Conversation
sur les spécialistes radicaux des penseurs radicaux
Nous nous associons à Mondialisme.org pour bien insister sur le fait que n'avons pas autorisé cet individu à reprendre notre émission ou à faire de lien avec Vosstanie.org ou Mondialisme.org
"Pour moi elle
est à gauche mais le débat est biaisé. Comme le dit Jean-Claude
Michéa finalement, ne faut-t'il pas abandonner la dichotomie
droite/gauche qui tient à notre histoire ? Par exemple, dois je
interdire à Alain De Benoist de se revendiquer de la décroissance
sous prétexte qu'il est classé à droite ? Est qu'il est condamné ad vitam aeternam à être enfermé dans cette catégorie ? Sa
position devrait être réévaluée, rediscutée"
Serge Latouche, à propos de la décroissance. (source : http://www.reporterre.net/spip.php?article4546)
Paul : Ceci pour
introduire le débat sur l'Echappée (1) et sur Jean-Claude Michéa parce qu'on va essayer simplement de poser
quelques trucs avant de discuter. Simplement pour dire ce qui s'est
passé.
On a eu écho de la
sortie aux Editions l'Echappée d'un ouvrage sur des
penseurs dits radicaux (on pourra s'étaler ensuite sur ce qu'est la "radicalité" et si les choix sont judicieux mais peu importe) et comme
tout ce qui peut parler un peu de près ou de loin de Michéa
nous interpelle, raison de plus quand il est sollicité dans le
mouvement libertaire, on se demande ce qui se passe derrière et on
gratte un peu.
Par curiosité on se
demande "mais qui est le contributeur de cette contribution à
l'intérieur de ce bouquin sur des penseurs dits "radicaux"
édité par l’Echappée?". On fait une petite recherche très
banale sur internet et on trouve un dénommé Charles Robin * qui sort d'un bois un peu sombre, on le débusque, et finalement on
arrive à trouver que ce Robin produit un bouquin qui s'appelle Le
libéralisme comme volonté et comme représentation et que
celui-ci re-balance sur le site d'Alain Soral, et qu'il le vend par
l'intermédiaire du site Kontre Kulture.(2)
On se demande de
manière un peu littérale, on se dit "mais comment se fait-il
qu'il vende un bouquin sur le site d'Alain Soral, n'existe
t-il pas de librairie pouvant vendre cet ouvrage ?". Donc on
gratte un peu et puis finalement on s'aperçoit que Charles Robin
était déjà intervenu sur VoxNR (3) en 2009 en faisant une
tribune nationaliste, pas racialiste mais identitaire, donc, et
qu'il était intervenu dans la revue Eléments (revue de la
nouvelle droite qui a été créée par Alain De Benoist et
différents individus qui se réclament de l'extrême droite) mais le
pompon de l'affaire, c'est que Charles Robin intervient pour
les 40 ans de la revue qui vient de sortir, où il est directement
interviewé par Alain De Benoist sur son ouvrage qui
apparemment s'amuserait à détricoter bien évidemment
attachez-vous bien car c'est un très grand rebelle ce Robin- "le
libéralisme", tout ça dans une veine un peu Michéenne, ce
qui expliquerait pourquoi d'ailleurs on lui aurait confié cette
notice.
On a écho de cela, on
fait notre petite recherche très bête sur Internet, on trouve ça.
On se dit qu'il y a un petit souci, d'autant qu'on aime bien les
Editions l'Echappée et qu'on apprécie ce qu'ils peuvent
éditer donc on se dit qu'il y a un problème. On envoi alors un mail
à un ou deux camarades ainsi qu'un mail aux Editions l'Echappée, et à ce moment-là
notre camarade Théo fait un post sur Indymedia où en
l'occurrence on fait état de nos interrogations sur, à la fois, le
type de penseurs qui sont sélectionnés comme étant des penseurs "radicaux" mais surtout, puisque c'était le truc le plus important, la
sélection de Michéa comme penseur sélectionné dans ces penseurs
radicaux par des libertaires. Parce que, à priori, tout cela ne nous
dérangerait pas s'il était sélectionné par les Editions
Climats par exemple, ou par les Editions Champs Flammarion.
Le problème c'est que ce sont des éditeurs qui ont clairement un
engagement libertaire qui se permettent de sélectionner quelqu'un
comme Michéa.
Mais Michéa est
à la fois le symptôme de quelque chose dont on peut débattre,
comme l'est aussi la sélection des auteurs qui sont sélectionnés
par Editions l'Echappée qui posent aussi problème. On va quand même dire que Charles
Robin fait sa petite thèse sous la direction de quelqu'un qui
est lui-même sélectionné dans le nombre de ces penseurs "radicaux",
qui est Dany-Robert Dufour. Robin soutient ou va donc
soutenir une thèse à Montpellier 3 sous la direction de Thierry
Blain et Dany Robert Dufour.
Ce mail a donc été
envoyé aux Editions L'Echappée nous a répondu d'une manière comme on a
pu la trouver très littéralement sur Indymedia, qu’ils
n'avaient pas fait de recherches, qu'ils n'avaient pas "googlelisé"
Charles Robin et qu'ils s'étaient fait avoir. Et qu'ils
avaient confié la rédaction du texte à quelqu'un qui n'avait pas
pu le faire et qui l'avait délégué auprès de quelqu'un. Voilà
l'explication de l'Echappée qui nous parait un peu faible, qui
parait même étonnante pour des gens qui manient le verbe, qui
fondent les éditions, qui s'entourent d'un parterre d'intellectuels
et de gens qui s'honorent de mettre en dessous de leur contribution à
ce livre-là d'être des spécialistes. C'est quand même une des
particularités, assez autoritaire d'ailleurs dans le genre, de gens
qui s'affublent d'un qualificatif de "spécialiste de" ou
de je ne sais quelle compétence particulière qui fait acte
d'autorité, ce qui est assez dommageable dans les milieux
libertaires mais à la limite passons car ce serait presque
anecdotique dans le fond de l'affaire.
