisme entre le prolétariat et la
bourgeoisie est une lutte de classe à classe, lutte qui,
portée à sa plus haute expression, est une révolution
totale. D'ailleurs, faut-il s'étonner qu'une société,
fondée sur l'opposition des classes, aboutisse à
la contradiction brutale, à un choc de corps à
corps comme dernier dénouement ?
Ne
dites pas que le mouvement social exclut le mouvement politique. Il
n'y a jamais de mouvement politique qui ne soit social en même
temps.
Ce
n'est que dans un ordre de choses où il n'y aura plus de
classes et d'antagonisme de classes, que les évolutions
sociales cesseront d'être des révolutions
politiques. Jusque-là, à la veille de chaque
remaniement général de la société, le
dernier mot de la science sociale sera toujours :
Le combat ou la mort la lutte sanguinaire ou le néant. C'est ainsi que la question est invinciblement posée. (George Sand.)
NOTE
[1] C'est-à-dire les socialistes de l'époque, les fouriéristes en France, les partisane d'Owen en Allemagne. (Note d'Engels pour l'édition de 1885.)
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