Psychologisme de masse du capitalisme "financier"
En sortant de cette salle de cinéma ou nous sommes allés voir Margin Call, je me suis dit Francois Ruffin (1) peut aller se rhabiller et avaler quelques sabres rouillés...ce qu'il s'acharne à faire comme un sous-rentier de la dénonciation de la "finaaance" et des "200 familles" dans sa version moderne, ( Le Siècle) Hollywood le fait de manière bien plus convaincante et moins caricaturale que lui.
Il est toujours très
intéressant d'accéder à la vision mainstream de marge avec grosse
distribution d’acteurs, de la dénonciation du capitalisme dans sa
version “financiarisée" tendance US. Qui n'est pas si
éloignée que cela finalement d'une critique que pourrait bien
partager un militant du front de gauche ou le gauchiste moyen du NPA.
Margin Call est un film de tension, peut-être n'est-ce qu'un exercice de
style dont l'objet est circonstanciel, à la mode, un peu comme Paul
Jaurion ou Frédéric Lordon (tiens ça rime ! avec dindons
aussi...).
Si vous allez le voir
donc vous ne saurez pas grand chose des CDS (2) et autres subprimes.
En revanche, et ceci comme peut le dire le plus cynique de tous, le
"big big boss" de la boite d'opérateurs de marché dont il
est question, c'est de la merde dont il faut absolument se
débarrasser. Des vrais gens la prendront certainement en pleine
gueule mais de cela il n'est pas question...
La hiérarchie et ses
relais, tout aussi incompétents que sont les managers arrivistes,
étaient prévenus depuis quelques temps, qu'ils jouaient avec les
limites du « casino ». Ils n'ont pas écouté les mises en garde
d'un employé du risque viré dans la énième purge qui dégage les
faibles pour renforcer la secte des traders.
Ce plan social et la
découverte de positions financières catastrophiques (le big one
financier) qui planterait l’entreprise, seront les minutes
d'atermoiement qui permettront finalement aux affaires de continuer,
grâce ou à cause des ordres du grand patron luciférien. Sauve qui
peut avec la maille.
Grattes-ciel sans twin et
espaces vitrés froids, ordinateurs et grands écrans constamment
allumés sur les indicateurs boursiers, les moments de cette urbanité
étendue (en hauteur surtout) et illuminée donnent une atmosphère
clinique et polardesque à cette intrigue en milieu hostile et
permet rapidement aux lignes de fonds de se dégager. Il ne manque plus que le scalpel pour attaquer cette vue
de coupe du système financier ceci au travers hélas ! de la
psychologie des personnages...
Les thèses
du film comme paradigme d'analyse du système
capitaliste...financier.
De la gauche du capital jusqu'à Hollywood.
Ici point de héros en
collant, à cape ou à rétro-fusées, d'humanité attaquée par un
méchant monstre rouge ou communiste voir terroriste musulman c'est
selon.
Mais comme on de déroge
pas au dogme, script, ou à la bible d'Hollywood il faut bien un
sacrifié, ceci pour conserver cette communauté factice du capital
(nations, patries et autres fétiches mortifères) faite
essentiellement d'individus "libres" et de monnaie qui
circule. Toute l'utopie du « nouveau monde » en somme. Le profil du
coupable de cette "enquête" est identifié, sa
condamnation probable, sa rédemption peut-être encore une histoire
de billets.
Du psychologisme comme méthode.
Si le film est bien
léché, son montage est suffisamment sobre et lent pour laisser
quelque profondeur aux personnages même si la complexité des êtres
face au « métier » et au monde n'est possible que grâce à
quelques regards interrogatifs et des introspections froides. La
narration pointe petit à petit, dans la chaîne de la responsabilité
vers le haut de la pyramide. Cette pyramide des obligations fait des
traders des pantins grassement payés dont la seule obsession est de
gagner de l'argent, plus que les autres (si possible) et de gravir
l'échelle de « peintre » mais aussi, esprit d'entreprise oblige à
"faire le job". A ce niveau de rémunération à vrai dire,
les choses n'ont plus de sens ou d'importance. Y-a til simplement un
juste salaire ? Peu importe ici les mécanismes et la logique du
capitalisme son objet sa condition ses conséquences.
Comme on pouvait le
prévoir le film s'enfonce dans une explication anthropomorphe du
capitalisme. La démonstration, la clé de compréhension du
capitalisme n'étant pas donnée pour des raisons que nous comprenons
(les limites intrinsèques du genre, d’où l'on parle), les défauts
de la machine sont imputées au seul caractère cynique et carnassier
du Big boss. Qui seul décide, puisque c'est le boss... Ce dernier
est d'ailleurs conforté par l'apathie arrangeante des employés
tenus par des indemnités conséquentes.