Donc ce qu'on peut
essayer de voir, c'est la faiblesse peut être à la fois de la
réaction de l'Echappée, de l'analyse qu'ils en ont faite qui n'est
absolument pas celle de dire que le problème c'était Michéa,
et de finalement faire une réponse qui est celle de mettre en garde
les gens de la tentative de ceux-ci (nv : l’extrême-droite) de se rapprocher des milieux libertaires de manière
générale, ce qui est une contre vérité puisque eux-mêmes sont
allés chercher cet individu parce qu'il allait développer un papier
sur Jean-Claude Michéa.
Donc les origines
intellectuelles probables de cette publication ont quand même permis
l'incursion de cet individu au-delà d'une stratégie, de ce qu'on
pourrait dire une triangulation politique historique menée par la Nouvelle Droite depuis 40 ans. Pour expliquer ce qu'est cette
triangulation politique, elle se saisie de certaines thématiques
d'extrême-gauche, du mouvement libertaire, et elle les réinjecte à
sa sauce pourvu qu'elles aillent dans le sens d'une thématique qui
soit toujours celle de défendre une vision darwinienne, identitaire,
celle de l'enracinement, celle d'une considération élitiste du
monde. Et en l'occurrence tout ce qui est défendu par la nouvelle
droite dans cette démarche là c'est ce qu'on appelle nous la
triangulation, et qui est menée comme offensive après 68 comme une
tentative de récupérer du terrain sur le terrain de ce que eux
appellent le métapolitique.
C'est vrai qu'ils
n'arrêtent pas de se revendiquer de Gramsci
et de tous ces auteurs-là qui ont été des intellectuels qui
travaillaient ou qui ont réfléchi sur le métapolitique, sur
l'idéologique, sur l'intellectuel, dont ils se revendiquent. Mais là
on n'est pas face à ça, on n'est pas face à une triangulation
politique de l'extrême droite, enfin de la Nouvelle Droite par
rapport aux libertaires, mais ce sont les libertaires qui vont
directement, via Michéa, chercher cet individu qui a la
capacité de venir pondre un papier comme ça.
Alors, tout cela et les
Editions l'Echappée d'une manière générale, n'ont pas
beaucoup d'importance à nos yeux et c’est presque anecdotique, le
plus important étant Michéa. Evidemment, on ne confond pas
du tout les idées de Michéa et de la Nouvelle Droite avec
l'Echappée qu'on soit clair. En revanche on pense que c'est
un petit peu léger de se défendre de cette manière-là et
d'appeler à la vigilance alors que eux-mêmes ont manqué de
vigilance. Et que leur défense est donc un peu faible.
Alors est-ce qu'on peut
essayer d'analyser un peu les origines du fait que l'Echappée
en vient aujourd'hui à publier Michéa. Nico est-ce que t'as
une petite analyse là dessus ?
Nico : Sur le origines,
tu veux dire sur qu'est-ce qui fait que l'Echappée en vient
aujourd'hui à publier une contribution sur Michéa ?
Paul : Oui
Nico : Ben écoute y'a
beaucoup de choses. On sait que Michéa avait une certaine influence
dans certaines publications anarchistes. Je me rappelle qu'il avait
eu un compte rendu positif d'un de ses bouquins dans la revue A
Contretemps, je crois que c'est çà. Il avait eu une interview
publiée sur le Jura Libertaire qui venait de je sais plus où.
Donc bon après, je ne sais pas exactement à quel point il était
influent dans les milieux libertaires. Bon j'ai déjà vu des gens le
lire, d'ailleurs je l'ai lu moi même à une époque.
Après Michéa
en tant que tel je ne sais pas mais quand je le vois ce que je me dis
avec la sélection d'auteurs c'est que je ne suis pas certain que
Michéa soit tellement divergent dans ses positions par rapport à
des auteurs comme Christopher Lasch, Dany-Robert Dufour, ou
même tous les anti-industriels qui sont présents dans ce bouquin.
Je me dis que ce ne serait pas tous les auteurs que j'irais jeter à
la poubelle mais il y a quand même un certain nombre d'auteurs qui,
dans leurs analyses politiques, font une critique du libéralisme
-qui n'est donc pas une critique du capitalisme- qui confondent
libéralisme économique et libéralisme politique avec lesquels on
peut finalement très facilement introduire des thématiques
d'extrême droite, tu vois. Dire par exemple que la libéralisation
des droits pour les homosexuels ou les sans-papiers c'est une façon
de renouveler le libéralisme économique et de permettre au marché
de se répandre, enfin bon, le genre d'interprétation qui sont des
interprétations d'extrême-droite, et qui sont à mon avis partagées
au moins par Michéa, peut être en partie par Dufour
aussi.
Donc il y a ça, et
après je pense que dans leur vision de la société ce sont des gens
qui s'appuient beaucoup sur les traditions, qui pensent que le marché
détruit toutes les traditions sur lesquelles on pouvait s'appuyer
pour, soit disant, aller vers un monde plus émancipé. A mon avis,
on peut voir aussi dans les courants anti-industriels que ce sont des
idées qui ne sont pas forcément automatiquement partagées mais
que, par exemple pour l'EDN (Encyclopédie des Nuisances) ou des gens
comme ça, c'était clairement des positions sur lesquelles ils en
étaient venus.
Il faut déjà dire que
ce sont des positions qui ne sont pas du tout les nôtres, qu'il n'y
a aucun monde pré-capitaliste ou traditionnel sur lequel on devrait
s'appuyer pour se débarrasser du capitalisme, comme par exemple la
famille comme Christopher Lasch aime bien, c'est pas notre
truc.
Paul : Je pense que tu
dis des choses assez justes. C'est à
dire qu'il y a une sélection d'auteurs qui est le révélateur de
l'affaire Michéa.
Nico
: Ben en fait y'a une affaire à triple niveau, là.
Paul
: Oui, exactement.
