jeudi 19 avril 2012

Quel féminisme ?

Quel féminisme ?

Être choquée dans les transports en commun quand on voit s'afficher en “4par3” le dessin d'une fille qui tient une sucette au niveau de la bouche, rouges et rondes, pour faire la promo d'un nouveau jeu vidéo à destination des hommes de plus de 18 ans.
Être choquée aussi par ces blagues misogynes qui circulent par e-mail, et que certaines femmes -que çà fait rire- se relaient entre elles. Trois poubelles ; une pour le carton, une pour le verre, et une troisième pour les chieuses où ont été jetées trois nanas, dont la dernière vient juste d'être déposée par son mec qui s'éloigne. Les femmes à la cuisine. Les rebelles à la poubelle.

C'est un peu ce qui passe dans les boites où on travaille.

Au bureau, sur un plateau de 60 personnes qui traitent des mails et des appels téléphoniques assis devant deux écrans, occupant 4 mètres carrés de surface au sol 5/7 jours pendant 8 heures. “occupant” parce qu'on prend de la place, et que çà a un coût. Et si on n'avait qu'une tête raccrochée à des fibres optiques, directement reliées à l'unité centrale, on serait encore plus économique. Et quand tu dénonces cet état de fait, on te fout au placard, quand on ne te jette pas sans te donner ton reste.
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Etre femme dans ce monde là, c'est se plier à devenir un esprit docile dans un corps parfait.
Représentée comme un corps sans tête dans les journaux, et une tête sans corps derrière un bureau ou à l'usine ; parfaitement productive et productrice, parfaitement utile et rentable.
Un idéal constamment martelé par la société patriarcale dont la propagande médiatique est le bras armé.

Etre femme et ouvrière, c'est se confronter aux multiples visages de la domination des chefs/pères/maris qui ont pour eux le pouvoir et la force. Quand on fait face à ces chantres de la soumission, il ne s'agit plus de choisir contre lequel on va combattre, mais résister quotidiennement et de toute part aux clichés, aux dénigrements, aux insultes, dans toutes les sphères de l'existence.

Bien sûr, certaines femmes ne cracheraient pas sur un poste de général d'armée au prétexte d'accéder enfin à l'égalité d'avec les hommes. Quel honneur de servir enfin la patrie ! Quel pied ! Enfin, le même salaire ! Les mêmes galons ! Le résultat ? Même "genre" de commandement, même nombre de victimes écrasées sur son passage.

On assiste à la maigre victoire d'une guerrière qui gagne en autonomie financière et dont la libération se fait au prix des sous-fifres qu'elle a laissé au bas de l'échelle, et qui reprennent les rôles qu'elle ne veut/peut plus assumer.

Est-ce pour cette lutte des places qu'il faut combattre ?
Est-ce que la lutte féministe peut faire l'impasse sur les luttes qui s'opposent à toutes les formes de domination ?

Bien entendu, il y a des oppressions que seules les femmes subissent et peuvent dénoncer, et certains droits qu'elles doivent acquérir pour s'en dégager. Mais en l'absence d'une perspective d'émancipation totale, il faut constater que certains droits se sont transformés en obligation de jouir, de s'incarner tout à la fois en femme/mère/maîtresse pour stimuler les fantasmes masculins, et d'ouvrir leur corps à la société de consommation. Ces libertés conquises par les femmes se sont rapidement avérées des impératifs à être d'autant plus disponibles et adaptables, générant proportionnellement leur lot de culpabilité et de frustrations.

Ces “petites” libertés en arrangent plus d'un, notamment pour imposer majoritairement aux femmes les contrats à temps partiels, les boulots précaires, jusqu'à étendre à la sphère économique les tâches qu'elles gèrent souvent à plein temps dans la sphère domestique (ménage, repassage, garde d'enfants et de personnes âgées). A moins d'accéder à une pseudo égalité -et à quel prix- avec les hommes, elles continuent de ramer dans ces deux mondes que sont la maison et le boulot, acculées dans les deux à la productivité et la performance.

Alors bien sûr, les féministes continueront de se battre pour conquérir un boulot décent et de meilleurs salaires plutôt que de cumuler les heures sans rien voir au bout -s'il y a un bout. Mais de l'autre côté, elle seront vite sommées de stopper la lutte quand le seul compromis qu'on leur proposera sera de bosser davantage pour bouffer/ne pas se faire licencier, et de retourner à leurs cuisines pour s'occuper du ménage.

Et même, à salaire égal à celui des hommes, qu'est-ce que çà changerait pour elles, radicalement ?

Bien sûr, elles seraient plus autonomes pour se libérer d'une famille ou d'un homme violent, pour trouver un logement, être indépendantes et s'assumer seules. Mais au delà, et au temps où les bourgeois agitent la crise comme un épouvantail, elles restent, au même titre que les chômeur-e-s, une variable d'ajustement.

Au delà de cela, elles restent sous le joug d'une dynamique qui les enserre dans des contraintes insupportables.

Quelle ouvrière ou employée a envie de travailler 8 heures par jour à l'usine ou au bureau à exécuter des gestes qui s'imprègnent de réflexes aliénants, ne nécessitant d'elle que des qualités qui relèvent d'automatismes figurés dans les pièces qu'elle manipule ou les phrases qu'elle insère dans des messages envoyés à d'autres femmes-machines, et dont elle n'entend rien de l'être humain contraint de se donner, malgré lui, en constante représentation ?

Quelle femme s'épanouit dans ces rapports factices, ces courses après le temps qui ne mènent personne nulle part, et surtout pas auprès de ceux qui comptent pour soi ?

Passer 12 heures par jours en continu au minimum, et dans le meilleur des cas, à faire fit de ce qu'on est pour passer la moitié de sa vie à courir derrière un but qui n'est pas le nôtre, parfois au péril de notre santé, enfermé, sans temps pour soi et pour les autres. Qui veut de cela ?

Aucune femme ne voudrait être cet homme là.

Les luttes des femmes doivent s'inscrire dans une volonté de changement radical de société, parce que c'est celle de l'émancipation et de l'égalité des êtres humains qui est en est la voix/voie fondamentale.

C'est la domination sous toutes ses formes contre laquelle elles se doivent de lutter, et d'abord et avant tout contre le capitalisme et son système d'exploitation qui mène à l'endoctrinement, à la soumission et à la violence.

Ce qui a définit la condition de l'homme moderne a en même temps définit la condition de la femme moderne. La femme n'est pas l'ennemi de tous les hommes, elle est multiple et particulière, elle revendique cette multiplicité et veut explorer ces particularités.

Elle ne pourra le faire qu'entièrement libre et non soumise, sans prison matérielle ou psychique, sans cage d'aucune sorte.

Nous ne voulons pas réformer la société pour prendre la place d'un autre, ni n'être son égale. Nous voulons choisir de travailler ou pas, de faire des enfants ou pas, d'avoir un compagnon ou plusieurs, d'aimer et de vivre avec d'autres femmes, de mener une existence qui nous ressemble, sans domination d'aucune sorte.

Nous voulons être libres et entières. Entièrement libres.