Le capitalisme trouve
donc un visage, celui du patron. Individu forcement le plus cynique
des cyniques mais si humain, trop humain.
La Nature humaine « naturalisée »
Si nous ne sommes pas des
« sujets automates » (3) il n'est pas question ici de nier ici que
certaines personnes sont plus responsables que d'autres. Mais
sur-investir tel ou tel individu d'une charge aussi forte ceci en
dehors de toute logique, « d'ordre social » complexe en
reproduction comme le capitalisme, ne relève que de l’antithèse
simpliste ou nous ne serions que du capital variable sur pattes.
Ainsi deux thèses antinomiques, qui relèvent d'une même logique
traversent le film. Ou bien nous serions face à un procès autonome
sans sujet ou s’agencerait des structures, ou nous serions parlés,
agis, ou bien nous serions sous le joug d'un tyran, dictateur ou Big
boss ou pasteur et là nous serions de sacrés moutons en quête
perpétuelle de la meilleure herbe à brouter, ou ce qu’il en reste.
Pas besoin de synthèse
de ces deux simplismes mais d'une analyse totale du réel en
mouvement:
La personnification
permet d'essentialiser cette in-humanité et les incompréhensions
propres aux forces sociales sans logique apparente, et ainsi de
naturaliser cette "nature" humaine, calculatrice,
arriviste, frustrée, suicidaire par moment, peut-être est-ce le
parti pris du réalisateur. Cette psychologie empirique idéologisée
c’est à dire le psychologisme comme méthode d'analyse du
capitalisme débouche ainsi nécessairement sur une l'apologie de la
société marchande, mais aussi sur une anthropologie réactionnaire
qui n'est pas étrangère d'ailleurs à l'individualisme méthodologique. Elle constitue le sommum de l’analyse “critique”
du capitaliste ou de “l’anti-capitalisme” dans sa forme
financière. Le capitalisme ne serait pas mauvais, sa logique
incroyable et destructrice, elle ne serait imputable qu'aux hommes
et à certains individus de type sociopathe. Le parti pris
anthropologique fait de la conséquence la cause.
Ou encore : Si le
capitalisme est mauvais c'est que les hommes le sont. Et son
antithèse objectiviste ou structuraliste : Il s’agit de forces
déchaînées par l’auto-activité de la loi de la valeur. Plus
d'humain donc que des structures dont la logique propre serait
implacable sans retour. Il n'y a plus qu'a fuir, prier ou discourir
sur la fin des temps, le métier de prophète un bel avenir.
Le paradoxe qui permet
finalement à un idiot utile du capitalisme national ou à un
nationaliste de gauche et de droite qui ont pour cible la finance
et qui ne comprennent rien au capitalisme et à sa reproduction (qui
est la conséquence de cette vision psychologisante) c'est qu'elle
débouche sur cette anthropologie dont les seules développements,
aboutissements possibles ne peuvent être que conservateurs ou
réactionnaires. Il suffira donc de se débarrasser de la finance ou
de la taxer, que tel ou tel individu méchant ou trop âpre au gain,
soit liquidé, que tel que tel cercle d'influence soit dénoncé.
Ceci grâce à l’intervention musclée d’un nouveau caudillo
local ou exotique. Hélas pour la gauche du capital ceci jusqu’à
son extrême droite, cette finance n'est que la face cachée de
l'iceberg capitaliste et de sa dégueulasserie exploiteuse. Peut-être
voudront-ils alors demander des comptes aux patrons ?! Comme cela ne
marchera pas ils demanderont finalement à fermer les frontières et
à produire français.. Et pour terminer avec des “bons blancs bien
de chez nous" qui auront au moins du boulot dans "notre
espace national". Tout est dénoncé, rien transformé ceci pour conserver l'essentiel
l'exploitation, la soumission, l'aliénation ! (Bien sûr nous n'avons que foutre que ceci soit délimité à notre seul espace de vie fusse t-il aléatoirement national...la belle affaire ! Qui peut le croire dans cet état de guerre économique planétaire ?)
l'exploitation, la soumission, l'aliénation ! (Bien sûr nous n'avons que foutre que ceci soit délimité à notre seul espace de vie fusse t-il aléatoirement national...la belle affaire ! Qui peut le croire dans cet état de guerre économique planétaire ?)
Réel versus Virtuel ?