Nico
: Le fait que le texte sur Michéa a été confié à un facho, c'est
peut être le truc le plus grave même si c'est à un niveau
spectaculaire, bon ça reste quand même le truc le plus grave. Il y
a le fait que Michéa soit encore publié, et pour moi aussi
le fait que tous les auteurs qui sont publiés, par exemple ce texte
sur Moishe Postone, qui en tant que tel n'est pas Michéa et ne
finira pas récupéré par la droite ou l'extrême droite, est un
auteur qui comme beaucoup d'auteurs a des positions très
discutables. Pour lâcher le truc, aucun des auteurs dans leur
sélection n'a un point de vue de classe. Ça c'est quand même le
truc qui me parait le plus évident.
Paul
: Je pense qu'effectivement c'est le grand truc. Alors il faut quand
même qu'on précise que ce n'est pas par anti-intellectualisme qu'on
fait une critique, qu'on peut faire une critique des intellos qui ont
signés ce bouquin et qui s'affublent du terme de spécialiste sans
avoir décelé la misère du michéisme, parce que c'est ça la
vraie arnaque; que les gens s'affublent de l'étiquette spécialiste "de"
et sont capables de laisser passer, et d'ailleurs de ne pas réagir
puisque finalement depuis quelques temps il n'y a pas de réaction de
l'Echappée, il n'y a pas de réaction des intellectuels et des gens
qui produisent du discours de manière spécialisée sur des penseurs
et payés par l'Etat. De réaction là dessus, niet, rien.
Moi j'aurais voulu
avoir une réaction officielle de ces gens là, le soutien, le
dénigrement, et je pense qu'ils font la politique du dos rond ou de
l'absence parce qu'ils ont compris que dans l'aspect médiatique des
choses il valait mieux fermer sa gueule plutôt que de l'ouvrir sinon
on se fait tomber dessus donc je pense que c'est finalement
stratégiquement bien vu. Cela dit, on ne peut pas laisser passer que
cette sélection d'auteurs, avec Michéa à l'intérieur de ce
bouquin et de tout ce qu'il colporte, soit dans une problématique
libertaire, d'émancipation ou de classe.
Il faut voir quand même
l'ontologie comme nous on l'a mis plusieurs fois sur notre site avec
des fragments de discours de la pensée michéenne qui est
systématiquement encensée aussi bien à l'extrême droite qu'à
l'extrême gauche, plus du côté libertaire d'ailleurs, qui est
assez incroyable. On a une critique du "sans-frontièrisme", un éloge
de l'enracinement, tout çà d'ailleurs sous l'égide de Marcel Mauss et du caractère maussien d'analyse du Mauss. Tout
çà quand même vient donner un vernis à peu près
scientifico-humanisme à tout ça d'ailleurs, ce qui est assez
incroyable.
Mais toute cette
problématique de Michéa n'est quand même absolument pas
critiquée dans les milieux libertaires et que celui-ci passe à côté
d'auteurs, qui sont d'ailleurs assez suspects, comme Michéa
en fait partie, c'est quand même un vrai problème. Et en
l'occurence un auteur que Michéa connait quand même
vachement bien, c'est Christopher Lasch. Et il ne faut pas se
tromper. Si Michéa a choisit Christopher
Lasch et l'a mis depuis quelques années au devant de la
scène ce n'est pas pour rien. Je pense qu'ils ont une convergence de
pensées, une convergence de problématiques, que ce sont des
penseurs anti-progressistes -et on peut faire une critique du progrès
sans être "laschien" ou "michéiste" y'a pas de problème et puis une
problématique de défense de valeurs familialistes qui seraient
celle de la défense des valeurs de la common decency, de la décence
commune chère à Michéa.
Alors, on s'est quand
même hasardé à lire le dernier numéro d'Eléments (nv: revue de la Nouvelle Droite). Il se
trouve que Alain De Benoist fait un éloge et défend de
manière assez suspecte -on n'ira pas dire qu'il y a des accointances
peut être en dessous de main on sait pas trop- mais qu'il s'amuse à
défendre Michéa d'une manière incroyable face aux deux tartufes
de l'économie politique que sont Lordon et Corcuff
peut être qui se sont amusés à mettre des crocs en jambe à
Michéa. C'était pas dur mais bon, ils l'ont fait un tout
petit peu après que les bouquins aient décantés...
Enfin voilà, on peut
tirer le fil de tout ça, quand on a des auteurs comme Jacques
Ellul, Illich, Zigmund Bauman, Pasolini, (Le contributeur de la notice Olivier Rey proche de la Nouvuelle Droite) Christopher Lasch, Michela Marzano, cette députée du centre gauche érigée en penseur
féministe... Enfin, il faut quand même mettre en relation les
paroles et les actes. Une féministe parlementaire au sein d'une
institution bourgeoise, il y a un problème de mise en équation
entre les paroles et les actes. Je pense que c'est peut être ça la
coupure ; à un moment donné tous ces gens qui produisent du
discours sont complètement en déconnexion par rapport à ce qui
peut être vécu par les individus, jusqu'au point d'oublier que ce
qui est écrit (nv: mais surtout ce qu'ils font) est quand même
vachement important.
Nico : Moi ce qui
m'interpelle aussi c'est que finalement c'est un bouquin qui dit voilà on vous présente "20 penseurs qui sont radicaux".
Bon déjà après que chacun indépendamment le soit ça reste à
prouver, mais 20 penseurs qui ne pensent pas la même chose, une
pensée radicale, bon je me dis tu peux pas défendre tout et son
contraire. Tu ne peux pas avoir 20 penseurs qui défendent l'un une
chose et l'autre son contraire et parler de radicalité. Pour moi
c'est une bouillabaisse, c'est tout. Je disais ça par rapport au
fait que, bon alors je n'ai pas lu je ne la connaissais même pas la
féministe, là, de gouvernement. Mais bon enfin, quand tu places une
auteure féministe, même si c'est de gouvernement, tu ne places pas
à côté Michéa, Dufour ou Lasch qui pour moi ne sont pas
féministes pour un sou...
Paul : C'est clair.
Nico : Enfin je ne sais
pas si on peut rappeler un peu.
Paul : Ben oui, ils
sont absolument pas dans une lignée zeimourienne (4) mais ils sont très
freudiens, très "chacun à sa place", et les boeufs seront bien gardés,
y'a pas de problème là dessus.
Nico : Entre Michéa
qui s'inquiète des formes matriarcales de domination par la
suggestion (n'importe quoi), et Dany-Robert Dufour qui trouve que les
théoriciennes du genre vont trop loin et qu'après tout quand même
l'homme a un pénis turgescent... Et puis Christopher Lasch qui
n'est pas du tout clair sur l'avortement...
Paul : Il est pas clair
sur l'avortement et son dernier bouquin qui a été publié je ne
sais plus chez quel sombre édition (nv: François Bourin Editeur ) fait carrément l'éloge de la
famille. Mais la plupart de ces auteurs, enfin moi j'y vois quand
même quelque chose de transversal qui les rassemble finalement. Que
ce soit Illich, Ellul, Marcuse, parce qu'il y a Marcuse dedans-,
enfin tous ces gens là il y a une ligne particulière qui est celle
d'être particulièrement aspect anti-technologique, celle d'être
anti-tekhnè presque au sens heideggerien du terme dont Marcuse en
l’occurrence a quand même été élève, comme d'ailleurs notre ami
Günther Anders. Tous ces gens là dégagent une ligne de fond qui est
très anti-technologique, par exemple Günther Anders qui s'est opposé
à la bombe H, légitimement d'ailleurs, ou Marcuse qui a développé
une théorie de l'intégration du prolétariat jusque dans les
manifestations technologiques de son intégration. Tout ça peut
être mis en relation avec cette critique qu'Ellul avait de la
technologie et des techniciens, ou d'Illich sur cette décroissance,
par exemple avec sa critique de l'automobile... bon on ne peut pas
dire que ce soit illégitime, il y a des choses justes dans ce qui
peut être dit de manière générale.
Nico : Je pense que
nous on n'est pas des anti-technologie, on n'est pas non plus des
pro-technologie, mais simplement pour nous le point central de notre
analyse du monde c'est pas la technologie. Quand on veut caractériser
la société on parle de la société capitaliste, on ne parle pas de
la société industrielle, ou de la société technologique,...
Enfin, l'agent principal de la domination ce n'est pas la
technologie, c'est le capital. Donc, voilà, évidemment le monde
capitaliste a besoin de la technologie pour se développer, pour
augmenter sa composition organique, ou même pour des choses dont on
a parlé tout à l'heure ; surveiller le prolétariat -avec l'exemple
de la vidéo surveillance dont on a parlé tout à l'heure- mais tout
çà s'intègre dans un rapport de classe. C'est pas la technique
autonomisée, c'est pas un projet de destruction du monde, même si
après la conséquence çà peut aussi être çà, mais c'est pas la
cause
Paul : Alors c'est peut
être ça justement qui est soulevé derrière, c'est que, tous ces
penseurs qui sont sélectionnés et qui sont présentés comme
radicaux ont cette particularité, presque tous de manière générale,
d'avoir considéré que la technologie était quelque chose
d'autonomisé. Et ça peut se discuter d'ailleurs, on peut discuter
cette thèse. Le souci c'est que ça nous mène à des choses très
particulières en terme d'écho et de conséquences intellectuelles,
c'est pas innocent. Bon après on peut parler de penseurs très
particuliers, par exemple Zygmunt Bauman.
Nico : Je ne sais pas,
je ne le connais pas
Paul : Pour le peu que
j'ai pu lire de Zygmunt Bauman sa particularité c'est de théoriser
la liquidité des rapports capitalistes, où les rapports
inter-individuels seraient vus maintenant comme liquides par rapport à une société solide. Mais bon, quand on
le lit, il n'y a franchement rien de nouveau par rapport à quelqu'un
qui aurait lu le capital ou qui aurait lu Karl Marx. Enfin,
sincèrement on n'y apprend pas grand chose si ce n'est qu'il a
réussi, lui, à transformer un concept vieux de deux cents ans. Il
parle de liquidité et de solidité. Mais ça, tout le monde sait
que le capitalisme défait ou transforme tout. Il transforme tout ce
qui passe dans ses mains en marchandises. C'est la métaphore qu'a
filée Bauman en passant de la solidité à la liquidité, mais il
y'a rien de nouveau. Rien de nouveau sous le soleil.
Mais moi j'ai
l'impression quand même que les points communs entre tous ces
penseurs là c'est d'être assez dans une problématique de la
décroissance, d'une critique de la technologie, et d'une critique
peut être légitime des courants trans-humanistes ou d'une éthique
de la nature où on peut avoir des interrogations là dessus, mais
jusqu'au point que l'Echappée en fasse des penseurs radicaux, je
pense qu'ils donnent le bâton pour se faire battre parce que tant
que tu réinjectes pas -comme je le disais tout à l'heure- une
problématique de classe et une problématique de remise en cause
véritable et profonde radicale pour le coup du capitalisme, la
seule chose qui est proposée, quand on en reste à la superficialité
de ces critiques, c'est simplement soit l'alternative, soit la
décroissance "dans-ton-coin" absolument désincarnée des
rapports sociaux de production et de la manière dont les choses
structurent les rapports entre individus, et puis finalement, en
viennent à idéaliser des formes, comme tu le disais, quasiment
archétypales, trans-historiques, des rapports inter-individuels que
seraient la famille, les relations sociales.
Bien sûr que les
choses sont mouvantes, bien sur que les choses se décomposent, se
recomposent, mais s'il y a de l'anomie sociale, il ne faut pas
confondre les zones de recomposition sociale d'un moment avec des pertes de repères. Je pense que les choses sont en
permanente recomposition ; que ce soit la famille, les liens sociaux,
les rapports à l'intérieur même des entreprises, et je pense qu'on
est plus face aux vases communicants que face à la perte d'un passé
idéalisé. C'est à dire que si la famille se décompose par exemple
c'est pour le meilleur et pour le pire de quelque chose qui va se
recomposer, de toute façon.
Nico : Oui ben la
famille n'a jamais été souhaitable et elle n'a pas disparue.
Paul: On est d'accord.