Le capitalisme c'est
comme la chasse. Il y a les bons chasseurs et les mauvais
capitalistes. Le présupposé de l'analyse ce ceux qui ne veulent pas
jeter le bébé avec l'eau du bain, c'est que il y a d'un coté la
bonne économie la réelle, de l'autre la virtuelle forcement
autonome. Ainsi le film nous propose t-il cette distinction éculée
au travers de la tirade de la fabrication d'un pont (scandée par
l'ancien gestionnaire des risques) et des miles gagnés par les
automobilistes américains qui auraient gagnés du temps grâce à
son œuvre. Il s'agit bien sûr de ce temps si précieux qui est de
l'argent en puissance.(4) Cette question de l'utilité s'inscrit toujours dans le temps de la production
capitaliste et de l'augmentation de sa rapidité de circulation. Quant à l'introspection que l'employé du risque a sur le sens de son travail, elle n'est possible que dans les moments de remise en cause personnelle qui ont
pour sources le crash boursier final et le licenciement.
La catastrophe «
boursière » est telle la porte de sortie du capitalisme ? un moment
de sa remise en cause ? (5)
Ce monde des antinomies,
c'est à dire des choses contraires et inconciliables et sans liens,
permet de justifier d'en éliminer une partie, sans en éliminer
l'autre (6). Cette méthode d'analyse du réel pétrifié dont le
psychologisme du film constitue la méthode d'approche est propre à
la pensée bourgeoise. Il s’agit d’une articulation de processus
mentaux liés à une position de classe qui permettent à un monde et
à ses représentations de tenir debout, c’est à dire d'être
légitimées, conservées et en aucun cas dépassées (ceci parce que
le capitalisme est perçu comme naturel et a-historique et nécessaire
(7) ).
Elle empêche de
comprendre la dialectique de la fameuse économie réelle (dont il
faudrait partager “équitablement” les “fruits” d’un arbre
pourri ?) et de la virtuelle comme profondément
liées et indissociables.
La possible solution
humaniste proposée par le scénario de J. C. Chandor, comme une
intervention humaine qui briserait le cercle infernal du suivisme et
de l'arrivisme s’évapore au fur et à mesure. Il ne reste plus que
la panique bancaire et finalement un univers de guerre permanente
synthèse plausible et réaliste entre Mad Max et Blade Runner ou la
seule compassion envisageable est celle avec les chiens.
L’Idéologie de la
corne d'abondance.
Les traders sont des
troupes de chocs d'un capitalisme sans chars ni bombes dont les
dégâts réels sont virtualisés grâce à la mission supposée
qu'ils rendent au “monde libre”. Le film propose donc ouvertement
que le "dérèglement" du capitalisme est la perversion
d'un supposé marché sain et fluide, et que la rupture du pacte
moral et vertueux de la richesse possible, cette "éthique du
trader" serait brisée par la personnalité sans "principes"
ou perverse d'un big boss. Ceci avec quelques complicités bien sûr
...parce que tous y croient quand même à ce "rêve" de
l'accumulation et de la puissance mais elle est aussi et surtout le
cauchemar des autres c'est à dire de l'immense majorité.
1 - Journaliste sur
France Inter (Las bas si j'y suis) et à Fakir. Apôtre de "la"
frontière et du protectionnisme. Qui s'étonne que la CGT s’il
vous plaît ! ne prévoit pas de grèves ou d'offensives après les
élections présidentielles de mai 2012....Pour entendre ce dernier se prendre
une leçon de lutte des classes par le politicien rabateur du PS,
Gérard Filoche écoutez donc L’émission Las Bas si j’y suis.
Les financiers au coin du bois (II) Le mardi 15 mai 2012 .
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2462
2 - Credit default swap
3 - Contrairement à ce
que n’est pas loin de penser un Robert Kurz p137 in vies et mort du
capitalisme Editions Lignes 2012.
4 - Voir le moment ou le
jeune trader plutôt doué en calcul mathématique vient annoncer à
sa hiérarchie qu'il a un doctorat en construction de
fusées....exemple typique selon le réalisateur de l'économie
réel...les fusées !
5- Conseil de lecture : Comme la grenouille sur son nénuphar Tom Robbins http://www.gallmeister.fr/livre?livre_id=483
comme ça en passant.
6 - “Mon véritable adversaire, il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c'est le monde de la finance" le 22 /01/2012 - François Hollande.
7 - Nécessaire à la domination de classe. La totalité capitaliste organise la reproduction des infra-structures et super-structures de légitimation. (idéologies, rapport de force, juridisme, armées, mise en condition, exploitation etc...)