Il y a cette sélection de psy lacaniens, ce qui est assez incroyable
d'ailleurs, y'a Lebrun, Melman, qui sont tous des psy lacaniens qui
sont proposés dans une sélection qui est faite par Anselm Jappe
dans ses prochains séminaires. Donc on voit quand même qu'il y a
tout un mouvement de fond très particulier de penseurs qui sont
présentés comme étant peut être à la source d'une certaine
réflexion, mais de là à en faire des penseurs qui permettent une
réelle critique du monde, et radicale pour le coup, là je reste
assez sceptique.
Mais pour aller à la
racine du phénomène, moi je vois dans cette sélection d'auteurs
quelque chose qui, sans vouloir psychologiser, est peut être relatif
au parcours des gens qui sont à la tête des Editions l'Echappée.
On a quand même des gens qui ont des formations scientifiques, on a
l'impression que c'est une espèce de formation contrariée.
Certains sont ingénieurs à l'UTC (5) ou je ne sais où. On a
l'impression quand même que c'est quelque chose de contrarié, qui
se pose des questions, que c'est un peu culpabilisé.
Ca va jusqu'à
justement publier Pièces et Main d'Oeuvre
qui a la particularité (cette niche éditoriale) de publier
des choses ces derniers temps d'ailleurs assez bizarres, par exemple
avec ce réactionnaire de service anti-homos qu'est Hervé Le
Meur - qui pose problème, parce qu'ils ont tiré le fil de
quelque chose qui va jusqu'au bout de son délire. Donc j'ai
l'impression quand même que ces gens là ont un parcours particulier
ou ont eu des relations avec tout un courant issu de Golias, de Paul
Ariès, qui est quand même un courant très "décroissantiste" on va dire comme ça, en participant au Sarcophage, en participant
à la Décroissance. Il y a cet espèce de virus de la décroissance
à l'intérieur de ces structures éditoriales qui tire le fil
jusqu'au point de publier ce qui leur a permis de réfléchir, de
penser, et de construire une forme de radicalité. Le problème c'est
qu'il y a quand même des penseurs derrières qui ont des discours
assez puants quand même. Qui ne font pas de critique de l'Etat,
tout ça au bénéfice d'une forme de localisme de la gestion des
humanités, ce qu'on peut comprendre mais à ce compte là on fait
des commerces équitables.
Nico : Non mais c'est
une maison d'édition anarchiste et là je ne vois même pas un seul
auteur anarchiste dedans...
Paul : En tous cas ils
se revendiquent du mouvement libertaire, mais tu disais à juste
titre qu'on a abandonné des concepts, ce qui permet à ces auteurs
là de se présenter comme des penseurs radicaux parce qu'on a
abandonné une théorie du prolétariat pas celle du peuple, qui est
une notion très droitière instrumentalisée par la droite ou par la
gauche d'ailleurs parce que le peuple on ne sait pas qui c'est mais
ce n'est pas le prolétaire, qui n'a pas les mêmes intérêts que
les patrons, c'est une notion éminemment ambiguë et je crois aussi qu'on a abandonné un perspective classiste comme tu disais.
Nico : Après je pense
que s'il y a beaucoup de théoriciens qui ont abandonnés la
perspective classiste c'est aussi parce qu'on ne peut plus la voir de
la même façon qu'à l'époque où le mouvement ouvrier était fort.
Qu'aujourd'hui on ne peut plus penser la révolution de la même
façon. On ne peut plus penser le rapport prolétariat/capital de la
même façon. Quand je dis le rapport prolétariat/capital, c'est
peut être dans les termes "objectivistes" ; c'est le
rapport entre le travail productif et le capital, c'est à dire la
valeur qui se valorise. A mon avis, c'est ce rapport qui reste le
noyau du mouvement historique, et à moins de penser que la solution
puisse venir d'un mouvement extérieur -mais je ne vois pas lequel et
je n'en vois pas- c'est bien dans ce rapport entre prolétariat et
capital qu'il faut voir comment les classes peuvent être abolies
Paul : Et est-ce que
c'est pas une vision un peu trop localiste et franco-centrée de
l'affaire ? Parce que quand on sort un petit peu de ce truc du
commerce équitable... Est-ce que le fait qu'on ait abandonné la
perspective classiste ne serait pas justement due au fait que
l'analyse s'est focalisée uniquement sur l'aspect local des choses ?
A partir du moment où
l'on considère qu'il suffit d'être décroissant en Europe, de
produire local pour éviter les échanges nord/sud, alors que le
prolétariat, et même les ouvriers d'usines, sont en expansion au
niveau mondial, que le bidonville est plus l'avenir du capitalisme
que les métropoles pleines de classes moyennes, où on a théorisé
l'intégration du prolétariat comme l'ont fait Marcuse et beaucoup
de ces auteurs là qui ont abandonné beaucoup d'outils qui
permettent de penser véritablement le rapport de suggestion et de
domination du capital, à partir de ce moment là qu'est-ce qui
empêche ces gens-là de considérer que la seule optique à défendre
c'est celle de l'alternative, du "produisons local", du "on
va faire nos confitures bio et nos bouquins dans une boite autogérée
et on va s'en sortir comme ça ?
Parce que je pense
qu'il y a des traditions comme ça dans les courants
révolutionnaires. Il y a des courants plus pédagogistes, plus
insurrectionnalistes, plus alternativistes. Je pense qu'ils ont fait
ce choix là en terme pratique parce que ça leur correspond plus
particulièrement dans leur production éditoriale et dans tout ce
qui tourne autour des Editions l'Echappée. On pense à l'OLS, on
pense à Quilombo. Enfin, on voit bien que tout ça est une espèce
de collectivité alternative même s'ils ont une visée
révolutionnaire.
On voit bien quand même
que c'est une gestion de l'alternative. Est-ce que la pratique ne
réagit pas sur la théorie finalement ? Est ce qu'ils n'ont pas
théorisé leurs propres pratiques ? C'est à dire qu'à force d'être
dans l'alternative si tu fais ta boulangerie autogérée par exemple
(il y avait un très bon article de Rue89 là dessus qui est assez
comique) comment tu veux théoriser la subversion ou la
transformation sociale si ce n'est par le bout de ta petite lorgnette
de boulangerie autogérée ? C'est très difficile. Alors à moins
d'être très conscient et de te dire que tu fais ça pour bouffer.
Mais il y a des gens qui ne vont pas plus loin que ça "c'est
ce que je fais, c'est ce que je veux", qui sont dans une espèce
de propagande par le fait, par l'exemple, comme çà a été très
courant dans l'anarchisme "je fais ce que je dis". Le
problème c'est que çà reste de l'alternative et je suis soumis aux
mêmes catégories du capitalisme que les autres structures
d'éditions, de vente de livres ou de petite entreprise qui est
obligée de faire du profit et de dégager des marges parce que les
charges augmentent, parce qu'il faut payer le local, les imprimeurs,
et peut être de faire venir les bouquins de l'étranger, qui sait ?
Je pense qu'on a quand
même abandonné une perspective de transformation totale, unitaire,
et que la critique est vachement morcelée.
Nico : il y a aussi un
autre aspect qui permet ça dans le genre de théories qui là sont
présentées, c'est que beaucoup de ces théories, comme Marcuse, et
comme c'était le cas à peu près de toute l'Ecole de Francfort à
un moment donné, et les anti-techs, ont une vision du monde comme
quelque chose de fermé, d'unidimensionnel où, par exemple pour les
anti-techs il n'y a plus que la dimension autonome de la technologie
à laquelle on est soumis, voire où on est passé de l'autre côté
en devenant nous mêmes des robots. Le bouquin de Marcuse par exemple
il s'appelle l'homme unidimensionnel et pas "la
société en contradiction, tu vois ? A partir de là,
qu'est-ce que tu veux avoir comme perspective ? Il n'y a rien dans
l'organisation sociale qui permette une rupture radicale. Tout ce
qu'ils peuvent faire c'est la politique des petits pas et des petits
pains autogérés.
Paul : Bien sûr, mais
tu l'as dit, le problème c'est quand même la spécialisation
militante. Les gens développent leur niche politique jusqu'au point
d'en venir à une caricature d'eux mêmes. C'est à dire qu'il y a
des gens qui ont trouvé d'être des anti-techs (et je suis près à
mettre en cause beaucoup de choses au niveau la technologie dont je
pense que 90% de celle qui est utilisée ne sert à rien) mais tirer
le fil jusqu'au point d'être spécialiste et de considérer une
partie pour le tout de l'analyse c'est un peu comme si je ne faisais
mon analyse comme certains l'ont fait- que sous l'égide du Spectacle, ou de la prison, ou du féminisme, ou des luttes de genre.
Chacun garde son petit pré-carré de sa lutte spécifique et
considère que tout tourne autour de son petit concept qu'il a
élaboré au point d'en devenir le spécialiste et de tout analyser
au travers de cette lorgnette là, en pensant que tout se passe
autour de la technologie par exemple... Après il y a des choses
intéressantes, bien évidemment, mais le problème c'est qu'on va
jusqu'au bout du concept, et qu'en tirant le fil il y a des choses
assez puantes qui viennent.
Nico : Par exemple on a
déjà souvent parlé de l'anti-fascisme qui peut finir à la gauche du capital, là c'est carrément des trucs qui peuvent finir à la
droite du capital, aussi.
Paul : Comme on le disait sur notre post sur Indymedia, il y a une éthique de la nature qui est très ambiguë et qui est agitée sous prétexte que, par exemple pour la Procréation Médicalement Assistée (PMA), comme on ferait pas des enfants avec un coït "normal" et que ça se passerait pas dans un rapport de face à face d'homme à femme, tout cela ne serait pas normal et l'humain serait complètement zappé. Alors je ne sais pas si les anti-tech vont jusqu'au point de critiquer la PMA. Peut être que certains iraient critiquer la GPA (gestation pour autrui) , certainement. Il est évident que ces questions doivent être mises en débat mais de là à le critiquer au point de naturaliser les rapports humains en disant que finalement ce qui est normal c'est qu'un homme et une femme fassent un enfant, et qu'il faut qu'ils le fassent en face à face et pas en levrette -je dis une connerie- ce qui était quand même plus ou moins l'argumentaire de Le Meur qui était sur le site de PMO, on en arrive jusqu'à des absurdités où on naturalise les rapports humains jusqu'au point de dire que l'amour normal c'est un homme, une femme, papa et maman. Mais c'est ce que pourraient aussi très bien dire Lebrun, Dany-Robert Dufour, CharlesMelman, et tous ces psychanalystes lacaniens qui ont vachement théorisé pour le coup le tryptique oedipien.
Et paradoxalement
d'ailleurs les Editions l'Echappée disent "ouai, nous on veut
critiquer des gens comme Deleuze, Guattari..." ce qui est assez
légitime et on est d'accord. Le problème c'est que Deleuze ou Guattari avaient quand même le mérite de critiquer la problématique oedipienne, en tous cas en la foutant en l'air, peut être
maladroitement, un peu comme une bouillie intellectuelle, mais au
moins avec la possibilité de faire voler en éclat ce petit schéma
bien carré de papa, maman et moi, et de relativiser justement le
caractère trans-historique de l'oedipe.
Mais sinon j'ai aussi envie de parler de ces éditions là en disant qu'il faut réinjecter du matérialisme, de la lutte des classes, de la critique de l'économie politique et de l'internationalisme, des choses qui nous permettent d'avoir une perspective qui nous permette de rompre avec toutes ces merdes politiques qui sont quand même des conceptions de curés -je pense à Ellul et à Illich qui me tombe des mains-, et surtout de mettre les gens face à leurs pratiques politiques. C'est à dire que c'est bien d'écrire des textes et d'être un spécialiste mais à un moment donné il faut aussi aller distribuer des tracts. On ne peut pas s’enorgueillir de ne pas être à l'image de ce qu'on est, il y a un minimum de cohérence à avoir.
A un moment donné on ne peut pas être un penseur appointé par l'Etat et produire des textes soit disant radicaux dans une petite chaire sans aller distribuer un tract ou participer à une conférence avec des ploucs qui comprennent rien -comme nous par exemple parce qu'on est un peu ça-. Et je pense que les gens se sont éloignés et que cet autoritarisme qui transparaît par le titre leur font passer beaucoup de saloperies.
Alors je pense qu'ils
vont s'en tirer parce que le ventre mou du militantisme a une
capacité d'absorption assez grande qui fait que tout ça passera
finalement comme une lettre à la poste et qu'ils n'auront jamais à
se justifier, mais je pense qu'on a tout intérêt à se défaire de
cet autoritarisme. Je ne dis pas qu'il faut chasser les intellectuels
des structures militantes mais qu'il faut travailler l'intellectuel
collectif à l'intérieur des organisations, peut être en cultivant
l'anonymat pour ne pas qu'il y ait des individus qui deviennent des
petites stars de la pensée. Il faut travailler la collégialité des
débats et des interventions pour ne pas qu'il y ait justement ce
type d'individu qui puisse se permettre de déléguer tel ou tel
petit boulot sans savoir à qui il l'a délégué. Et je pense qu'on
a tout intérêt à faire ce travail de méditation justement pour
éviter de faire que tout ça s'autonomise et permette l'incursion
de mecs qui n'ont pas intérêt à apparaître dans les structures
militantes proches de nous, à vrai dire.
Nico : Là on parle de
certains intellectuels ou d'éditeurs de bouquins mais mon impression
c'est que le genre d'idées que les auteurs présentés développent
sont quand même assez répandues dans le milieu dit "activiste",
et même pourtant chez des gens qui ne lisent pas forcément
tellement de bouquins. Bon moi je suis pas un
sociologue-de-comment-se-répandent-des-idées mais tu as raison
quand tu dis qu'on n'est pas en train de faire de
l'anti-intellectualisme, au contraire. Il faut qu'on se réapproprie
certains concepts de base qui permettent de comprendre qu'est-ce
qu'on fait et dans quel monde on vit, tout simplement, et comment on
peut le dépasser
Paul : Oui et puis
éviter de se laisser imposer, par je ne sais quel spécialiste, des
gens qui seraient soit disant radicaux. Des spécialistes radicaux de
penseurs radicaux, c'est quand même incroyable!
Nico : Parce que si on
veut dépasser la division du travail et qu'on se revendique
spécialiste, c'est déjà un problème
Paul : Ça c'est le
vrai problème des structures militantes qui ont tendance eux mêmes,
à l'intérieur de leurs organisations, à séparer les intellectuels
des manuels.
Mais il y a un truc
qu'on n'a pas encore développé et qui parait très intéressant. Ce
fil, pour moi, qui est propre à ces éditions, je pense qu'on peut
aller le chercher encore plus loin. Pour moi, il va jusqu'au point de
la décomposition de l'Internationale Situationniste (IS). C'est à
dire que depuis que l'IS s'est décomposée, les derniers ouvrages de
Guy Debord ont donné la possibilité à un courant vaguement
écolo-technophobe de se développer jusqu'au point de donner
naissance à des productions, très étranges pour le coup, qui ont
leur source dans l'Encyclopédie des Nuisances (EDN) qui ont
développé parmis les premiers, sur une base très debordiste,
toute une thématique anti-technologie, celle de la critique de la
restauration d'oeuvres d'art (nv : goût de l'authentique), ou par
exemple Theodore Kaczynski avec Unabomber qui lui même
était mathématicien et qui envoyait des colis piégés aux
Etats-Unis parce qu'il était très anti-tech -qui était un grand
malade faut dire ce qui est.
Je pense que ce fil là
a été tiré dans sa thématique anti-tech. Et puis je pense à
certains bouquins de Jaime Semprun qui sont assez étranges et
élitistes, et notamment au dernier bouquin de Dwight McDonald
-considéré comme le Orwell américain, édité par l'EDN, qui
s'appelle une tragédie sans héros dont le choix de
texte repris est assez significatif, avec cet article qui s'appelle
culture de masse où le pauvre Dwight McDonald qui
n'a rien compris à la culture populaire en vient à relégitimer la
"culture d'élite" où on voit que tout un pan de cette
critique menée par l'EDN, tirée par tous ces gens là, a été de
stigmatiser les catégories populaires sous prétexte qu'elles
n'étaient pas élitistes. Et on pense notamment à ce que peut dire
Michéa quand il parle de l'enseignement de l'ignorance et de la
fameuse baisse du niveau en milieu scolaire.
Je pense donc à cette
critique anti-technologique qui est faite par l'EDN jusqu'au point de
défendre la production de roquefort, les traditions populaires,
jusqu'à stigmatiser toute cette "horde de banlieue et de
barbares" qui ne vivent que pour une chose “accéder à la
marchandise”. Je pense que tout ce climat là aide à paraître et à
être repris dans les milieux libertaires en ayant cette caution à
la fois donnée par la respectabilité de l'EDN et du parcours des
individus qui avaient eux mêmes été adoubés par des gens proches
de l'IS. A mon avis, tout ça a permis à ce discours de passer.
C'est à dire que quand
Michéa se revendique de Debord dans ses premiers bouquins lui même
ne s'est jamais revendiqué d'être anarchiste, il vient plutôt du
parti communiste et du stalinisme; quand l'EDN via Jaime Semprun
publie des trucs assez bizarres sur les "banlieusards", les
"barbares",
"ah-le-goût-de-la-confiture-madame-vous-comprenez-c'est-plus-ce-qu'il-était";
quand vous avez tout un discours contre la technologie, il faut bien
comprendre que tout ça a donné une matrice intellectuelle qui a
permis à tout ce discours de se positionner de manière légitime et
respectable parce que porté par des gens qui étaient respectables à
une époque.
Moi je veux bien que
René Riesel qui était respectable en 1968 avait des choses à
dire, mais est-ce que pour autant maintenant il doit être écouté
comme si c'était un pape, ou un pope ? Non, moi je crois qu'il peut
écrire des choses bêtes. D'ailleurs le dernier bouquin qu'il a pu
écrire à l'EDN est de très mauvais niveau et même une
social-démocrate comme Naomie Klein écrit des choses bien
meilleures que lui sur les catastrophes et la manière dont elles
sont instrumentalisées par les capitalistes.
Pour dire qu'on a perdu
de vue ce que sont les classes, ce qu'est un rapport social, et parce
qu'on a abandonné aussi une matrice intellectuelle qui était celle
du matérialisme. On a abandonné nos perspectives
internationalistes. On a abandonné aussi le fait qu'une révolution
ne se menait pas au niveau local mais au niveau international et que
si ce n'était pas le cas, c'était une escroquerie car il n'y a rien
de possible au niveau national.
Sous tout cela aussi,
l'aval qui est donné à Michéa par le Mauss -qui seraient soit
disant des gens de gauche alors que ça reste vraiment à voir-,
sous l'égide de cette scientificité du don ou de la common decency
qui permettent à tout ce discours là de passer sous prétexte que
ce serait dans les classes populaires donc c'est bon. Moi je suis
désolé, si les classes populaires vont manifester à Quimper avec
des fachos, je ne les suis pas. Ce n'est pas parce que les masses
populaires votent Marine Le Pen ou votent Adolphe Hitler qu'il faut
les suivre. Les gens peuvent se tromper. Sinon c'est faire de
l'ouvriérisme débile.
Nico : Et puis sur
l'élitisme et ce que tu disais sur "les barbares", je
trouve que c'est à la fois assez révélateur en soi, mais ça ne
m'étonne pas étant donné de toute façon que pour eux le monde il
est clos, il est foutu, que l'humanité entière a été intégrée
et transformée par le monde technologisé, etc. A partir de là,
c'est même pas qu'on ait abandonné le prolétariat comme sujet
révolutionnaire, c'est qu'il n'existe plus du tout. Qu'il n'y en
aura plus. Et à partir de là, évidemment, on peut insulter tout le
monde
Paul : Oui, et puis les
gens se saisissent de ce qui reste. Il reste quoi ? Des analyses
uniquement culturalistes. Alors il ne resterait uniquement que des
luttes de civilisation, tout cela se situerait au niveau des "cultures". On ethnicise les rapports sociaux, ce qui donne de la part
de Michéa une critique du "sans-frontiérisme". Il y a des notes dans
ses bouquins, c'est incroyable. J'invite quand même les gens de
l'Echappée et tous ceux qui ont participé au bouquin à lire
profondément Michéa.
Nico : A ce niveau là
moi je pense que ce sont des gens qui ont lu Michéa.
Paul : Mais voilà, moi
je peux pas croire que ces gens qui ont accès la pensée, qui sont
des “spécialistes”, n'aient pas lu Michéa !
Nico : C'est simple ;
soit ils ne savent pas lire, soit ils sont d'accord.
Paul : C'est là qu'est
le problème et c'est là que c'est grave. Ça fait partie de ces
recompositions problématiques qui ont lieu en ce moment, c'est à
dire que même à l'intérieur des milieux qui nous sont proches on a
des discours et des perspectives qui se mettent en place qui sont
assez problématiques. On ne dit pas qu'il ne faut pas réfléchir,
mais réfléchir avec ces penseurs là pose quand même un problème.
Je pense que les
origines des pensées structurent quand même des visions du monde,
en tout cas dans la production des discours intellectuels, et penser
qu'on peut réfléchir avec Pasolini, ou réfléchir avec tous
ces gens qui ont des origines très particulières, ça mène quand
même à des perspectives elles aussi très particulières. On ne
peut pas faire l'économie de penser qu'une pensée a un code presque
génétique dans tout ce qu'elle porte.
Un Ellul et un Illich,
ont des trucs inscrits dans leur pensée comme tous ces gens là qui
sont sélectionnés dans ces penseurs qui ont un code génétique de
pensée qui, quand on tire le fil, produit un discours particulier,
et on ne peut pas faire l'économie des origines intellectuelles de
ces gens là, et je pense de ne pas avoir fait les origines
intellectuelles d'un Michéa et des conséquences que ça avait,
c'était le maillon faible de tout ça.
Retranscription Février 2014
* La quête de reconnaissance de Charles Robin va jusqu'à reprendre l'émission sur son youtube. Un enfant du spectacle politique tendance Ray-ban. Si la contradiction est le moteur des choses, il lui manque beaucoup de cohérence....Charlie ! Encore un effort pour cesser de faire de la mauvaise épicerie. Nous nous associons à Mondialisme.org pour bien insister sur le fait que n'avons pas autorisé cet individu à reprendre notre émission ou à faire de lien avec Vossanie.org ou Mondialisme.org
NV=Note Vosstanie
(1) Maison d'Editions proche du mouvement libertaire. Son créateur/animateur C.Biagini en bon vrp n'hésite d'ailleurs pas, ceci dans une posture peut-être Habermasienne ? d'aller défendre son point de vue chez le réac fou furieux Alain Finkielkraut. La boucle est hélas bouclée. Michéa, la famille, le prêt à penser pro-Finki. Qui a pu contacter qui ? Bien sûr l'analyse reste au niveau de l'écume du rapport social total. Rien sur le rapport social capitaliste et la technologie mise au service de sa logique....Facebook c'est le mal, ça va trop vite pour le petit commerce certainement.
(2) Commerce du boutiquier Alain Soral. Vente de marchandises pour paranoïaques frustrés.
(2) Commerce du boutiquier Alain Soral. Vente de marchandises pour paranoïaques frustrés.
(3) Site d'informations d'extrême droite.
(4) En référence à Eric Zemmour.
(5) Université de technologie de Compiègne. Plus particulièrement à l'étrange COSTECH (démocratie électronique, développement de systèmes de suppléance perceptive, management des connaissances et des intangibles, pilotage des risques et développement durable…avec des partenaires industriels et société civil ?! ) mais aussi pour certains contributeurs à l' Institut Mines-Télécom, Télécom Ecole de Management. Il s'agit là de bon serviteurs de La "Tyrannie technologique" ?!
En savoir plus
Emission de radio 3ème partie.
Sur Michéa et ses conséquences.
De l'ontologie de Jean-Claude Michéa
-
L'agir communicationnel Michéen
Notre ennemi: Michéa
Lettre sur la confusion
LA DÉCROISSANCE PAR L’INCOHÉRENCE ?